Julien Ruaro a eu la surprise d’apprendre qu’il avait démissionné du conseil municipal de Coin-lès-Cuvry (57) en janvier 2024. Une lettre recommandée dont il n’est pas l’auteur avait été adressée au maire. Audience en référé le 29 avril à Strasbourg.
C’est une histoire de fous. Une de plus. Elle a pour cadre Coin-lès-Cuvry, commune d’environ 800 habitants dans la banlieue de Metz. Et pour acteur principal Julien Ruaro, la quarantaine, ingénieur centralien, élu au conseil municipal en 2020. Début janvier 2024, l’élu s’étonne de n’avoir pas reçu de convocation pour la séance du conseil du 31 janvier. À la mairie, surprise : « la secrétaire me dit que j’ai démissionné ». À preuve, dit-elle, une lettre recommandée reçue le 23 janvier. Elle est bel et bien signée « Julien Ruaro ». La missive commence ainsi : « Je vous informe de ma démission du conseil municipal.» Dans cette la lettre d’une page, l’élu y explique les raisons de la décision et dénonce des dysfonctionnements dans la gestion de la commune.
« On m’a viré de la mairie »
Dès réception du recommandé, Anne-Marie Linden-Guesdon, maire de Coin-lès-Cuvry, accepte aussitôt la démission de son conseiller. Sans prendre la peine de l’appeler. Elle écrit au préfet le 24 janvier : « J’ai pris acte de sa démission avec effet le 23 janvier 2024 ». La démission devient alors définitive.
Julien Ruaro conteste vigoureusement être l’auteur de cette lettre. Il dépose plainte à la gendarmerie pour usurpation d’identité, faux et escroquerie aggravée. Fort de cette plainte et d’une attestation confirmant ne jamais avoir démissionné, l’élu se rend au conseil municipal du 31 janvier. « J’ai prévenu que sans ma participation, la tenue des conseils municipaux serait irrégulière, entraînant leur illégalité. Mme le maire n’a rien voulu entendre : à l’ouverture de la séance, elle m’a carrément imposé de quitter la salle ! La majorité se réjouit de ne plus avoir de contradicteur dans les débats… là où la mairie elle-même devrait porter plainte pour cette atteinte grave à la démocratie. Au contraire, tout est fait depuis trois ans pour me faire taire. »
Une cinquantaine d’appartements
Il est vrai que les relations entre Julien Ruaro et plusieurs élus de la majorité ne sont pas très cordiales. Car dès le début de son mandat, Julien Ruaro constate « des irrégularités » et il le fait savoir. Notamment les conditions d’attribution et de réalisation d’un projet immobilier d’une cinquantaine d’appartements, confié à un promoteur. Il alerte la préfecture. Les mois passent et Julien Ruaro découvre de nouvelles irrégularités. « Je n’hésite pas à m’opposer, même seul, à ce qui me semble illégal : c’est mon devoir de conseiller municipal que d’être vigilant » explique Julien Ruaro, sans étiquette politique.
Les refus d’accès aux documents le décident à déposer lui-même une plainte pour « prise illégale d’intérêts ». Une enquête de gendarmerie confirme l’infraction. L’affaire est cependant classée par le parquet de Metz. Affaire classée également par le parquet général.
La mairie de Coin-lès-Cuvry refuse de lui transmettre des documents ? Il faudra une décision du tribunal administratif pour l’obliger à respecter la loi. L’élu met en avant de graves préjudices pour la commune, constatant la disparition d’un parking public et d’une voirie à rétrocéder entre la promesse de vente et l’acte de vente. « La situation est bloquée : pour défendre l’intérêt général, il faudrait que la mairie se constitue partie civile. Or, évidemment, l’exécutif refuse toutes mes demandes de mettre à l’ordre du jour du conseil municipal une plainte contre lui-même ! »
Des représailles insensées
En parallèle, Julien Ruaro et sa famille font l’objet de représailles insensées. Par exemple, la société immobilière porteuse du projet, lui réclame 700. 000 € pour l’annulation de la réservation de 29 appartements. Procédure jugée « nulle » par le tribunal pénal, réitérée au civil alors même que preuve a été obtenue que toutes les annulations sont antérieures aux faits reprochés.
La mairie s’en prend à un jardin, prix régional de la biodiversité, que la famille Ruaro réalise bénévolement sur des parcelles louées à la mairie depuis 2020 : courrier pour faire invalider leur subvention de la Région Grand Est, résiliation anticipée du bail de neuf ans avec demande de remise à l’état initial. Une plainte de la mairie pour « injures publiques » a même été déposée contre son épouse. Celle-ci est relaxée avec la reconnaissance que la mairie n’était pas même visée dans les propos litigieux ; la mairie a fait appel.
Les attaques personnelles lors des conseils municipaux (enregistrés) portent atteinte à la réputation de l’élu. Ce n’est pas sans conséquences dans un petit village où tout le monde connaît tout le monde.
Fini ? Pas encore. Un signalement auprès des services sociaux de la Moselle pour maltraitance sur les enfants entraîne une enquête dans la famille Ruaro. Petit souci : l’association à l’origine de la dénonciation n’existe pas. Après le classement du dossier, plainte est donc déposée pour dénonciation calomnieuse.
Lecoincoindechaine.fr
Ces attaques, les tracas et les frais de justice qui vont avec ont-ils eu raison de l’élu ? Certainement pas. Car Julien Ruaro, très attachés; dit-il, aux valeurs démocratiques et aux principes du droit, reste combatif. Il est reconnu lanceur d’alerte par le Défenseur des droits et anime un site internet intitulé « lecoincoindechaine.fr » et la page Facebook homonyme « le Coin-Coin déchaîné », dans laquelle il informe la population de Coin-lès-Cuvry de son action d’opposant. Il publie les documents, les délibérations, rédige des tracts.
Les représailles continuent et innovent : cette étrange affaire de fausse démission du conseil municipal du 23 janvier 2024 semble être une première en France. Le 29 avril, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg dira si Julien Ruaro reste « démissionné » par cette lettre qu’il n’a jamais écrite. Ou si la justice ordonne sa réintégration.
Affaire à suivre…
Réponse de Mme la maire de Coin-lès-Cuvry
Nous avons joint Anne-Marie Linden-Guesdon, maire de Coin-lès-Cuvry, par téléphone et par mail pour lui demander son point de vue. Mme la maire nous a répondu : « J’ai pris connaissance de votre mail. Celui-ci évoque plusieurs points sensibles encore en instance de jugement. Je vous propose donc de nous rencontrer courant de semaine afin d’échanger sur ces différents sujets. Il me semble nécessaire de traiter avec précision et prudence de ces affaires. »
Nous rencontrerons volontiers Madame la maire lorsqu’elle souhaitera nous recevoir. Et nous publierons avec plaisir ses observations.
M. G.