Dans les affaires thionvilloises opposant Yan Rutili au maire de la ville, Pierre Cuny : « Un homme a été crucifié sur l’espace public ! » Décision du tribunal, le 19 novembre 2024.
Par Bernard Aubin
Les plaidoiries de Me Poudampa, avocat de Yan Rutili, et Me Fittante, avocat du Maire de Thionville et ex-bâtonnier de Metz, auraient eu de quoi régaler les étudiants en droit. Pour mémoire, le Dr Pierre Cuny avait porté plainte contre l’ « opposant thionvillois » suite à la mise en ligne d’une énième vidéo « #Thionvileaks » intitulée « Pacte de Corruption ». Celui qui se défend d’être un lanceur d’alerte y évoquait un repas réunissant dans un restaurant de Zouftgen « un drôle de groupe » composé d’élus et de promoteurs.
« Un faux en écriture publique « ?
Une proximité qui, selon la vidéo, pourrait expliquer la vente à prix réduit des deux bâtiments en pierre de taille situés à deux pas de la gare de Thionville. Curieusement, les débats sur la potentielle diffamation se sont concentrés, sinon réduits, qu’à un seul élément « à charge ». Il s’agit essentiellement d’une liste des projets immobiliers transmise par la Ville de Thionville à un brigadier-chef suite à réquisition ordonnée par la Justice.
Aurait été délibérément écarté de cette liste la « Société Civile de Construction Vente Queneau Rive Droite », filiale du groupe Habiter, qui a acquis l’un des deux bâtiments à un prix défiant toute concurrence. « Cela ressemble à un faux en écriture publique » affirmait Yan Rutili qui enfonçait le clou, « il ne s’agirait pas d’un délit, mais d’un crime » puisque commis par une personne investie d’une mission de service public.
Un sursis à statuer
Sur la forme, l’avocat de Yan Rutili a réclamé un sursis à statuer, voire la nullité de l’action menée. Évoquant la « rigidité du droit de la presse », Maître Poudampa évoqua certaines imprécisions dans la citation : « Monsieur Rutili comprend-il ce qu’on lui reproche ? ». Le docteur Cuny a-t-il déposé plainte en tant que personne ou en tant que maire ? Cela ne renvoie pas aux mêmes articles de loi.
S’ensuivent d’autres arguments plus techniques relatifs aux conditions de dépôt d’une consignation en Alsace-Moselle… « Y a-t-il eu faux en écriture publique ? ». Si ce fait est établi dans un an et que Yan Rutili est condamné entre temps pour diffamation, « il y aura un problème pour l’administration, ce serait embarrassant ! » dénonce son Conseil. Me Poudampa rappelle qu’une plainte a été déposée par une association, en l’occurrence AC anticorruption, et demande un sursis à statuer en attente de son instruction : « une fois qu’on saura ce qu’il advient de cette plainte, ce sera plus confortable pour tous ».
« Les accusations sont graves »
La réponse de Me Fittante : « Bien sûr que M. Cuny est visé en tant que maire ! Ma qualification est la bonne. La consignation ? « Le droit local est dérogatoire ». Le sursis à statuer ? Envisageable uniquement « si la plainte émane du parquet ou du plaignant. Selon un arrêt de la Cour de cassation, il appartient au prévenu d’établir la véracité de ses propos et sans attendre un éventuel jugement ». « Il m’appartient de démontrer qu’il y a diffamation et qu’elle ne peut être contestée sans offre de preuves. Celle-ci doit être parfaite, concrète, fondée sur des critères cumulatifs ».
Et l’avocat de Pierre Cuny d’entrer dans une démonstration chronologique visant à prouver que la SCCV Quenau figurait bien à deux reprises dans les documents transmis à la police. Pour lui, Yan Rutili ne remplit pas les conditions pour être lanceur d’alerte : « il n’est pas désintéressé, il n’est pas dispensé de prudence, de bases factuelles… Les accusations sont graves… Le contradictoire proposé par M. Rutili était un piège… Un homme a été crucifié sur l’espace public ».
« Il a respecté le contradictoire »
Me Poudampa : « La partie adverse n’a pas été chercher d’autres détails infamants » dans la vidéo. Elle n’a agi que sur un seul élément. Et de relancer le débat sur le contenu de la liste des projets immobiliers transmise à la police. Pour lui, la SCCV Queneau n’apparaît dans aucune des versions. « Yan Rutili est une personnalité politique et je l’assume, donc pas un lanceur d’alerte. Nous sommes dans un débat politique, dans lequel deux personnes peuvent débattre. Il n’y a pas d’animosité personnelle contre Pierre Cuny, ni de manque de respect. M. Rutili a fait preuve de prudence et de sérieux lors de son enquête, mais il n’est pas journaliste. Il a toutefois veillé au respect du contradictoire. Il n’y a pas beaucoup de polémistes Youtubeurs qui sollicitent ainsi la partie adverse pour s’exprimer dans leurs vidéos. Le titre de sa vidéo, c’est un teasing. Quand il évoque la liste incomplète, il dit que ça ressemble à un crime. C’est deux politiques qui s’envoient des piques. Tous ces débats sont légitimes ».
Un homme « crucifié sur la place publique ». Il en fut un, il y a plus de 2000 ans, qui marqua l’Histoire. Il était également accompagné de deux malfrats dont un repenti sur le tard. À ce stade, on ne sait toujours pas quel crucifié jouera le beau rôle ou le pire. En attendant la sentence divine, la Justice des Hommes se prononcera le 19 novembre sur la diffamation… et peut-être un jour sur l’essentiel : pacte de corruption ou non ?
Compte rendu d’audience Bernard Aubin