Le secrétaire général interrégional FO Justice Grand Est réagit aux attaques menées depuis plusieurs jours contre les établissements pénitentiaires. Entretien.

Pour l’instant, le Grand Est est épargné par ces attaques des établissements pénitentiaires français. Est-ce exact ?
En effet, on n’est pas touché pour le moment. Mais il n’est pas rare que des collègues soient menacés à la sortie du boulot ou un peu plus loin. Deux voitures ont été brûlées, il y a un an à Nancy. À Montmédy aussi, mais c’était à la suite d’une querelle entre détenus.
Ces attaques en différents points du territoire semblent être coordonnées. Cela vous inquiète ?
Dans la nuit de dimanche à lundi, des voitures ont été incendiées devant l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) à Agen. Le lendemain, il y a eu des tirs de kalachnikov sur le Centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède. Le surlendemain, des voitures de surveillants ont été brûlées devant plusieurs établissements en France. Et la nuit dernière, on en arrive à des atteintes plus graves puisque le feu a été mis dans le hall d’immeuble d’une collègue et à la voiture d’un surveillant. Cela monte crescendo. C’est inquiétant et j’espère que cela s’arrêtera là, sinon ce sera compliqué.
Craignez-vous désormais : des attaques physiques sur le personnel pénitentiaire ?
Je le redoute. On ne sait pas ce qui peut se passer et on ne sait pas non plus si le mouvement est coordonné avec les détenus. Ils ont tous un téléphone portable dans les cellules. Tout le monde est connecté, tout le monde est en réseau. Et c’est la première fois que nous assistons à des attaques coordonnées. Les différentes attaques ont été menées en même temps, que ce soit à Villepinte, à Nanterre, à Aix-Luynes ou à Toulon. On ne connaît pas la suite…
Selon vous, il y a une organisation derrière ces attaques…
C’est bien ce qui m’inquiète. Des individus échangent via un compte Telegram. On a parlé d’un groupe d’extrême gauche. Mais je n’y crois pas trop. Eux, ils sont plutôt sur les manifs pour foutre le bazar. Mais je ne vois pas les mouvements d’extrême gauche tirer à la kalach’ contre la porte d’une prison. À moins qu’il y ait des liens entre des terroristes d’extrême gauche et des narcotrafiquants qui se retrouvent sur les mêmes objectifs, à combattre l’État de droit, à provoquer l’anarchie, etc. Je viens d’apprendre qu’une personne liée au compte Telegram vient d’être arrêtée par la police. On en saura sans doute un peu plus.
Pour l’instant, vous n’avez pas idée de qui se cache derrière ces attaques…
Non, je ne sais pas. On peut tout imaginer, on peut extrapoler. Mais ce qui est certain, c’est que nous sommes en danger, tout le personnel de la pénitentiaire. J’observe quand même que les attaques sont concentrées sur la région Ile-de-France et PACA, là où se trouvent les plus gros contingents de narcotrafiquants de France. Ces événements pourraient être liés au projet Darmanin d’aménagement, d’ici à trois mois, d’un centre pénitentiaire de haute sécurité à Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais. Un lieu hermétique où il sera difficile pour les détenus les plus dangereux de communiquer et de faire tourner leur business.

Une prison hermétique, dites-vous ?
Les chefs des réseaux de narcotrafic ne pourront plus continuer à gérer leur commerce depuis l’intérieur. Il y aura énormément de moyens mis en place aussi bien en personnels qu’en moyens techniques : brouilleurs de drones, brouilleurs de téléphones, etc. Si les chefs sont isolés, il va y avoir une guerre des chefs à l’extérieur, comme dans la mafia. Donc une recrudescence des règlements de comptes.
Comment sortir de cette impasse ?
FO plaide depuis 2018 pour une classification des établissements en fonction de la dangerosité des détenus. Plus les détenus sont dangereux et plus on met des moyens de sécurité. Plus ils sont inoffensifs, et moins il y a d’agents. Actuellement, il y a 189 établissements pénitentiaires. On approche les 83.000 détenus actuellement. Un record. Pour 63.000 places. La surpopulation est problématique.
Quelle solution : créer des prisons ?
Il faut savoir que sur les 83.000 détenus, 15% ne sont pas Français. C’est énorme. À FO nous sommes pour l’expulsion des détenus étrangers. Nous sommes aussi favorables à l’augmentation des bracelets électroniques pour les détenus les moins dangereux.
Quant au ministre de la Justice, il entend créer 3 000 places de prison en ‘’préfabriqué’’ d’ici fin 2026. Il s’agit de cellules en béton de 8,5 m² qui reviendraient à 200 000 € au lieu de 400 000 € pour une cellule de prison classique. La première sera mise en place près de Troyes.
Va-t-on vers une mexicanisation de la société française selon vous ?
On n’en est pas là. Au Mexique, il y a 35.000 agressions par an, les narcotrafiquants ont leur propre armée, avec plus de soldats que l’armée mexicaine. Mais il y a, chez nous, une espèce d’intimidation à l’égard de l’autorité. 150 juges sont sous protection policière. Il faut savoir que le trafic de stupéfiants est très prospère, grâce aux consommateurs de plus en plus nombreux. Le kg de coke s’achète à 2.000 € en Colombie et se revend au moins 50.000 € en France et bien plus dans d’autres pays du nord de l’Europe. Cela rapporte beaucoup d’argent. Les dealers mettent les tarifs sur les murs. Ils livrent même à domicile. Ils ne se gênent plus.
Propos recueillis par M.G.
Les attaques de prisons continuent

De nouvelles agressions ciblant des établissements pénitentiaires et leurs personnels ont eu lieu ce mercredi, provoquant une vive inquiétude des gardiens de prisons, victimes du narco-banditisme.
Plusieurs véhicules ont été incendiés près de centres pénitentiaires et au domicile d’agents dans les Bouches-du-Rhône et en Seine-et-Marne durant la nuit de mardi à mercredi, s’ajoutant à une série d’attaques observées depuis plusieurs jours. Le sigle « DDPF » (Défense des droits des prisonniers français) a été retrouvé sur plusieurs sites ciblés.
Les actes violents se multiplient
Les agressions se sont intensifiées ces dernières heures. Ce mercredi à l’aube, trois véhicules ont été incendiés sur le parking sécurisé de la prison de Tarascon (Bouches-du-Rhône). Un quatrième véhicule a été détruit par les flammes devant le domicile d’un agent de la maison d’arrêt d’Aix-Luynes, également dans les Bouches-du-Rhône.
Plus tôt dans la nuit, un cocktail Molotov a été lancé dans le hall d’entrée d’un immeuble en Seine-et-Marne où réside une agent du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin-Neufmontiers. Le sigle « DDPF » a été tagué sur un mur du hall.
Ces incidents s’ajoutent à d’autres actes graves recensés récemment : des impacts de balle découverts sur le portail d’entrée de la prison d’Aix-Luynes et de Toulon, ainsi que des véhicules incendiés et des tags portant le même sigle « DDPF » à Valence et Marseille.
Réaction ferme des autorités
Face à cette situation, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a dénoncé à la télévision une « intimidation grave » et une tentative de « déstabilisation » de l’État.
Le Parquet national antiterroriste (Pnat) s’est saisi des incendies de Tarascon et de Seine-et-Marne. L’enquête a été ouverte pour « participation à une association de malfaiteurs terroriste » et « dégradation en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste ».
Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, tout comme la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, ont évoqué des « probabilités importantes » que ces attaques soient liées au « narcotrafic ».
Le groupe « Défense des droits des prisonniers français », qui revendique ces actions via un canal Telegram, affirme vouloir « dénoncer les atteintes aux droits fondamentaux [des prisonniers] » et appelle les « détenus de France à se mobiliser ».
Le groupe de la Défense des Droits des Prisonniers Français (DDPF) a revendiqué plusieurs actions menées contre l’administration pénitentiaire à travers la France depuis dimanche 13 avril. Les auteurs diffusent des vidéos de leurs méfaits. https://t.co/eApZyttUz7
Videos:… pic.twitter.com/vomG4C9Bgh
— Tom Nowak (@nowaktombe) April 16, 2025
Des voitures ont été brûlées et neuf ont été taguées avec la mention « DDPF », Droit des prisonniers français. Cette mention DDPF a également été retrouvée sur des véhicules dégradés à Luynes-Aix et à Nîmes.
Lundi, c’est la prison de Réau qui avait été attaquée. S’agit-il… pic.twitter.com/k9xZvJ2W15— Carėne Tardy (@Carene1984) April 15, 2025