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Jeanne d’Arc et les fake news (2/6) La guerre de Cent Ans : pourquoi ?

Pour comprendre l’épopée johannique, il faut revenir au contexte de la guerre de Cent Ans et savoir pourquoi Jeanne a voulu, un beau jour de 1428, aller à la rencontre du roi.

Jeanne à Chinon reconnaît le roi parmi ses courtisans (Photo DR)
Jeanne à Chinon reconnaît le roi parmi ses courtisans. Fresque de la basilique de Domrémy (Photo DR)

Les racines profondes du conflit remontent à 1066 lorsque Guillaume de Conquérant, duc de Normandie, envahit l’Angleterre. Bien que roi d’Angleterre, il reste le vassal du roi de France auquel il doit rendre hommage, pour ses possessions françaises : la Normandie, le Maine, l’Anjou, l’Aquitaine.
Quelques siècles plus tard, en février 1328, après l’extinction de la dynastie des capétiens directs (celle des rois maudits), la couronne de France est vacante. Les Grands de France choisissent Philippe VI de Valois plutôt qu’Édouard III d’Angleterre. Une entorse au droit féodal puisque Édouard est le petit-fils du roi de France par sa mère, Isabelle, alors que Philippe n’est que son neveu. Les Grands de France justifient leur choix par un vieux texte de la loi salique selon lequel une femme ne peut hériter du trône. Et donc ne peut transmettre un droit qu’elle n’a pas.
En 1337, Édouard III, roi d’Angleterre, prend malgré tout le titre de roi de France et défie son cousin Philippe « qui se dit roi de France ».
Ainsi commence la guerre de Cent ans qui n’est rien d’autre qu’une querelle de famille, entre Plantagenêts et Capétiens d’abord, entre Lancastre et Valois ensuite. Elle durera en fait 116 ans, avec des périodes de guerre et des périodes de trêves.

Trois événements majeurs

Trois événements majeurs, liés entre eux, vont changer la donne.
1– Le 23 novembre 1407, le duc Louis d’Orléans, frère du roi, est assassiné rue Vieille du Temple à Paris. Il sort d’un « souper joyeux » chez la reine, Isabeau de Bavière, sa maîtresse. Le commanditaire est son cousin, le puissant duc de Bourgogne, Jean sans Peur qui n’admet pas d’avoir été écarté du Conseil royal et des avantages qui vont avec. Le fils de la victime, Charles d’Orléans, va se liguer avec son beau-père, Bernard VII d’Armagnac pour combattre Bourgogne.  Ainsi va naître la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons. Cette guerre fratricide ne prendra fin en 1435 avec le traité d’Arras.

2- Le 10 septembre 1419, le duc Jean sans Peur est assassiné à son tour, sur le pont de Montereau, par Tanneguy du Chastel sous les yeux du dauphin Charles (futur Charles VII).

3- Le fils de la victime, le duc Philippe de Bourgogne, dit Philippe le Bon, est fou de rage. Sa vengeance sera terrible : il décide de s’associer aux Anglais pour leur livrer la couronne de France. Trop affaibli par cette alliance entre bourguignons et anglais, le roi de France n’a plus le choix. Ainsi, fut signé le 21 mai 1420 le fameux traité de Troyes, que les historiens appellent « l’infâme traité de Troyes ».

Philippe III le Bon portant le collier de l'ordre de la Toison d'or et le chaperon à cornette pendante (copie d'après Rogier van der Weyden, vers 1450, musée des beaux-arts de Dijon). Wikipedia
Philippe III le Bon portant le collier de l’ordre de la Toison d’or et le chaperon à cornette pendante
(copie d’après Rogier van der Weyden, vers 1450, musée des beaux-arts de Dijon). Wikipedia

Le roi fou, Charles VI et son épouse, la reine Isabeau de Bavière, signent donc à Troyes un traité avec leur pire ennemi, le roi Henri V d’Angleterre. Les deux monarques décident de mettre fin, une fois pour toutes, à cette guerre qui n’en finit pas et de régler définitivement le problème de la succession au trône de France.
Le traité de Troyes n’a pourtant rien d’infamant à mes yeux. C’est est un traité de paix et un acte de succession. Il prévoit notamment que :
1-Charles de Valois, appelé « le soy disant dauphin » dans le texte, est écarté du trône. On lui reproche surtout d’être à l’origine de l’assassinat de Jean sans Peur, le duc de Bourgogne le 10 septembre 1419.
2- La fille du roi et de la reine de France, Catherine de Valois, est donnée en mariage au roi d’Angleterre Henri V.
3- Le futur enfant mâle du couple franco-anglais sera à la fois roi de France et d’Angleterre à la mort des deux monarques.
Sur le papier tout est donc réglé. Charles VI et Henri V meurent deux ans plus tard, à quelques mois d’intervalle. Henri est mort le 31 août 1422 et Charles le 31 octobre 1422.
Le traité de Troyes devient applicable. Et il est appliqué.

Jeanne entre en scène !

Portrait de Charles VII, par Jean Fouquet, vers 1445 ou 1450, musée du Louvre, inv. 9 106.
Portrait de Charles VII, par Jean FouInfodujour.frquet, vers 1445 ou 1450, musée du Louvre,(wikipedia)

Mais le dauphin Charles ne l’entend pas ainsi. Avec l’aide de ceux restés fidèles aux Valois, il veut conserver le royaume de France. En 1418, il fuit la capitale occupée par les Anglo-Bourguignons et s’installe à Bourges. D’où son surnom de « petit roi de Bourges ». Marié à Marie d’Anjou, fille de Yolande d’Aragon, il se fait couronner en 1422 à Poitiers, nouvelle capitale du royaume de France. Il est couronné mais il n’a pas reçu l’onction du sacre.
Or, le 6 décembre 1421 est né à Londres le jeune Henri qui, neuf mois plus tard, deviendra roi d’Angleterre et roi de France conformément au Traité de Troyes.
La situation est inédite dans la Chrétienté. Voici deux rois, tous deux de droit divin, qui se disputent la même couronne. Qui peut trancher ce litige ? Qui peut dire le droit ? Il n’y a que Dieu ! Dieu et lui seul.
Mais comment s’exprime-t-il ? De tous temps Dieu a fait savoir aux hommes ses volontés par la voix des prophètes. En tout cas, depuis Moïse.
C’est ici que Jeanne entre en scène. L’idée est géniale. Jeanne sera prophétesse. Elle portera la parole de Dieu. Elle dira qui est le vrai roi et qui est l’usurpateur.
Du côté de Domrémy, dans le duché de Bar, une gamine entend des voix. Saint-Michel, le chef des milices célestes, sainte Catherine d’Alexandrie et sainte Marguerite d’Antioche lui commandent de prendre les armes contre les Anglais. Dieu a donc choisi le roi légitime : ce sera Charles de Valois. Et le roi Henri VI l’usurpateur.
En février-mars 1428, Jeanne quitte Domrémy et la famille d’Arc, elle se rend à Vaucouleurs et après quelques démêlées avec le capitaine de la place forte, Robert de Baudricourt, voilà qu’elle part à la rencontre du roi Charles, à Chinon. Elle lui dit qu’elle a reçu la mission de libérer la ville d’Orléans assiégée par les Anglais depuis le mois d’octobre 1428, et de mener le conduire à son digne sacre à Reims.
Elle ne doute pas du succès de son entreprise puisque Dieu est avec elle.

(Prochain article : Qui a conçu l’opération Pucelle ?)

Précedent article :
Jeanne d’Arc et les fake news (1/6)

Quelques repères

*Le royaume de France

Le royaume de France vers 1429
Le royaume de France vers 1429

A L’époque du traité de Troyes, en 1420, le royaume de France est très limité. Les possessions du roi de France sont essentiellement concentrées en-dessous de la Loire, avec notamment les États du Languedoc. Mais le royaume ne possède pas la Guyenne (Bordeaux) ni la Normandie, ni le duché de Bourgogne.
Le roi de France, s’appelle Charles VI. Il est fou depuis longtemps. Lorsqu’il est en crise, il ne supporte pas son épouse, la reine de France Isabeau de Bavière. « Quelle est cette femme dont la vue m’obsède » dit-il en lui jetant de la vaisselle au visage ?
Par crainte qu’il ne portât atteinte à la reine, Isabeau fut logée en l’hôtel Barbette où elle menait une vie dissolue alors que le roi restait à l’hôtel Saint-Pol.

* L’Eglise

L’université.
Elle est composée de théologiens fanatiques, la puissante université de Paris est farouchement opposée au roi de France auquel elle dispute le pouvoir absolu pour mieux asseoir le sien. Très liée à l’Inquisition, l’université est habilitée à reconnaître les hérésies et même à excommunier au nom de l’Église.
En 1429, l’université ne cache pas sa préférence pour le roi d’Angleterre qui a accordé à ses sujets, il y a trois siècles déjà, la Magna Carta, cette Grande Charte des Libertés qui garantit le droit à la liberté individuelle et limite l’arbitraire royal. Lorsque Jeanne fut prise devant Compiègne, l’université réclame à plusieurs reprises au duc de Bourgogne qu’elle lui soit livrée pour être jugée à Paris. Mais le duc de Bourgogne ne donnera pas suite.

Les ordres religieux.
Fervents partisans du culte de la Vierge, contrairement aux Dominicains, les Franciscains vivent près du peuple et, souvent, comme lui, dans la pauvreté. Ils sont favorables aux Armagnacs. Les réseaux franciscains ont joué un rôle occulte et pourtant déterminant tout au long de la vie publique de Jeanne.
Les Dominicains, aux mœurs plus dissolues, sont ouvertement pro-bourguignons.

L’évêque Cauchon.
Pierre Cauchon de Sommièvre (1371-1442), né à Reims, universitaire parisien, licencié en droit canonique, docteur en théologie, nommé en 1403 recteur de l’université de Paris, il devint l’un des conseillers de Jean sans Peur dès 1409. Évêque de Beauvais de 1420 à 1432 (puis de Lisieux de 1432 à1442), il se réfugie à Rouen en raison de l’avance des troupes de Charles VII dans son diocèse de Beauvais. Jeanne ayant été prise dans ce diocèse et transférée à Rouen, c’est donc Cauchon qui est très normalement chargé de présider le tribunal qui va la juger et la condamner. En 1435, il prend part au concile de Bâle. Il meurt à Rouen en 1442. A notre avis, Cauchon a joué un double jeu dans le procès de Jeanne à Rouen. Il savait pertinemment à qui il avait affaire.

-Regnault de Chartres.
L’archevêque de Reims, Regnault de Chartres, préside la commission de Poitiers chargée d’examiner Jeanne à la demande du roi. Il n’aime pas trop celle qui prétend parler au nom du Seigneur mais il est obligé d’obéir au roi. Il présidera aussi la cérémonie du sacre à Reims.

*Le duché de Bourgogne

Jean sans peur duc de bourgogne a été assassiné sur le pont de Montereau-Fault-Yonne. Son fils, Philippe « le Bon » duc de Bourgogne (1396-1467), est le beau-frère du régent Bedford, est associé aux Anglais depuis 1420.
Comte de Flandre, d’Artois il épouse : 1° Michèle de France († 1422), fille de Charles VI et d’Isabeau de Bavière ; 2° Bonne d’Artois († 1425), fille de Philippe d’Artois et de Marie de Berry ; 3° Isabelle de Portugal († 1472). Il fonde l’ordre de la Toison d’Or en 1430 à l’occasion de son mariage, à Bruges, avec Isabelle de Portugal.

Jean II de LUXEMBOURG (1385-1440).
Comte de Guise et de Ligny, seigneur de Beaurevoir, il était le fils de Jean de Luxembourg et de Marguerite d’Enghien, comtesse de Brienne. Au service du duc de Bourgogne, il est chargé du siège de Compiègne en 1430. Il refusera de signer le traité d’Arras qui consacrait en 1435 la réconciliation entre la France et la Bourgogne. Charles VII était sur le point de monter une opération contre lui quand il mourut en 1441. Il avait épousé en 1418 Jeanne de Béthune, fille de Robert de Béthune, vicomte de Meaux.
Jean de Luxembourg porte les stigmates d’une longue carrière militaire. Il est borgne. Il a été blessé d’un coup de lance au visage au siège d’Allibaudières, en Champagne, en 1420. Il est aussi amputé d’une partie du nez après avoir reçu un violent coup d’épée, l’année suivante, à la bataille de Mons-en-Vimeu.
Ce jour-là, juste avant les combats, le comte de Ligny a armé chevalier le jeune duc Philippe de Bourgogne. Les deux hommes resteront liés d’une amitié sincère. Au point que Jean de Luxembourg est devenu membre de la Toison d’Or le jour-même de sa création.

*Le royaume d’Angleterre

Henri V, roi d’Angleterre (20 mars 1413-31 août 1422) est le vainqueur d’Azincourt. Cette bataille, livrée le 25 octobre 1415 fut une terrible défaite pour la chevalerie française. 6.000 morts, 2.200 prisonniers côté Français dont Charles d’Orléans, le prince-poète. Côté anglais, à peine 600 morts et seulement 13 chevaliers prisonniers.
Jean de Lancastre duc de Bedford (1389-1435) est le frère cadet du défunt roi d’Angleterre Henri V, nommé en 1422 régent du royaume de France pour le compte du petit roi Henri VI (né en 1421). Épouse 1° Anne de Bourgogne, fille de Jean sans Peur, 2° Jacquette, fille du comte de Saint-Pol. Après les victoires de Verneuil et de Cravant, il ordonna la campagne sur la Loire et le siège d’Orléans à l’automne 1428, expédition confiée à Salisbury qui fut tué dès le début du siège.

*Les grands capitaines.

John TALBOT (1373-1453), comte de Shrewsbury. Commandant en chef l’armée anglaise au siège d’Orléans après la mort de Salisbury, il lève le siège le 8 mai 1429. Fait prisonnier à Patay le 18 juin 1429. Lieutenant-général d’Henri VI en Guyenne, il est tué à la bataille de Castillon le 17 juillet 1453 qui marque la fin de la guerre de Cent Ans.
William de La Poole (appelé « Guillaume La Poule » par Jeanne la Pucelle) comte de Suffolk (1396-1450), il commande la place de Jargeau investie à l’automne 1428. Il capitule le 12 juin 1429 et il est fait prisonnier. Son frère John est aussi capturé et son frère Alexander est tué.
John FASTOLF (1378-1459), issu d’une famille noble du Norfolk, servit en Irlande sous les ordres de Thomas de Lancastre puis en Gascogne. Capitaine de Harfleur en 1415, il combat à Azincourt. Henri V le fit gouverneur de la Bastille Saint-Antoine à Paris. Il subit la défaite de Patay et y acquiert – à tort – une réputation de poltron qui est à l’origine du personnage de Falstaff de Shakespeare.

Richard Beauchamp, comte de Warwick est le beau-père de Talbot. Il est gouverneur du château de Bouvreuil à Rouen. Warwick est considéré comme le plus preux chevalier de son temps.

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