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Une bombe embarquée dans tous les autocars !

À rebours de la version officielle, un retraité lorrain a identifié la cause probable de plusieurs incendies mortels de cars, comme à Beaune (53 morts en 1982) Puisseguin (43 morts en 2015), mais aussi en Allemagne, en Bulgarie, en Égypte et en Algérie… Plus de 200 morts dont 100 Français. Il a alerté les autorités. En vain.

André Léonard dénonce les risques d'incendie des autocars (DR)
André Léonard dénonce les risques d’incendie des autocars (DR)

« Comme tout le monde, j’ai cru à la version officielle de l’accident de Puisseguin. Mais en lisant le rapport du Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT), en août 2017, j’ai compris que les conclusions de l’enquête ne tenaient pas. »
Devant son ordinateur, à Terville, en Moselle, André Léonard scrute les images de l’accident, il lit et relit les différents rapports d’enquête, analyse les explications des gendarmes, écoute les témoins du drame, dessine des croquis… Voilà cinq ans que cet ancien mécanicien de poids lourds, aujourd’hui à la retraite, qui se présente comme lanceur d’alerte, essaie de comprendre pourquoi l’autocar de Puisseguin s’est embrasé au moment du choc.

Rappel des faits

L’accident est survenu le 23 octobre 2015 sur une petite route de Gironde (33), non loin de la commune de Puisseguin. Un camion semi-remorque circulant à vide s’est brusquement déporté sur sa gauche dans un virage, venant percuter un autocar transportant 47 personnes d’un club du troisième âge qui circulait en sens inverse. Sous l’effet du choc, les deux véhicules prennent feu. Le chauffeur du camion est tué sur le coup et son gamin meurt dans la fournaise, attaché sur son siège dans une cabine fragile. Dans le car, le chauffeur parvient à s’extraire et à sauver plusieurs passagers. Mais 41 personnes n’ont pas le temps de sortir du véhicule. Elles sont mortes asphyxiées et brûlées vives. C’est l’accident de car le plus meurtrier de France depuis celui de Beaune en 1982.

Violence et rapidité de l’incendie

Si les circonstances de l’accident sont assez banales, finalement, comment expliquer en revanche la violence et la rapidité de l’incendie ? C’est la question à laquelle doivent répondre les enquêteurs de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) dans le cadre de l’enquête judiciaire et le BEA-TT mandaté par le ministère des Transports.
Dès le lendemain du drame, le colonel Touron, patron de l’IRCGN explique, lors d’une conférence de presse, qu’une tige métallique servant à serrer les roues du camion, placée derrière le chauffeur, est allée percer un réservoir additionnel de carburant — non homologué – situé derrière la cabine. Sous la violence du choc, le gasoil a giclé, s’est enflammé, a été projeté sur le car qui, à son tour, a pris feu.
Cette version a été confirmée ensuite par le BEA-TT. Un film documentaire réalisé à l’IRCGN reprend ces éléments et remplace la tige métallique par « un morceau de la croix de démontage » bien plus conséquent. Surprenant.
L’accident de Puisseguin à l’épreuve du feu. (voir après 45ᵉ minute).

Emplacement du réservoir sur les cars (photo BEA-TT)
Emplacement du réservoir sur les cars (photo BEA-TT)

Le réservoir additionnel du camion n’est pas en cause

« Ces explications ne résistent pas à l’examen des faits », constate André Léonard. En effet, le feu s’est déclaré quelques instants après le choc, à un moment où des projections de carburant enflammé n’étaient plus possibles, elles auraient très certainement atteint le chauffeur resté indemne et l’auraient immanquablement transformé en torche vivante. Idem pour la passagère, rescapée à l’avant. En outre, la majorité du pare-brise restée en place (page 81 BEA-TT) a empêché d’éventuelles projections de carburant de pénétrer dans le car ! Enfin, l’incendie a pris naissance en dehors du car et non pas dans l’habitacle, comme le constate le chauffeur du car dans un entretien à BFMTV.
Bref, pour André Léonard, « le réservoir additionnel était vide, il ne peut être mis en cause dans le départ de l’incendie et ne l’a pas alimenté. » Quant à la tige métallique, « elle est passée à 10 cm du réservoir additionnel. »

Le combustible et les allumettes

Mais alors que s’est-il passé ? Selon André Léonard, c’est un autre réservoir qui est en cause : celui du car. En effet, les autocars sont équipés de deux réservoirs de 160 litres chacun, positionnés à l’avant du véhicule, entre le pare-choc et la roue. Ils sont très exposés en cas d’accident. Cet emplacement est d’autant plus dangereux que le boîtier électrique est situé devant le réservoir. Ce qui fait dire à notre lanceur d’alerte de Terville que « les cars transportent à la fois le combustible et les allumettes ».
Plusieurs éléments factuels semblent lui donner raison. Dont le témoignage du chauffeur du car qui affirme (page 24 du rapport du BEA) : « Quelques instants après le choc, un feu se déclare, entre le camion et le car, au niveau du pare-brise ». Il fait aussi état d’une « explosion ayant provoqué une boule de feu. »
Ainsi, explique André Léonard, « lors de l’accident, la roue avant gauche du camion a défoncé le boîtier électrique et le réservoir du car, projetant du carburant dans tout l’environnement proche et, surtout, sur des parties chaudes du tracteur, notamment le disque de frein ! Au contact de ces parties chaudes, le carburant s’est transformé en vapeurs, que les étincelles et arcs électriques émanant du boîtier défoncé, ont enflammées. »

Dessin du réservoir avant et après l'accident sur une photo de la gendarmerie
Dessin du réservoir avant et après l’accident sur une photo de la gendarmerie

L’asphyxie avant l’incendie

Ensuite, tout est allé très vite. Les flammes ont fait fondre les matières plastiques. Les fumées noires et toxiques ont envahi la partie haute de l’habitacle du car. Plus légères que l’air, elles ont rendu invisibles les poignées d’ouverture des trappes du toit. Mais l’ouverture des portes, en libérant l’air respirable, froid et lourd située près du sol, a marqué le début d’un compte à rebours mortel. Il a rapidement été remplacé par les fumées toxiques descendant alors au niveau des sièges. « À la deuxième respiration, on perd connaissance et on meurt. Voilà pourquoi 41 personnes ont perdu connaissance en quelques secondes et sont mortes intoxiquées dans le car avant de périr dans l’incendie. »
Les mêmes causes engendrent les mêmes effets, observe André Léonard. C’est très exactement ce qui s’est passé en 1982 à Beaune, sur l’autoroute des vacances, où l’on a déploré 53 morts dont 46 enfants. En Bavière, en 2017, 18 morts. En Bulgarie, en 2021, 44 morts. En Égypte en 2021, 10 morts, dont 4 Français. En Algérie, en 2023, 34 morts (le fait que le car a été percuté par un véhicule transportant de l’essence ne change pas l’origine de l’incendie). Sans les bidons, la destruction du réservoir et du boîtier électrique aurait quand même produit un incendie.

Des fumées noires et toxiques ont envahi la cabine (DR)
Des fumées noires et toxiques ont envahi la cabine (DR)

« Il faut changer la législation »

Les explications d’André Léonard sont d’autant plus pertinentes que 70.000 autocars en circulation aujourd’hui sur les routes de France et 50% des bus de ville sont équipés de réservoirs situés à l’avant des roues, près du boîtier électrique. Des bombes ambulantes. Il préconise donc une modification de la législation pour interdire de mettre ces réservoirs devant les roues, que les trappes du toit s’ouvrent automatiquement en cas d’incendie…
Ces points n’étant pas à l’ordre du jour, les cars de demain sont aussi dangereux que celui de Puisseguin ! Voilà pourquoi il se bat pour faire reconnaître l’origine de cet incendie de Puisseguin. Il a alerté le procureur de Libourne, le juge d’instruction en charge du dossier, le ministre des Transports, Bruxelles… Des alertes restées sans réponse.
Jusqu’au prochain drame ?

Emplacement du réservoir dans l'autocar carbonisé de Puisseguin (Photo Gendarmerie)
Emplacement du réservoir dans l’autocar carbonisé de Puisseguin (Photo Gendarmerie)
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