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Trop de lois, trop de textes compliqués 2/2

Même les meilleurs juristes ont du mal à s’y retrouver dans le maquis des lois, décrets, règlements et autres directives européennes applicables en France. Voici ce que nous écrivions dans « Les dessous des Affaires judiciaires »*

La réforme de la justice fortement contestée par les acteurs judiciaires (DR)
La réforme de la justice fortement contestée par les acteurs judiciaires (DR)

Trop de lois de circonstance 2/2

Il faut bien le reconnaître, il y a trop de lois de circonstance. Les politiques sont tentés de faire des lois pour « acheter » une clientèle sur le marché politique. « Le moindre fait divers donne lieu à l’adoption d’une loi nouvelle votée dans la précipitation » déplorait en 2008 Bruno Thouzellier, alors président de l’Union syndicale des magistrats (USM). Cela n’a pas changé depuis, bien au contraire !
« Les lois ne sont plus stables, car le législateur réagit à chaque catastrophe, à chaque scandale, à chaque fois que la loi en place paraît inadaptée, confirme Jean-Michel Darrois. On voit donc se multiplier des lois de plus en plus longues et illisibles et le législateur intervient non plus pour régler des équilibres généraux, mais pour essayer de pondérer des situations individuelles. »

L’utilité du droit

Dans un rapport de 2006 consacré à la sécurité juridique, le Conseil d’État souligne que « pour le citoyen, le droit devient instable, peu lisible et en partie inaccessible ». De fait, le nombre de textes de portée générale en vigueur ne cesse d’augmenter. Or, 10% des articles d’un code changent chaque année. Dans ces conditions, il devient difficile et parfois impossible pour le citoyen ou le chef d’entreprise de connaître la loi et d’organiser ses comportements d’investissement ou de consommation en fonction de celle-ci.
« Il faut se poser la question de l’utilité du droit, précise Me Darrois. Lorsque les rédacteurs du Code civil ont présenté leur projet, ils ont expliqué, par la voix d’un très célèbre juriste nommé Portalis, que la loi devait régir les masses alors que la jurisprudence devait régler les situations individuelles. Il y avait peu de lois. Elles fixaient les principes généraux. C’étaient nos traditions juridiques. Et le juge n’intervenait qu’à l’occasion de conflits pour adapter, interpréter la loi. Il lui était interdit de rendre des arrêts de règlement. Et les lois, au fond étaient assez stables. Aujourd’hui, les choses sont tout à fait différentes. »

Des textes illisibles

« Les lois et la jurisprudence doivent donc être claires, compréhensibles et prévisibles, martèle Jean-Michel Darrois. Mais cette banalité ne semble pas inspirer en permanence nos législateurs et nos juges… Quant aux textes européens, résultats de compromis laborieux marqués par des cultures juridiques différentes, ils sont souvent difficiles à traduire dans notre législation. La réforme, la nouveauté, n’obligent pas à faire tourbillonner lois, règlements, directives européennes ou décisions de justice qui créent une confusion, un « ras-le-bol » au moins aussi fort qu’en matière fiscale. »
Car, l’instabilité et l’inflation législative, sont source d’insécurité juridique. Insécurité aggravée par la qualité des textes. En effet, les lois ne sont plus rédigées par les parlementaires et les juristes, mais par de hauts fonctionnaires, la plupart du temps énarques. L’administration a « pris possession du pays » constate Alain Lambert, ancien ministre, président de la Commission consultative d’évaluation des normes.
« La France est un pays qui s’enivre de droit, dit-il, l’un des pays au monde qui a le plus de textes. La fatalité française, c’est de croire que c’est par la loi que l’on peut résoudre tous les problèmes. » Il ajoute : « Le droit est devenu d’une telle complexité qu’il n’y a quasiment pas un seul politique capable de rédiger lui-même une proposition de loi : sur 1.000 signes de textes législatifs, 950 sont issus de la plume d’un haut fonctionnaire. La part du politique dans le fonctionnement du pays est devenue résiduelle, hors la communication. »
Les coûts engendrés par le trop-plein et la complexité des lois sont considérables. Ils sont estimés entre 60 et 80 milliards d’euros selon les chiffres de l’OCDE.

Un enjeu économique majeur

La simplification des règles est par conséquent un enjeu économique majeur pour le pays. Par exemple, réaliser une opération de logement prend six ans. « Deux ans pour la construction et quatre ans pour les procédures » !
À l’évidence, l’instabilité des normes paralyse l’économie. « En cette période où se conjuguent crise économique, démembrement industriel, explosion du chômage et dégradation aiguë des finances publiques, il serait irresponsable de ne pas s’attaquer au problème des normes et au rapport que notre société entretient avec le Droit » écrivent Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, maire du Mans dans le Rapport de la Mission de lutte contre l’inflation normative qu’ils ont remis en mars 2013 au Premier ministre. Les auteurs dénoncent « le passage progressif d’un État de droit à un état de paralysie par le droit » puisque « trop de loi tue la loi », c’est bien connu.

 

  • « Les dessous des Affaires judiciaires » Marcel GAY et Frédéric Crotta (Max Milo éditeur) 2014
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