L’affaire révèle un montage juridique complexe visant à échapper au contrôle des organismes chargés de réguler le foncier agricole. Cette plainte s’ajoute à celle de l’association anticorruption AC!!

La SAFER d’Île-de-France a assigné devant le tribunal judiciaire de Meaux plusieurs personnes et entités, dont une société civile immobilière (SCI), qu’elle accuse d’avoir organisé un montage frauduleux pour contourner son droit de préemption sur des terrains agricoles.
Un montage en plusieurs étapes
L’affaire débute en mai 2024 lorsque Maître Peltier, notaire à Caen, envoie un certificat d’urbanisme (CU) à la mairie de Gouvernes (Seine-et-Marne). En effet, Alexia D. a l’intention de céder la nue-propriété de deux parcelles de terre à une société civile immobilière, alors en cours de création. À travers une veille et une recherche sur un site spécialisé, le maire se rend compte de l’augmentation de capital de la SCI pour laquelle aucune déclaration d’intention d’aliéner (DIA) n’a été demandée. Le maire alerte aussitôt la SAFER Ile-de-France.
Quelques mois plus tard, la publication au BODACC (Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales) révèle l’entrée d’un nouvel associé majoritaire, Pierre W., qui apporte 7 000 euros en numéraire à la SCI. Plus troublant encore, les statuts de la société prévoient explicitement que « les associés donnent expressément leur accord sur l’acquisition future, par la société, de l’usufruit de Madame Alexia D. pour un montant de 9 000 euros ».
Des obligations légales non respectées
La SAFER dénonce plusieurs violations de la réglementation. D’abord, le délai légal de deux mois entre la notification et la réalisation de l’opération n’a pas été respecté : la DIA (Déclaration d’intention d’aliéner) et l’acte authentique portent tous deux la date du 23 mai 2024. Ensuite, la société bénéficiaire n’était pas correctement identifiée dans la déclaration, empêchant la SAFER d’évaluer la réalité de l’opération.
Plus grave encore, l’entrée du nouvel associé majoritaire aurait dû être déclarée à la SAFER deux mois avant sa réalisation, conformément à la loi Sempastous de 2021 qui renforce la transparence des opérations foncières. Cette obligation n’a jamais été respectée.
Une fraude caractérisée selon la SAFER
Pour l’organisme foncier, l’ensemble constitue une « fraude manifeste » visant à réaliser une vente déguisée. La SAFER fait valoir qu’à la date de la DIA, aucun démembrement de propriété n’existait réellement – Madame D. était pleinement propriétaire des parcelles. Le démembrement artificiel, couplé à l’engagement de rachat de l’usufruit, révélerait, selon elle, une stratégie pour contourner le droit de préemption.
Les statuts de la SCI prévoient d’ailleurs des mécanismes de liquidation permettant l’attribution directe du bien au nouvel associé, renforçant la thèse d’une « cession dissimulée déguisée en opération sociétaire« .
Des demandes lourdes de conséquences
Devant le tribunal de Meaux, la SAFER réclame l’annulation pure et simple de l’apport à la SCI, ainsi que la nullité de la société elle-même pour fraude. Elle demande également à pouvoir exercer rétroactivement son droit de préemption sur les parcelles au prix de 16 000 euros.
L’organisme sollicite par ailleurs 15 000 euros de dommages-intérêts de la part de l’ensemble des défendeurs, y compris le notaire qu’elle accuse d’avoir prêté son concours à l’opération frauduleuse.
Un enjeu de politique foncière
Cette affaire s’inscrit dans un contexte de renforcement du contrôle des transactions foncières agricoles. La loi Sempastous de 2021 a précisément pour objectif d’éviter ce type de montages permettant de soustraire des biens agricoles au contrôle des SAFER. L’issue de cette procédure pourrait faire jurisprudence et clarifier les limites de ces stratégies d’évitement.
L’audience est fixée au 2 juin 2025 devant le tribunal judiciaire de Meaux. Les défendeurs ont quinze jours pour se constituer avocat.
Une plainte pour contournement du droit de préemption de la SAFER