La communauté scientifique est désemparée face au nouveau coronavirus apparu il y a un an et demi en Chine. Pour la première fois, Jean-Marc Sabatier* établit une analogie entre le coronavirus de la péritonite infectieuse féline ou PIF (non transmissible à l’homme) et le SARS-CoV-2 à l’origine de la Covid-19. Une meilleure compréhension des phénomènes physiologiques complexes communs aux deux virus permettra peut-être, demain, d’apporter une réponse médicale définitive à la pandémie. Entretien.
Similitude entre une maladie des chats et la Covid-19 ?
Jean-Marc Sabatier* en collaboration avec les responsables du laboratoire d’État de virologie de Wuhan (Chine), les Professeurs Zhijian Cao et Yingliang Wu, et les Docteurs vétérinaires Pierre Petruzzi (Clinique Vétérinaire de l’Albanne à Barberaz, Savoie) et Philippe Durieux (CHV Les Cordeliers, Meaux).
Vous avez mis en évidence les étranges similitudes qui existent entre une maladie des chats et la Covid-19. Pouvez-vous nous expliquer ?
La péritonite infectieuse féline (PIF) est une maladie virale du chat provoquée par un alpha-coronavirus, alors que le SARS-CoV-2 responsable de la Covid-19 est un bêta-coronavirus. Il s’agit de virus apparentés. Le virus de la PIF est contagieux pour les chats, mais ne se transmet pas aux autres espèces, notamment aux humains. La PIF est bien connue et documentée depuis les années 1980. On sait que les virus de la PIF sont des coronavirus entériques devenus pathogènes à la suite de mutation(s), et concernent soit les jeunes chats (de 3 mois à 3 ans), soit les chats âgés (de 10 à 15 ans). Les pathologies associées à la PIF sont similaires aux maladies de la Covid-19.
C’est-à-dire ?
Les signes cliniques de la PIF sont très polymorphes, comme la Covid-19, et se répartissent en formes « sèche » et « humide ». Dans la forme « sèche », on retrouve de possibles atteintes oculaires, ainsi que des atteintes granulomateuses au niveau des poumons, des reins, du foie, du système nerveux central, des ganglions, des intestins, accompagnés d’éventuels troubles neurologiques…
La forme « humide » se manifeste par des épanchements au niveau de l’abdomen ou du thorax par une inflammation de la plèvre (pleurésie), d’une inflammation du péritoine (péritonite) qui sont également bien définies dans la Covid-19.
Il existe d’autres manifestations cliniques communes aux deux formes de la maladie : les inflammations d’organes, les thromboses, les thrombocytopénies, les coagulopathies, etc.
Les formes « sèche » et « humide » peuvent coexister, ou se succéder. L’infection des macrophages par le virus de la PIF est parfois responsable d’une vascularite granulomateuse mortelle chez le chat.
Que sait-on encore de cette maladie des chats ?
Le virus de la PIF peut être latent et inoffensif pendant des années (jusqu’à 14 ou 15 ans) ou se multiplier et devenir mortel en peu de temps. L’évolution vers les formes graves se fait en moyenne sur 2 à 5 semaines. Si les chats ne peuvent pas transmettre le virus de la PIF à l’homme, en revanche, les chats peuvent être (exceptionnellement) infectés par le SARS-CoV-2 responsable de la Covid-19. La latence observée pour le virus de la PIF pose la question de la possible latence du SARS-CoV-2 compte tenu de la similitude qui existe entre les deux virus.
Quel est le mode de transmission du virus chez les chats ?
Le virus se transmet de la mère aux chatons. Le virus est présent dans les selles et peut facilement infecter les autres chats, notamment dans les refuges et chatteries.
Quelles sont les similitudes entre les virus du chat et le SARS-CoV-2 ?
Les virus de la PIF et le SARS-CoV-2 sont tous deux des coronavirus enveloppés à ARN simple brin, de sens positif. Cela signifie que, bien que l’un soit de la famille alpha et l’autre de la famille bêta, ils sont tous deux très proches et d’origine zoonotique.
En fait, ces deux virus s’attaquent au système rénine-angiotensine (SRA) de l’hôte, et la sur-activation de ce système déclenche des troubles et pathologies comparables, bien que les deux virus agissent sur des récepteurs cellulaires distincts.
Le virus de la PIF a pour récepteur cellulaire une molécule appelée « Amino-peptidase N » (APN). Il s’agit d’un récepteur de surface que l’on retrouve dans les intestins, les reins, les poumons, les cellules épithéliales et endothéliales, etc. L’APN transforme l’angiotensine 3 en angiotensine 4. Or, l’angiotensine 3 a pour cible le récepteur AT1R, responsable de la Covid-19.
Et l’autre virus, le SARS-CoV-2 ?
Le SARS-CoV-2 se fixe sur le récepteur ECA2 et conduit à une augmentation de l’angiotensine 2 qui provoque, là encore, une sur-activation du récepteur AT1R très délétère puisqu’il est responsable de la Covid-19.
En d’autres termes, les deux virus vont cibler le récepteur AT1R (chat ou humain) en passant par des chemins différents.
Ce qu’il faut comprendre c’est que l’APN et l’ECA2 sont des composés du SRA qui est un système physiologique majeur pour le fonctionnement de l’organisme, qu’il s’agisse des fonctions rénales, cardio-vasculaires ou pulmonaires. Il est impliqué aussi dans le microbiote intestinal et l’immunité innée, aussi bien chez le chat que chez l’homme.
Qu’en déduisez-vous ?
Les maladies du chat induites par le virus de la PIF sont comparables à celles provoquées par le SARS-CoV-2. Il n’existe aucun traitement particulier pour le chat sauf des médicaments de confort. Il faudrait des inhibiteurs du SRA.
Il n’existe pas de vaccin pour la PIF ?
Il y a eu des essais de vaccination à l’aide de virus PIF inactivés. Les jeunes chats ont été vaccinés avec une souche avirulente du virus. Mais cette vaccination ne les a pas protégés contre une inoculation du virus virulent par voie oro-nasale. Au contraire, les animaux vaccinés ont été plus facilement infectés que les chats non vaccinés.
Cette absence de protection suggère l’existence d’un phénomène appelé ADE pour « antibody-dependent enhancement » (facilitation dépendante des anticorps). L’ADE engendre une succession d’événements que l’on retrouve dans plusieurs maladies virales (VIH, dengue, Ebola…). Les virus infectent les cellules par un mécanisme qui repose sur l’interaction entre des anticorps dits « facilitants » (à l’opposé des anticorps « neutralisants » protecteurs), et le virus.
C’est inattendu. Le vaccin peut-il favoriser la maladie ?
En effet, les anticorps « facilitants » permettent au virus de mieux pénétrer dans les cellules cibles. Ce mécanisme favorisant l’infection des cellules par le virus s’avèrerait problématique s’il se retrouvait lors de la vaccination contre le SARS-CoV-2. Le remède serait alors pire que le mal. Il est néanmoins possible de contourner le problème posé par l’ADE lors de la vaccination.
*Jean-Marc Sabatier, Directeur de recherches au CNRS et Docteur en Biologie Cellulaire et Microbiologie, affilié à l’Institut de NeuroPhysiopathologie (INP), à l’université d’Aix-Marseille. Editeur-en-Chef des revues scientifiques internationales : « Coronaviruses » et « Infectious Disorders – Drug Targets » (DR)
Prochain article : Une piste pour un vaccin efficace contre la Covid-19