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Et si le « SRA » expliquait la Covid-19 ?

Histoire d’une découverte fondamentale française, celle du Pr Jean-Marc Sabatier, qui pourrait bouleverser la compréhension et le traitement de cette maladie décidément bien mystérieuse. Entretien.

Jean-Marc Sabatier
Jean-Marc Sabatier, Directeur de recherches au CNRS et Docteur en Biologie Cellulaire et Microbiologie, affilié à l’Institut de NeuroPhysiopathologie (INP), CNRS UMR 7051, de Marseille. Editeur-en-Chef des revues scientifiques internationales : « Coronaviruses » et « Infectious Disorders – Drug Targets ».

Jean-Marc Sabatier nous révèle cette découverte fondamentale qu’il a faite avec des virologues de Wuhan (Chine) en mars 2020 (publiée en avril) : « des maladies COVID-19-like apparaissent lors du dysfonctionnement d’un système hormonal/physiologique ubiquitaire dans le corps humain, appelé système rénine-angiotensine SRA, et ceci même en l’absence du virus SARS-CoV-2 ».

Le « vrai » responsable ?

-Jean-Michel Wendling : Quel serait, selon vous, le « vrai » responsable des manifestations de la COVID-19 ?

Jean-Marc Sabatier : Le système rénine-angiotensine (SRA) est le « vrai » responsable de la COVID-19, et le SARS-CoV-2 est l’huile que l’on met sur le feu. En effet, des maladies dites « COVID-19-like » peuvent survenir même en absence de virus, lorsque le SRA s’est emballé et fonctionne trop fort.

Dès mars 2020, j’avais repéré les analogies extraordinaires entre les conséquences d’une infection au SARS-CoV-2 et celles d’un dysfonctionnement de ce système « clef ». Ces analogies ont été rapportées dans une publication scientifique (acceptée en avril) (1) que cosignent également le Dr. Emmanuelle Faucon et mes autres collaborateurs, les Prof. Zhijian Cao et Yingliang Wu, directeurs du laboratoire de virologie de Wuhan (Chine). Lors de l’infection par le virus SARS-CoV-2, ce dernier se fixe sur le récepteur ECA2 (enzyme de conversion de l’angiotensine 2) des cellules-cibles qui a normalement pour fonction de dégrader l’angiotensine 2. Cette fixation du SARS-CoV-2 au récepteur ECA2 empêche ainsi une dégradation normale de l’angiotensine 2, ce qui entraîne une augmentation de sa concentration et une sur-activation de sa cible cellulaire, le récepteur AT1R.

-JMW : De quoi s’agit-il?

JMS : Le récepteur AT1R suractivé est très délétère pour le corps humain par le biais du très néfaste orage de cytokines libérées (TNF-alpha, interféron-gamma, interleukine-6, interleukine-1-beta, etc.). Ces médiateurs sont à l’origine d’une évolution vers les formes graves (voire mortelles) de la COVID-19.

Le système rénine-angiotensine (SRA) (1,2) est un système hormonal/physiologique « clef » que l’on retrouve partout dans le corps humain et particulièrement dans les poumons, reins, intestins, cœur, cerveau, testicules, vaisseaux sanguins, ainsi que les cellules du système immunitaire « inné » (monocytes circulants, macrophages, cellules dendritiques/cellules présentatrices d’antigènes, cellules Natural Killer, etc.). Le SRA contrôle l’immunité « innée » (réponse non spécifique « immédiate » aux agents pathogènes) et le microbiote intestinal.

Des COVID-19 sans virus ?

JMW : Quelles seraient les maladies « COVID-19-like » dont le SRA serait responsable sans présence du virus ?

JMS : Le SRA est responsable des maladies « COVID-19-like » via une sur-activation de son récepteur « délétère » AT1R (1). Ce récepteur activé induit principalement une vasoconstriction/hypertension, une inflammation, un stress oxydatif, une chute du monoxyde d’azote, une hypertrophie et une fibrose d’organes. Cet effet « délétère » se traduit par l’apparition potentielle de  symptômes et maladies tels que : hypertension artérielle, athérosclérose, hypertrophie (cœur, vaisseaux sanguins), fibrose (cœur, poumons, reins, foie), insuffisance cardiaque, atteintes rénales et pulmonaires (dont le syndrome de détresse respiratoire aigüe, et l’asthme), anosmie (perte d’odorat), agueusie (perte de goût), désordres neurologiques / troubles de la mémoire, diarrhée, inflammations intestinales et vasculaires, dysfonctionnement du métabolisme lipidique, obésité et action sur le métabolisme du glucose (diabète),  thrombose / coagulopathie, lésions cutanées et testiculaires (1,2,3,4). En outre, il apparait que le SRA « dérégulé » pourrait être étroitement lié au déclenchement de troubles neurologiques, cancers, et autres maladies auto-immunes (sclérose-en-plaques, poly-arthrite rhumatoïde, etc.), par ses actions sur le système nerveux central, la prolifération et l’adhésion cellulaire, et l’immunité « innée ».

La connaissance approfondie des répercussions physiologiques d’un « emballement » du SRA permet finalement de décrire, comprendre, et anticiper l’ensemble des maladies COVID-19 associées à une infection par le SARS-CoV-2.

La vitamine D au centre de tous les espoirs

-JMW : Ce système rénine-angiotensine (SRA), dans son emballement « délétère », pourrait-il être freiné par des médicaments déjà sur le marché ou des médicaments candidats ?

JMS : Oui, les maladies (et symptômes) COVID-19 pourraient être contrecarrées, voire traitées, par des molécules capables de « freiner » une suractivation du SRA. Plusieurs molécules connues sont des « freins » du SRA suractivé : la vitamine D (1,5,6), la dexaméthasone, corticoïde largement utilisé dans les formes avancées de la COVID-19, mais également certains produits de dégradation de l’angiotensine (angiotensine 1-7, angiotensine 1-9, alamandine, angiotensine A, et angiotensine IV actifs respectivement sur les récepteurs cellulaires MasR, AT2R, MRGD, ECA2, et AT4R) (7,8).

Parmi ces molécules, la vitamine D est très importante. Elle peut être facilement administrée et présente un faible coût. Elle est indispensable chez les personnes déficientes (cholecalciférol ou vitamine D3). Une telle supplémentation est nécessaire, particulièrement en cette période de pandémie virale (5), et compte-tenu de la déficience/carence en vitamine D de la majorité de la population.

Covid-schéma
La fixation du coronavirus SARS-CoV-2 sur son récepteur cellulaire ECA2 (enzyme de conversion de l’angiotensine 2) gêne la dégradation de l’angiotensine 2 par ECA2 qui, en excès, induit la sur-activation du récepteur cellulaire AT1R. La sur-activation du SRA a des effets très délétères sur l’organisme, entraînant notamment l’apparition de maladies COVID-19.

En France, selon l’étude nationale Nutrition Santé 2006-2007, la prévalence de l’insuffisance en vitamine D montre que 79 % des hommes et 81 % des femmes avaient une concentration sérique en calcidiol (forme dosée dans le sang de la vitamine D hydroxylée par le foie) inférieure à 75 nmol/l (seuil optimal). Pour 36 % des hommes et 49 % des femmes elle était inférieure à 50 nmol/l (déficit modéré) et inférieure à 25 nmol/l (déficit sévère) pour 4 % des hommes et 6 % des femmes.

En 2019, le GRIO (Groupe de Recherche et d’Information sur les Ostéoporoses) propose chez les patients à risque, après dosage du taux initial, un schéma de 50 000 UI de vitamine D (cholécalciférol) par semaine pendant 4 à 8 semaines en fonction du déficit. Cette période de « recharge » rapide pourrait ensuite être suivie par un traitement au long cours par 50 000 UI/mois dont on vérifiera l’efficacité au bout de 3 à 6 mois. Ce dosage supplémentaire du calcidiol est nécessaire en raison de la très importante variabilité inter-individuelle de l’élévation du calcidiol après la prise d’une dose donnée de vitamine D3, certains patients n’élevant que très peu leur concentration de calcidiol alors que chez d’autres, l’augmentation est très importante. L’intoxication à la vitamine D est rare mais peut être provoquée par une supplémentation quotidienne à des doses trop élevées. Selon l’Académie Nationale de Médecine, l’intoxication à la vitamine D ne serait pas associée à des concentrations de calcidiol inférieures à 250 nmol/l, ce qui laisse une marge extrêmement importante entre seuil optimal (75 nmol/l) et risque de surdosage.

La vitamine D freine donc le SRA suractivé en inhibant la sécrétion de rénine par les reins. Elle permet en outre la régulation de l’expression de 291 gènes (près de 1000 gènes en forte supplémentation), dont des gènes de l’immunité « inné » et « adaptative/acquise ». Son action sur le corps humain est très bénéfique et permet un bon fonctionnement du système immunitaire pour combattre les divers agents pathogènes (elle induit la production de composés anti-microbiens spécifiques, dont la cathélicidine et des défensines). La vitamine D permet d’éviter une évolution vers des formes graves de la COVID-19 lors de l’infection par SARS-CoV-2, tout en réduisant la probabilité d’être contaminé et la durée de portage viral (6).

L’Académie de Médecine a très tôt recommandé (communiqué de presse du 22 mai 2020) la supplémentation en vitamine D encore insuffisamment connue à ce jour.

Des anti-hypertenseurs utiles

Il est montré très récemment que les inhibiteurs du récepteur ECA et les bloqueurs/antagonistes d’AT1R utilisés pour le traitement de l’hypertension sont aussi des « freins » efficaces du SRA (1).

Dans une étude rétrospective multi-centrique publiée le 30 octobre 2020, sur 2190 patients adultes admis pour la COVID-19 confirmée en laboratoire dans trois centres participants, l’évolution clinique, la dyspnée et la fatigue ont été significativement améliorées chez les patients, en particulier ceux âgés de plus de 65 ans, qui prenaient des anti-hypertenseurs impliqués dans le SRA.  En outre, les résultats cliniques ont été significativement améliorés (statistiquement) chez les patients qui prenaient des anti-hypertenseurs après ajustement statistique en fonction des âges, du sexe, de la tension artérielle de base et des conditions médicales coexistantes (9).
Une équipe italienne a montré, en cohérence avec nos travaux, que sur 411 patients hypertendus âgés de plus de 68 ans, les inhibiteurs de ECA et les inhibiteurs/antagonistes de AT1R étaient associées à une mortalité COVID-19 plus faible, après ajustement sur 32 variables des antécédents médicaux (10).

Des « nouvelles » molécules candidates

Selon un chercheur Indien de l’ICMR (Institut National de Recherche sur le Sida) et également en cohérence avec nos découvertes, les agonistes du récepteur MasR ont également montré des effets protecteurs d’organes dans plusieurs études animales. Néanmoins, ces agonistes n’ont pas été testés dans des études cliniques. Leur évaluation chez les patients atteints et gravement malades de la COVID-19 est urgemment recommandée par le Prof. Ashwini Shete afin de réduire la mortalité associée à l’infection virale (8).

JMW : Souhaitez-vous rajouter quelque(s) information(s) particulière(s) sur le SRA dans la COVID-19 ?

JMS : Oui. Il a été rapporté que les hommes sont statistiquement plus sensibles au SARS-CoV-2 que les femmes, les enfants étant moins touchés que les adultes. Il est intéressant de noter que l’activité du SRA (par exemple, l’expression ECA2) varie entre les hommes et les femmes (ce système est porté par le chromosome sexuel X) ; elle varie également fortement en fonction de l’âge, de la naissance à la mort d’un individu (enfants par rapport aux adultes).

JMW : Cette découverte est un immense espoir pour la prise en charge des malades, merci Jean-Marc Sabatier !

Propos recueillis par le Dr Jean-Michel Wendling, conseiller scientifique pour  infodujour.fr

Dernière heure. La vitamine D est désormais plébiscitée par la communauté scientifique comme en atteste cet article intitulé « Des experts envoient une lettre ouverte sur la vitamine D et le Covid-19 aux gouvernements du monde« .

Et aussi une méta-analyse sur le sujet

Références

  1. SARS-CoV-2 & COVID-19: Key-roles of the renin-angiotensin system / Vitamin D impacting drug and vaccine developments. Cao, Z., Wu, Y., Faucon, E., Sabatier, J.M., Infectious Disorders-Drug Targets, 20, 348-349 (2020). Doi: 10.2174/1871526520999200505174704
  2. ACE2 – From the renin-angiotensin system to gut microbiota and malnutrition. Perlot, T., Penninger, J.M., Microbes and Infection, 15, 866-873 (2013).
  3. Montelukast drug may improve COVID-19 prognosis: a review of evidence. Barré, J., Sabatier, J.M., Annweiler, C., Frontiers in Pharmacology, 11:1344 (2020). Doi: 10.3389/fphar.2020.01344.
  4. Neurological, cognitive and behavioral disorders during Covid-19: the nitric oxide track. Annweiler, C., Bourgeais, A., Faucon, E., Cao, Z., Wu, Y., Sabatier, J.M., Journal of American Geriatrics Society, 10.1111/jgs.166671 (2020). Doi: 10.1111/jgs.166671
  5. Point of view: Should COVID-19 patients be supplemented with vitamin D? Annweiler, C., Cao, Z., Sabatier, J.M., Maturitas, 140, 24-26 (2020). Doi: https://doi.org/10.1016/j.maturitas.2020.06.003
  6. Vitamin D and survival in COVID-19 patients. A quasi-experimental study. Annweiler, C., Hanotte, B., de l’Eprevier, C.G., Sabatier, J.M., Lafaie, L., Célarier, T. J. Steroid Biochem. Mol. Biol. 204, 105771 (2020). Doi: 10.1016/j.jsbmb.2020.105771
  7. Counter-regulatory ‘renin-angiotensin’ system-based candidate drugs to treat COVID-19 diseases in SARS-CoV-2-infected patients. Annweiler, C., Cao, Z., Wu, Y., Faucon, E., Mouhat, S., Kovacic, H., Sabatier, J.M., Infectious Disorders-Drug Targets, 20, 407-408 (2020). Doi: 10.2174/1871526520666200518073329
  8. Urgent need for evaluating agonists of angiotensin-(1-7) /Mas receptor axis for treating patients with COVID-19. Shete, A., International Journal of Infectious Diseases, 96, 348-351 (2020). Doi: 10.1016/j.ijid.2020.05.002
  9. Antihypertensive drugs are associated with reduced fatal outcomes and improved clinical characteristics in elderly COVID-19 patients. Yan, F., Huang, F., Xu, J., Yang, P., Qin, Y., Lu, J., Zhang, S., Ye, L., Gong, M., Liu, Z., Wei, J., Xie, T., Xu, K.F., Gao, G.F., Wang, F.S., Cai, L., Jiang, C., Cell Discovery, 6(1), 77 (2020). Doi: 10.1038/s41421-020-00221-6
  10. Exposure to renin-angiotensin system inhibitors is associated with reduced mortality of older hypertensive Covid-19 patients. Gori, M., Berzuini, C., D’Elia, E. et al (pré-publication) medRxiv 2020.12.15.20247999; doi: https://doi.org/10.1101/2020.12.15.20247999
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