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Lettre de février 2025 de Gaïa à Aurore Kepler : Le retour des dictateurs

Nous publions chaque mois, sous la plume de Gilles Voydeville, l’excellente correspondance entre deux planètes, Gaïa, notre Terre et Aurore Kepler 452 b dans la constellation du Cygne. Aujourd’hui, Gaïa est épouvantée par la guerre en Ukraine et à Gaza. Et s’inquiète du rapprochement malsain entre l’Ours et le Bison.

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Par Gilles Voydeville

Lettre de février 2025 sur Gaïa

Ma chère Aurore

Esprit hivernal

Ton long hiver me fait si froid que j’en tremble de moult effroi. Mais d’un tremblement, est-ce le moment de secouer ma nature ? Et d’en rajouter aux maux qu’endurent déjà mes créatures ? Car ici aussi, la neige est tombée, douce, étale et vaporeuse. Je vais me contenter d’en admirer l’insoutenable légèreté. Car elle cache les sévices que mes Charmants imposent à ma terre. Quand je dis « insoutenable légèreté », je moque ces esprits tordus, blessés par cette céleste candeur qui de leurs méfaits masque les horreurs. Nombre d’entre eux sont si malades qu’ils adorent contempler les stigmates qu’ils m’ont infligés, quand d’autres se plaisent même à les exhiber.

En fait, j’aimerais que mes Charmants prennent modèle sur tes sixpèdes argentés qui vivent de joies simples, se contentent de l’étant et usent des frimas pour survivre en attendant des jours meilleurs.

Au contraire, mes petits humanoïdes ayant accédé au confort ont perdu cette sagesse.

Ukraine en guerre ; des armes venues de tous les pays (Flickr)
Ukraine en guerre ; des armes venues de tous les pays (Flickr)

Ils espèrent qu’encore plus de technique leur apportera une paix intérieure qu’ils se désespèrent de trouver. Car en ce jour, leur insatisfaction est permanente, leur égoïsme à fleur de peau et leur cruauté sans limite. Alors qu’ils n’ont jamais été aussi gâté par cette technique. Et s’ils sont pressés, ils courent à la guerre plus vite dérober celle du voisin. Ah, la guerre ! Mes Charmants adorent la guerre. Je suis certaine que leur violence ne trouve pas seulement son origine dans la rareté du sol, dans le désir de l’autre, de ses richesses, mais bien souvent en leur for intérieur (Peter Sloterdijk). Un petit besoin de dominer son prochain est si vite arrivé… Eh, satisfaire son impulsivité dans l’instant avec une arme létale, quoi de plus jouissif ? Et puis quand l’ennui guette, il faut bien se distraire ! Ah la guerre, il n’y a qu’elle qui permette aux vrais hommes, ceux qui n’ont pas peur de mourir, de s’exprimer pleinement…

Rien n’y fera et je m’étonne qu’il n’y en ait pas plus.

Le fantasque bison

Tu te réjouissais le mois dernier du cessez le feu signé entre le Hamas et Israël sous la contrainte du futur président des grandes plaines américaines. La raison, la commisération, la mansuétude semblaient avoir enfin caresser l’esprit du sauvage bovidé à la crinière rebelle. Tu as bien fait de saisir cet instant car il fut bref. Cela n’était que les prémisses d’un projet immobilier. A quoi bon reconstruire un habitat populaire alors qu’il serait plus lucratif d’y créer une Riviera de plaisir ? Sans doute pour y faire oublier les massacres dont le souvenir s’évaporerait dans le bouillonnement des jacuzzi et la brume des hammams. Je me pose alors la question : que penserait le peuple juif si un promoteur émirati proposait de faire d’un des lieux de mémoire de la Shoah, un complexe de luxe ? Car la qualification de crime contre l’humanité pour les deux parties est en suspens. Au cas où elle serait retenue pour l’une, l’autre, ou les deux parties, Gaza pourrait bien devenir l’un des deux lieux de mémoire du crime, tout comme le désert du Néguev en pourrait devenir l’autre.

Nouvelles frappes destructrices sur Gaza (capture euronews)
Nouvelles frappes destructrices sur Gaza (capture euronews)

Voilà ce qu’a produit l’Amérique!

Grâce à la goujaterie du bison alliée à sa sœur la veulerie, à son indécence mariée à la finance, ce grossier projet pourrait enfin se frayer une route dans les méandres des esprits des promoteurs de tout poil… Ce milliardaire est un conteur moderne. Les vieux conteurs eux, sous couvert d’historiettes, narraient la sagesse ancestrale. Ils guidaient les peuples sur le chemin de la convivialité (Walter Benjamin). Le conteur moderne a plus à voir avec le bonimenteur de foire qui attire le client en choquant son bon sens pour lui vendre un produit dont il n’avait pas besoin jusque-là. La perte du respect des morts et la banalisation de la souffrance des peuples, voilà ce qu’a produit l’Amérique. Ce monde que j’ai façonné, civilisé, humanisé depuis des siècles avec de terribles soubresauts, il m’échappe et s’en retourne vers la barbarie du siècle précédent.

Ce phénomène est-il isolé ou général ?

Quand j’observe l’ascension des populistes, des autocrates, des démocrates illibéraux, des droitiers extrêmes, des oligarques, des ploutocrates et quand je constate qu’un nombre de plus en plus grand accède au pouvoir, je sais que la décadence est là. La fin de l’Empire Occidental est proche. La fin de l’Empire Romain fut précédée de folies permettant l’accès au trône impérial d’un Héliogabale, 14 ans, transgenre, exprimant sa bisexualité à tout va : mais comment demander à un adolescent qui a obtenu le grade suprême d’avoir une tempérance sexuelle alors qu’il sent sa nature le déborder et le peuple s’incliner ? C’étaient ceux et celles qui lui avaient donné les clés du pouvoir qui étaient responsables de sa dérive. Et sur ma terre, aujourd’hui c’est bien le peuple qui a le pouvoir d’élire et c’est bien lui qui est responsable de son élu. Donc mes charmants peuples du XXIème siècles seront tenus pour responsables de leurs choix irresponsables à mon endroit.

J’enrage de tant de négligence et de tant d’adulation pour des idoles de carton-pâte.

D’après mon célèbre économiste Thomas Piketty, les choix économiques de la droite américaine seraient ceux d’une société aux abois. Alors que la productivité américaine était deux fois celle de l’Europe au milieu du XXème siècle, aujourd’hui elle a considérablement baissé. Si les milliards jetés à la face du monde éblouissent, ils ne sont pas le reflet d’un enrichissement du peuple qui subit les hauts prix imposés par les monopôles (GAFA). L’écart de productivité avec l’Europe ainsi disparaît.

Pire, le PIB de la Chine serait selon ce calcul de 30% plus élevé que celui des États-Unis et en sera le double en 2035 !

Il faut savoir en effet que la productivité est le fruit d’investissements éducatifs, sociaux et environnementaux. Ceux-ci ne sont pas vraiment inclus dans l’actuel programme républicain. Pour M. Piketty le terme « national-capitalisme » résume bien le nationalisme brutal, l’agressivité territoriale, le conservatisme sociétal et le libéralisme débridé de la doctrine du bison à la mèche droitière.

« Après moi, l’Enfer !»

Charmant ne me mérite pas. Il ne pourra pas se plaindre de n’avoir pas su ce qui l’attendait quand mon climat sera tel qu’il grillera aux premiers rayons. La phrase, attribuée à une puissante aristocrate du XVIIIème, « Après moi le Déluge !» est en train d’être appliquée à la lettre par cette génération de Charmants prédateurs qui veulent jouir de mes trésors sans payer le prix de leur extraction. Pourquoi s’inquiéter d’avoir un peu trop chaud alors qu’il y a la climatisation ? Charmant est individualiste au point d’en être idiot. Il s’est éloigné de la religion qui elle prônait des principes altruistes. Ne plus croire en des dieux habitants le ciel est une chose, réfuter les principes de ces religions conçues en partie pour régir la vie en société et m’épargner, en est une autre.

L’athéisme s’est malheureusement corrélé à l’absence de crainte de la vengeance divine qui tempérait certains débordements.

L’Enfer avait du bon.

Mais l’absence de châtiment divin n’empêchera pas le mien. « Après moi, le Déluge !» est en train d’être ravalé au rang de châtiment d’un autre temps. Mais il devrait être remplacé par une adaptation aux temps présents et Charmant est en train de faire comme s’il pensait : « Après moi, l’Enfer !». Eh bien je vais le gâter et lui permettre de vérifier qu’il a pensé juste.

Je lui ai donné un aperçu de ce qui l’attend en ravageant la grande ville de la côte ouest américain ; pour l’exemple.

Ça n’a pas empêché le bison fantasque de sortir de la signature de la déclaration de la Cop 21 qui régulait les émissions de gaz à effet de serre et d’en rajouter en intensifiant les extractions pétrolières ou de schistes bitumineux. Il faudrait que je lui ouvre les paupières qu’il a lourdes comme le reste. Mais, comme ce bison a la fâcheuse tendance à charger tête baissée. Quand il charge, yeux ouverts ou fermés, c’est du pareil au même. Et peu importe l’obstacle. C’est lui ou l’autre et quand c’est parti, c’est mal parti. Ma chère Aurore, aucun électeur ne veut savoir que cet Enfer s’approche au plus vite et qu’il surviendra pour beaucoup avant leur fin. Ça n’est plus « Après moi, l’Enfer !», mais « Avant ma fin, l’Enfer ! ». C’est déjà moins réjouissant et si je fais passer le message, cela a des chances d’avoir un impact, disons quasi météorique…

Mettre un fou au pouvoir a des avantages : ses ennemis se tiennent à carreau car ils ne savent jamais sur quel pied l’attaquer.

La dissuasion par la folie a été recommandée dans la conduite des affaires d’état par mon fameux Machiavel. Mais elle a une contrepartie, la souffrance des administrés qui la subissent tous les jours. Souffrance tempérée bien sûr par la liesse des oligarques qui n’en reviennent pas d’avoir fait avaler autant de couleuvres à chaque citoyen pour se gaver encore un peu. Le peuple a enfin trouvé son héraut qui le subjugue et contraint ses pauvres à travailler un peu plus pour des gains somme toute mineurs pour eux mais majeurs pour les ploutocrates adorateurs du Veau d’Or qui les manipulent. Gains surtout léthaux pour leurs descendances et pour ma terre qui se meurt de leurs caprices.

Ah, ma chère Aurore, sur ma terre, la devise mondiale n’est plus le dollar ; c’est le milliard. La vérité ne repose plus sur la preuve ; mais sur le mensonge. Les sept péchés capitaux sont devenus : la droiture, le respect, la délicatesse, la gentillesse, la commisération, l’humilité, la pauvreté.

dollars (pixabay)
dollars (pixabay)

Un chef tyrannique

La démocratie a réussi à faire aussi bien que les tyrannies. En vérité si les tyrans tiennent si longtemps, c’est qu’ils sont les aèdes du peuple comme les poètes le furent des dieux. Ils interprètent la volonté populaire qui s’ignore elle-même, mais qui se concrétise dans l’acceptation d’un chef tyrannique ou dans l’élection d’un représentant populiste. Pourquoi vous, démocrates de tous mes pays, vous battez-vous contre les moulins du destin qui aiment tourner avec les vents mauvais qui broient les graines récalcitrantes de liberté qu’on leur enfourne ? Somme toute, vous devriez penser qu’après vous….

Ma belle Aurore, sais-tu que maintenant je leur dis : démocrates, séparez-vous de ce peuple qui vous hait, partez loin, partez pour des déserts. Vous y pourrez méditer, tranquilles et paisibles, à l’abri des dernières avancées populistes. Et puis prenez le temps de graver vos pensées sur les granits épars de ces étendues solitaires. Ainsi vous y fixerez quelques sentences immémoriales qui disparaîtront sous les sables et seront peut-être un jour découvertes par une civilisation endogène qui, après un nouvel âge de pierre, aura survécu à l’Enfer ;

ou alors sera mise à jour par une civilisation extra-terrestre comme la tienne, ma belle Aurore, ou celle d’une de nos sœurs qui nous est encore inconnue.

La capitulation des faits

Ma belle Aurore, je viens d’être surprise par un événement inattendu, ébouriffant, illogique, pour tout dire un accès de folie, une élucubration insensée, une renonciation à l’honneur, à la logique, au bon sens, je dirais que le monde a vu publiquement l’animal échevelé sceller un pacte avec le diable.

Eh oui, les vieux ennemis de la guerre froide se sont réconciliés sur le dos d’un acteur accablé. Le bison et l’ours se sont mis en ménage mais tout le monde voit déjà les cornes du bison lui pousser beaucoup plus haut… L’ours se pourlèche dans l’ombre car il a cocufié le bovidé. Ce dernier tout au désir d’être adulé et nobelisé, n’a pas compris qu’il capitulait. Lui et son dauphin le barbu agressif, prennent la lumière des traîtres. Ils accablent publiquement le bélier dans l’espoir de partager ses terres, d’accaparer ses richesses et de salir son honneur. Quel spectacle !!! Ce fut un événement télévisuel, retransmis comme un match de catch mais à tous contre un seul.

Tout doit passer par la télévision et cela en fut un grand moment, parole de bison.

Et si l’on se remémore les théories des media de Marshall Mc Luan, on sait que l’image virtuelle ne passe pas par les mêmes canaux d’interprétation cérébraux que l’image réelle. Pour ce penseur canadien, le message, c’est le medium, c’est à dire que le vecteur d’information est si important qu’il peut modifier le contenu du message. Si le réel horrifie, le virtuel peut bizarrement subjuguer. Si le réel paralyse, le virtuel fait réagir.

En vérité, le fait n’existe plus, il est partagé entre son existence et sa représentation. J’appellerais cela « La capitulation des faits ».

Une image réelle a existé mais ne peut pas être reproduite à l’identique. Elle n’a pas le même impact ni le même ressenti qu’une image virtuelle qui elle peut être répétée et vue à foison pour marquer nombre de mémoires. Surtout l’image virtuelle s’adresse au cerveau qui doit faire une gymnastique pour l’interpréter : il visualise, doit contextualiser un amoncellement de pixel sur un écran et reconceptualiser le fait donné par l’image. Il l’interprète selon sa fatigue, le lieu, l’environnement et le nombre de fois où il l’a captée, etc…

Et s’il s’interroge sur son signifiant, il y est aidé par les algorithmes.

Les dictateurs d’un temps n’utilisent pas les media d’un autre. Hitler subjuguait par la radiophonie car ses gesticulations n’étaient pas télévisuelles, alors que sa voix semblait venir des profondeurs de la terre nourricière. Trump et Poutine eux ont dompté l’image télévisuelle, l’un par un don qui en avait fait un héros de téléréalité, l’autre par l’apprentissage à l’école du GRU. Je sais qu’en France, le jeune président d’un parti droitier n’a pas été formé aux sciences politiques mais à cet art télévisuel. Gare à l’atterrissage !!!

Ma belle Aurore, tu as la chance inouïe d’ignorer encore les élucubrations de leaders qui jouent comme des enfants avec des millions de vies. Méfie-toi de la belle Utula qui ne manquera d’accroître son pouvoir. C’est la loi. Le pouvoir ne se satisfait que du plus. La sagesse surtout du moins.

Je t’enlace.

Ta Gaïa

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