À l’invitation de l’association Crim’HALT*, les familles de victimes des récents règlements de comptes à Marseille viennent de s’immerger dans le pays de la Camorra. Pour apprendre des Italiens de l’anti-mafia comment se positionner face à la violence organisée. Nous étions avec eux.
Par Frédéric Crotta
À la rencontre des victimes de la Mafia (1)
Il y a tout juste 30 ans, le 19 mars à 7 h 20 précises, des coups de feu claquent dans la sacristie de la Basilique Saint-Nicolas de Bari à Casal di Principe. Le jour de sa fête, Don Peppe Diana, qui s’apprêtait à célébrer la messe, vient d’être abattu de cinq balles : deux dans la tête, une au visage, une à la main et la dernière au cou. Un assassinat signé par la Camorra locale contre qui le prêtre ne cessait de se battre et de combattre avec de modestes moyens.
Des Marseillaises et des Corses
Depuis, tous les ans, à la même date, un hommage lui est rendu par une bonne partie des 21 000 habitants que compte la ville. Cela commence par une messe à l’heure de l’assassinat du prêtre puis une marche part du centre de la ville pour aller jusqu’au cimetière. Une marche à laquelle ont participé les Marseillaises Atika, Laetitia, Jasmine, Hassna, Ouassila et deux Corses Jean Toussaint et David. Eux aussi touchés par la mort d’un proche.
À l’issue de ce défilé, de nombreux habitants se relaient au micro, installé sur une estrade, pour égrener les noms des 1081 victimes assassinées à ce jour par la Mafia en Italie.
Casal di Principe est le fief des Casalesi l’une des plus importantes familles de la Camorra. Racket et trafic de stupéfiants sont les principales activités de cette organisation mafieuse qui sévit dans la région napolitaine. Au fil des ans, cette pieuvre a déployé ses tentacules dans toutes les strates de la société. Même si le nombre d’homicides enregistrés a quelque peu chuté ces dernières années.
La mort du prêtre a servi d’électrochoc et son combat a laissé des traces. Il est devenu, en Campanie, mais aussi dans toute l’Italie, une icône des militants anti-mafia et le symbole de la résistance au crime organisé.
35.000 propriétés confisquées
À Casal di Principe, bien que toujours active, la Camorra a perdu un peu de sa puissance. Une cinquantaine de biens appartenant à des « boss » ou de simples exécutants de l’organisation ont même été saisis puis confisqués. Certains d’entre eux ont été mis à la disposition d’associations. À partir des années 80, la justice italienne a ainsi mis sous séquestre plus de 35 000 villas, appartements, propriétés, entrepôts, hôtels ou commerces. Dans tous les cas, l’idée force est de redistribuer ces biens à des associations qui œuvrent dans l’économie sociale et solidaire. Par exemple, chez NCO l’un des restaurants saisis et visités par le groupe de Français, le service est assuré par des adultes autistes.
« Les ordres de tuer »
C’est dans une magnifique résidence de 1500 mètres carrés, ayant appartenu à un tueur, que le Comité Don Diana, créé en mémoire du prêtre assassiné, s’est installée. « Dans le passé, c’est d’ici que partaient les ordres de tuer » explique l’universitaire napolitain Michele Mosca. »
Aujourd’hui, cette imposante bâtisse abrite un centre culturel et mémorial. Cette « Casa don Diana » réalise des ateliers pour les écoliers et les lycéens. C’est là que familles de victimes françaises et italiennes ont pu échanger et confronter leurs expériences respectives de « mort violente » et de perte d’un proche. S’enchainent ainsi, entrecoupés par les sanglots, les récits des disparitions brutales tant à Marseille qu’en Italie. Que ce soit à cause de mafieux ou de narcotrafiquants, la plupart du temps les familles entières explosent, se brisent sur le mur de l’incompréhension et de la violence. Alors qu’en Italie au fil des ans une solidarité s’est nouée, le puissant mouvement Libera en est la preuve, en France tout reste à faire. Laetitia Linon, la tante d’un jeune abattu à Marseille, s’enthousiasme et jure qu’une fois rentrée, elle va courir les plateaux de télévision pour raconter ce qu’elle a vu ici et expliquer « comment les italiens gèrent les victimes innocentes et s’attaquent au porte-monnaie des voyous. »
Prochain article : « Quand la maison d’un boss de la Camorra se transforme… en commissariat de police » (2/3)