La vie mouvementée de la Pucelle est connue. Pourtant, elle n’a duré qu’un peu plus de deux ans.
Lorsqu’il meurt, le 31 octobre 1422 à Paris, Charles VI laisse un royaume dévasté. La guerre contre l’Angleterre, commencée en 1337, a fait des ravages énormes dans les villes et dans les campagnes où sévit la famine. L’élite de la chevalerie française a été décimée à la bataille d’Azincourt, le 25 octobre 1415. Ne restent sur les champs de batailles que des adolescents pour combattre l’ennemi. Ils s’appellent Gilles de Rais, Charles d’Albret, Jean, Bâtard d’Orléans, la Hire, Xaintrailles, Jean d’Alençon. Ce sont les frères d’armes de Jeanne la Pucelle.
Pourquoi cette guerre qui n’en finit pas ? Le traité de Troyes de 1420 prévoit que le royaume de France est livré au petit roi d’Angleterre, Henri VI, Français par sa mère, Catherine, et Anglais par son père, le roi Henri V. Mais Charles de Valois refuse de céder la couronne de France à son neveu. Sa belle-mère, Yolande d’Aragon, ne veut pas davantage que ce traité soit appliqué. Yolande est une Valois, une vraie patriote, comme on dirait aujourd’hui.
Dans les faits, depuis 1422 il y a donc deux rois de droit divin, Charles et Henri qui se disent, tous deux, roi de France. C’est donc à Dieu de trancher. Jeanne sera sa messagère.
Jeanne court une lance
1428. Du côté de Domrémy, une jeune fille prétend recevoir ses ordres du Ciel. Elle veut aller par devers le roi Charles qui tient sa cour à Chinon. Jeanne se présente une première fois à Vaucouleurs : elle est éconduite par le capitaine de la place, le robuste Robert de Baudricourt.
Elle se présente une deuxième fois à Vaucouleurs quelques semaines plus tard. Mais, cette fois, on l’écoute. Mieux : elle est appelée à la cour de Charles de Lorraine.
Jeanne se rend donc à Nancy avec l’un de ses cousins. Elle rencontre à cette occasion René d’Anjou, le futur Bon roi René, futur duc de Lorraine et de Bar, fils de Yolande d’Aragon.
Jeanne est invitée à courir une lance. Elle fait la démonstration de ses talents de cavalière. Les meilleurs cavaliers sont « esbaillis ». Le duc Charles est subjugué par cette fille du pays de Barrois. Il lui offre quatre pièces d’or et un superbe cheval noir pour son voyage vers le roi. Le vieux duc de Lorraine ayant appris les pouvoirs surnaturels de Jeanne lui fait aussi une curieuse supplique. Il lui demande d’intercéder en sa faveur auprès de Dieu pour l’aider à se remettre en santé. La Pucelle lui conseillera de s’occuper un peu moins de sa jeune et belle maîtresse, Alison du May et un peu plus de son épouse.
13 Février 1428. A son retour de Nancy, le dimanche des Bures 1428, Jeanne est enfin autorisée à partir pour Chinon en compagnie d’une petite troupe conduite par Colet de Vienne, officier du Roi.
Après 11 jours de voyage, Jeanne et ses compagnons arrivent à Chinon. Elle rencontre le roi une première fois. Elle le reconnaît « grâce à ses voix » parmi ses courtisans. « Elle fit les révérences accoutumées à faire aux rois comme si elle eut été nourrie à la cour » nous dit le chroniqueur Jean Chartier, historiographe de Charles VII.
Ce jour-là, Jeanne confie au roi un secret que, six siècles plus tard, nous ne connaissons toujours pas. Mais dès cet instant Jeanne est traitée en véritable princesse du sang. Elle est logée dans tour du Coudrai où furent détenus les derniers Templiers. Les plus hauts dignitaires du royaume viennent la consulter. Les dames de la cour sont à son service.
Or, Jeanne n’a encore accompli aucun exploit militaire.
Peut-on penser que cet accueil puisse être réservé à une simple paysanne au début du 15ème siècle ?
L’arme psychologique
Jeanne veut une armée. Elle veut combattre les Anglais. C’est la mission que Dieu lui a confiée. A-t-elle les moyens de se battre contre les Anglais et leurs redoutables longs bows ? Sans doute. Car Jeanne a une arme plus redoutable encore que les arcs et les bombardes : l’arme psychologique. Dieu est de son côté, saint-Michel, le chef des milices célestes est son conseiller. Qui peut en douter ? Jeanne va accomplir des miracles, de nombreuses prophéties annoncent sa venue depuis des années…Marie Robine, Elisabeth de Hongrie, et même Merlin ont prédit « qu’une Vierge de la forêt des Chênes (le bois chenu de Domrémy) chevaucherait contre le dos des archers (les Anglais) »
Jeanne galvanise les troupes. Elle est annoncée par Dunois, le bâtard d’Orléans, dès le 12 février 1428 (journée des Harengs) à Orléans assiégée. On l’attend comme le messie. Elle va sauver d’abord la ville puis le royaume de France comme Jésus a sauvé les Hommes. Comme lui elle est née dans la pauvreté, comme lui elle parle par paraboles, comme lui elle fait des miracles… En face, les Anglais sont pétris de trouille. L’avantage tournera-t-il en faveur des François ?
Le livre de Poitiers
Mars 1428. Jeanne est envoyée par le roi à Poitiers devant une commission de théologiens et de savants docteurs présidée par Regnault de Chartres, évêque-duc de Reims. Là encore, Jeanne est traitée en Dame de haute naissance. Elle loge chez Jean Rabateau, président du Parlement. Ce sont les docteurs de l’université et du parlement qui se déplacent chez elle et non l’inverse. Jeanne subit un examen visant à vérifier sa virginité sous le contrôle de la reine Yolande.
Les conclusions de cet interrogatoire que Jeanne appelle « le livre de Poitiers » au procès de Rouen, ne nous sont pas parvenues. Elles seraient cachées au Vatican puisque Jeanne déclare elle-même qu’elle a « tout dit » lors de cet interrogatoire, sur tous les mystères qui l’entourent. « Je voudrais bien que vous, qui m’interrogez, vous eussiez copie du livre qui est à Poitiers, pourvu qu’il plût à Dieu » dit-elle à ses juges de Rouen. Un peu plus tard elle ajoute : « Si vous étiez bien informés de moi, vous devriez vouloir que je fusse hors de vos mains. »
L’épée de Fierbois
Trois semaines après Poitiers, voilà Jeanne à Tours avec ses deux compagnons, Jean de Metz et Bertrand de Poulangy. Elle se fait confectionner une superbe armure de 29 pièces d’acier frappé au clair. Elle demande qu’on aille lui chercher une épée cachée au sanctuaire de Sainte-Catherine de Fierbois. Cette épée aux pouvoirs magiques, aurait appartenue à Du Guesclin et à Louis d’Orléans. Il s’agit d’une épée dont la lame est décorée de cinq croix, comme les cinq plaies du Christ.
Jeanne est enfin prête pour la guerre. Mais, déjà, dès le 22 mars (mardi de la semaine sainte) elle décide d’envoyer une première lettre comminatoire aux Anglais leur demandant de quitter le royaume de France.
Les compagnons d’armes
Fin avril 1429 (l’année commençait alors le jour de Pâques, cette année-là le 7 avril). La Pucelle et son escorte arrivent à Blois. Elle y rencontre les principaux personnages qui accompagneront son épopée : Regnault de Chartres, Chancelier de France qui a présidé la commission de Poitiers, le sire de Gaucourt, gouverneur d’Orléans, l’amiral de Culant, le maréchal de Boussac, Ambroise Loré… Il y a aussi un jeune homme de 24 ans, magnifique sur son destrier : c’est Gilles de Rais, de la maison de Laval. Puis, arrivent Poton de Xaintrailles, gentilhomme gascon, Etienne de Vignolles, dit La Hire, autre capitaine Gascon aux colères mémorables, Jacques de Chabannes, seigneur de La Palice, Antoine de Chabannes seigneur de Dammartin, Arthur de Richemont, duc de Bretagne etc.
Jeanne prend la tête de cette armée chargée d’accompagner un énorme convoi de vivres et de munitions destiné aux Orléanais. Dans trois jours, la Pucelle fera une entrée historique dans Orléans assiégée depuis octobre. La légende est en marche.
Orléans est libérée
29 avril 1429. Jeanne entre dans Orléans. Miracle : les vents soufflent au bon moment, les barques peuvent remonter la Loire. Elle affirme qu’elle n’en repartira que lorsque la ville du duc Charles d’Orléans, prisonnier à Londres depuis Azincourt, aura été libérée.
4 mai. Prise de la bastille Saint-Loup, l’un des dix fortins dans lesquels sont réfugiés les Anglais.
6 mai. Attaque du fort des Augustins. Les Anglais sont délogés.
7 mai. Attaque des Tourelles. Jeanne est blessée au-dessus du sein gauche. Elle repart malgré tout au combat. 6OO Anglais sont tués, 200 se sont noyés, 600 sont faits prisonniers.
Dimanche 8 mai 1429. Les Anglais ont peur. Ils lèvent le siège sans combattre à nouveau.
Jeanne est reconnue comme l’envoyée de Dieu. La campagne de la Loire peut commencer. Les victoires militaires s’enchainent.
Le 2 juin 1429, le roi octroie à Jeanne des armes dérivées de la Famille de France qui se lisent ainsi: » d’azur à deux fleurs de lys d’or et au milieu une épée d’argent la pointe d’en haut emmanchée de gueule estoffées d’or, ladite pointe passant parmi une couronne de même en chef. » Le roi d’Angleterre y verra « un grand outrage ».
11 et 12 juin. Jargeau est repris à l’armée anglaise. Beaugency capitule le 17 juin, le 18 juin c’est au tour de Patay.
La chevauchée du sacre commence aussitôt. Jeanne demande au dauphin de se mettre en route pour Reims où aura lieu son sacre, le dimanche 17 juillet 1429, en présence de Jeanne et de son étendard. (Il a été à la peine, c’était bien raison qu’il fût à l’honneur) dira-t-elle.
En quelques mois, les deux premières missions de Jeanne sont accomplies : la levée du siège d’Orléans et le sacre de Charles à Reims.
Troisième mission : libérer Paris
8 septembre. La Pucelle donne l’assaut porte Saint-Honoré. Elle est blessée à la cuisse. C’est un échec. Le roi ne lui confie plus son armée.
23 mai 1430. Jeanne veut malgré tout combattre les « Godons ». Elle se rend à Compiègne. A la tête de sa petite compagnie, elle va attaquer les Anglais. Mais elle est capturée ainsi que ses proches compagnons par un homme de Jean de Luxembourg qui combat pour le compte du duc de Bourgogne Philippe le Bon. Jeanne sera vendue 10.000 écus aux Anglais.
De mai à décembre 1430 : Jeanne, prisonnière des Anglo-Bourguignons, est ballottée de château en château. On ne sait pas que faire d’elle.
23 décembre. Arrivée à Rouen où elle doit comparaître devant un tribunal ecclésiastique. C’est un procès en matière de foi : Jeanne est poursuivie pour sorcellerie. Mais c’est aussi un procès politique : la condamnation de Jeanne sera une réponse au sacre de Reims et, dans la foulée, remettra le traité de Troyes dans l’actualité.
Janvier-mai. Le procès dure cinq mois sous la présidence de l’Evêque Cauchon et du vice-inquisiteur Graverent.
Sans surprise, Jeanne est condamnée au bûcher au terme d’un procès-fleuve. Mais procès truqué. Sur les 55 séances, 17 sont consacrées aux Voix. Tous les juges (sauf un) sont Français.
Mercredi 30 mai 1431. Sur la place du Vieux-Marché de Rouen, 800 hommes d’armes portant glaives et bâtons attendent Jeanne-la-sorcière. La femme qui monte sur le bûcher a le visage « embronché » c’est à dire voilé, caché. Personne ne peut donc reconnaître la femme qui est brûlée ce jour-là.
En ce funeste jour de mai 1431, la vie publique de Jeanne est terminée. La Pucelle n’a pas rempli les autres missions que ses voix lui avaient assignées, notamment celle de bouter les Anglais hors de France et celle de libérer Charles d’Orléans, le prince-poète, prisonnier à Londres depuis Azincourt. La guerre de Cent ans ne prendra fin que le 17 juillet 1453 avec la bataille de Castillon.
Si le roi Charles VII est alors bien installé sur le trône de France, il le doit quand même à cette fille du Barrois, Jeanne la Pucelle. Voilà pourquoi il souhaitera en 1456 que la mémoire de Jeanne soit réhabilitée lors d’un procès en nullité de condamnation, tout aussi truqué que le premier. Les 126 témoins sont (presque) tous de faux témoins.
Jeanne a-t-elle vraiment été brûlée à Rouen ? On peut sérieusement en douter puisqu’elle réapparaît, en chair et en os, le 20 mai 1436 à la Grange aux Ormes, près de Metz. Et que sa vie est parfaitement documentée.
(Prochain article : La Pucelle revient cinq ans après le bûcher 5/6)
Articles précédents :
Jeanne d’Arc et les fake news (1/6)
Jeanne d’Arc et les fake news (2/6) La guerre de Cent Ans : pourquoi ?
Jeanne d’Arc et les fake news (3/6) Qui a conçu l’opération Pucelle ?
Les lettres de Jeanne
Dix-neuf nous sont connues, cinq nous sont parvenues et trois sont signées de sa main.
Non, Jeanne n’était cette fille illettrée et inculte de nos manuels d’histoire. Elle était au contraire très instruite. « Comme si elle eut été nourrie à la cour » nous dit Jean Chartier, historiographe du roi. « Comme si elle avait été élevée non pas aux champs mais dans les écoles de grande prud’homie » nous dit un autre chroniqueur.
Nous connaissons Jeanne et son caractère par ce qu’elle répond aux juges de Rouen. Mais aussi par ses lettres. Dix-neuf nous sont connues, cinq nous sont parvenues et trois sont signées de sa main.
La première lettre connue de Jeanne est celle qu’elle écrit aux Anglais le mardi de la semaine Sainte, c’est-à-dire le 22 mars 1429.
« Jesus Maria,
Roi d’Angleterre et vous duc de Bedford, qui vous dites régent du royaume de France, vous Guillaume de La Pole, comte de Suffolk, Jean sire de Talbot et vous Thomas sire de Scales, qui vous dites lieutenants du dit duc de Bedford, faites raison au Roi du ciel, rendez à la Pucelle qui est envoyée ici par Dieu, le Roi du ciel, les clés de toutes les bonnes villes que vous avez prises et violées en France. Elle est ici venue de par Dieu pour réclamer le sang royal. Elle est toute prête à faire la paix, si vous voulez lui faire raison, en abandonnant la France et payant pour ce que vous l’avez tenue.
Et, vous tous, archers, compagnons de guerre, gentilshommes et autres qui êtes devant la ville d’Orléans, allez-vous en en votre pays, de par Dieu ; et si vous ne le faites ainsi, attendez les nouvelles de la Pucelle qui ira vous voir sous peu, à vos biens grands dommages. Roi d’Angleterre, si vous ne le faites ainsi, je suis chef de guerre et en quelque lieu que j’attendrai vos gens en France, je les en ferai aller, qu’ils le veuillent ou non. Et, s’ils ne veulent obéir, je les ferai tous occire ; je suis ici envoyée de par Dieu, le Roi du ciel, pour vous chasser hors de toute la France. Et, s’il veulent obéir, je les prendrai en miséricorde. Et, n’ayez point une autre opinion, car vous ne tiendrez point le royaume de France de Dieu, le Roi du ciel, fils de saint Marie, mais le tiendra le roi Charles, vrai héritier : car Dieu, le Roi du ciel, le veut et cela est révélé par la Pucelle, lequel entrera à Paris en bonne compagnie.
Si vous ne voulez croire ces nouvelles de par Dieu et la Pucelle, en quelque lieu que nous vous retrouverons, nous frapperons dedans et y feront un si grand hahay qu’il y a bien mille ans qu’en France si n’y en eut un si grand, si vous ne nous faites raison. Et croyez fermement que le Roi du ciel enverra plus de forces à la Pucelle que vous ne lui sauriez mener avec tous vos assauts, à elle et à ses bonnes gens d’armes ; et aux horions, on verra qui a le meilleur droit de Dieu du ciel. Vous, duc de Bedford, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne vous fassiez pas détruire. Si vous lui faites raison, vous pourrez encore venir en sa compagnie là où les Français feront le plus beau fait qui fut jamais fait pour la chrétienté. Et faites réponse, si vous voulez faire la paix en la cité d’Orléans ; si vous ne le faites ainsi, de vos biens grands dommages qu’il vous souvienne sous peu.
Écrit ce mardi, semaine sainte. »
Jeanne et ses voix
Les docteurs en théologie et autres savants qui interrogent Jeanne au procès de Rouen ont de sérieux doutes sur l’origine céleste des voix puisque sur les 55 séances, 17 sont consacrées aux voix. Voici ce que leur répond Jeanne.
Jeanne est interrogée le 22 février 1431. Me Jean Beaupère demande à Jeanne :
–Quand avez-vous commencé à entendre les voix ?
-J’avais 13 ans quand j’eus une voix de Dieu pour m’aider à me bien conduire. La première fois j’eus grand peur. Cette voix vint sur l’heure de midi, pendant l’été, dans le jardin de mon père.
Me Jean Beaupère continue :
–De quel côté entendîtes-vous la voix ?
-J’ai entendu cette voix à droite, du côté de l’église et rarement elle est venue à moi sans être accompagnée d’une grande clarté. Cette clarté vient du même côté que la voix… Quand je vins en France, j’entendais souvent la voix….
-Comment était la voix ?
-Il me semble que c’était une bien noble voix et je crois qu’elle m’était envoyée de la part de Dieu. A la troisième fois que je l’entendis, je reconnus que c’était la voix d’un ange. Elle m’a toujours bien gardée.
–Pouviez-vous la comprendre ?
-Je l’ai toujours bien comprise.
-De quelle sorte était cette voix ?
-Vous n’en saurez pas avantage aujourd’hui sur cela.
-La voix parlait-elle souvent ?
-Deux ou trois fois par semaine elle m’exhortait à partir pour la France.
(…)
-Dites-nous par quel conseil vous prîtes l’habit d’homme ?
-Passez outre !
-Mais répondez donc !
-Passez outre !
Le samedi 24 février 1430, soixante-deux assesseurs siègent à côté de l’évêque Cauchon. Ils veulent mieux connaître l’accusée qui est là, devant eux. Cette jeune femme d’une vingtaine d’années, habillée en homme, qui leur tient tête, leur répond hardiment. Ils n’ont jamais vu ça. L’un des assesseurs demande :
-Depuis quand n’avez-vous pas entendu la voix qui vient à vous ?
-Je l’ai entendu hier et aujourd’hui.
-A quelle heure, hier, l’avez-vous entendue ?
-Hier, je l’ai entendue trois fois : une fois le matin, une fois à l’heure des vêpres et une troisième fois au coup de l’Ave Maria du soir. Il m’arrive de l’entendre plus souvent encore.
–Que faisiez-vous hier matin quand la voix vint ?
-Je dormais et j’ai été réveillée.
–Vous a-t-elle réveillée en vous touchant le bras ?
-Elle m’a réveillée sans me toucher.
-La voix était-elle dans votre chambre ?
-Non, que je sache, mais elle était dans le château.
(…)
–Que vous a-t-elle dit ?
-Elle m’a dit de répondre hardiment.
-La voix vous a-t-elle dit quelques paroles avant d’être invoquée ?
-La voix m’a dit quelques paroles mais je n’ai pas tout compris.
–La voix vous a-t-elle défendu de tout dire ?
-Je ne vous répondrai pas là-dessus. J’ai des révélations touchant le roi que je ne vous dirai point.
-La voix vous a-t-elle défendu de dire des révélations ?
-Je n’ai pas été conseillée sur cela. Donnez-moi un délai de quinze jours et je vous répondrai.
(…)
-La voix vous vient-elle de Dieu ?
-Oui, et par son ordonnance. Je le crois fermement comme je crois à la foi chrétienne et que Dieu a racheté des peines de l’enfer.
-La voix que vous dîtes vous apparaître est-elle un ange ou Dieu immédiatement, ou un saint ou une sainte ?
-Cette voix vient de la part de Dieu.
–Expliquez-vous.
-Je crois que je ne vous dis pas pleinement ce que je sais. J’ai plus grande crainte de faillir en disant quelque chose qui déplaise à ces voix que je n’ai souci de vous répondre à vous. Quant à vos questions sur ma voix, je vous demande un délai.
-Croyez-vous qu’il déplaise à Dieu qu’on dise la vérité ?
-Les voix m’ont dit de révéler certaines choses au roi et non pas à vous. Cette nuit même, la voix m’a dit beaucoup de choses pour le bien de mon roi.
(…)
–Pourquoi la voix ne parle-t-elle plus maintenant au roi ainsi qu’elle le faisait quand vous étiez en sa présence ?
-Je ne sais si c’est la volonté de Dieu…
–Votre conseil vous a-t-il révélé que vous échapperiez à la prison ?
-Je ne vous ai à le dire.
(…)
–Avec les voix, voyez-vous autre chose ?
-Je ne vous dirai pas tout. Je n’en ai pas congé. Au surplus, donnez-moi par écrit les points sur lesquels je ne réponds pas actuellement.
–La voix à laquelle vous demandez conseil a-t-elle un visage et des yeux ?
-Vous n’aurez pas encore cela de moi. C’est un dicton de petits enfants que les gens sont pendus quelques fois pour avoir dit la vérité.
(…)
Samedi 27 février 1430. Quatrième interrogatoire public. Cinquante-trois assesseurs entourent l’évêque Cauchon. L’histoire des voix intrigue décidément beaucoup les juges. On demande à Jeanne :
–Depuis samedi, avez-vous entendu la voix ?
-Oui, vraiment, plusieurs fois.
-Samedi, à l’audience, avez-vous entendu la voix ?
-Ce n’est pas de votre procès.
-C’est du procès, répondez-donc !
-Je l’ai entendue.
–Que vous a-t-elle dit, ce samedi ?
-Je ne l’entendais pas bien, ni rien que je puisse vous redire jusqu’à mon retour dans ma chambre.
–Que vous a dit la voix à votre retour ?
-Elle m’a dit de vous répondre hardiment.
-A quel propos vous l’a-t-elle dit ?
-Je demande conseil à ma voix sur les questions que vous me faites.
–La voix vous a-t-elle dit de cacher quelque chose ?
-Je répondrai volontiers sur ce que Dieu me permettra de révéler. Quant à ce qui touche aux révélations concernant le roi de France, je ne les dirai pas sans congé de ma voix.
-La voix vous a-t-elle défendu de tout dire ?
-Je ne l’ai pas bien comprise.
–Que vous a dit la voix en dernier lieu ?
-Je lui ai demandé conseil relativement à quelques points sur lesquels j’avais été interrogée.
A l’évidence la voix est auprès de Jeanne. Elle est dans le château, elle assiste aux audiences. Mais Jeanne ne comprend pas très bien de la place où elle est. Peut-être la voix est-elle cachée derrière les rideaux, puisque le notaire Manchon y a vu des gens qui prenaient des notes. En tout cas, elle attend le retour de l’accusée dans sa chambre pour lui donner des conseils et lui suggérer sans doute les réponses à apporter aux questions les plus délicates des éminents juristes qui tourmentent l’accusée.
L’interrogatoire continue sur le même sujet. Il n’y a plus une seule voix mais deux puis trois…
-Est-ce la voix d’un ange qui vous parlait ou bien celle d’un saint, d’une sainte ou la voix de Dieu directement ?
-C’est la voix de Sainte Catherine et de Sainte Marguerite. Là-dessus, j’ai congé de Notre-Seigneur. Que si vous doutez, envoyez à Poitiers où autrefois j’ai été interrogée.
-Comment savez-vous que ce sont deux saintes ?
-Je sais bien que ce sont elles. Je les distingue bien l’une de l’autre.
–Comment cela ?
-Par le salut qu’elles me font.
–Y a-t-il longtemps qu’elles communiquent avec vous ?
-Il y a bien sept ans passés qu’elles m’ont prise sous leur garde.
-A quoi les reconnaissez-vous ?
-Elles se nomment à moi.
-Ces saintes sont-elles vêtues de la même étoffe ?
-Je ne vous en dirai pas davantage à cette heure…
-Ces saintes sont-elles du même âge ?
-Je n’ai pas congé de vous le dire.
–Ces saintes parlent-elles à la fois ou l’une après l’autre ?
-Je n’ai point congé de vous le dire.
-Laquelle vous est apparue la première ?
-Je ne les ai point connues tout de suite.
–N’y a-t-il que les saintes qui vous aient apparu ?
-J’ai aussi reçu le confort de Saint Michel.
–Laquelle des apparitions vous est venue la première ?
-C’est Saint Michel (…). Je le vis devant mes yeux et il n’était pas seul mais bien accompagné d’anges du ciel.
–Vîtes-vous Saint Michel et les anges en corps et en réalité ?
-Je les vis des yeux de mon corps aussi bien que je vous vois. Quand ils s’en furent, je pleurai et j’aurais bien voulu qu’ils m’emportassent avec eux.
–En quelle figure était Saint Michel ?
-Il n’y a pas de réponse là-dessus, je n’ai pas congé de vous le dire.
–Que vous dit Saint Michel cette première fois ?
-Vous n’en aurez pas de réponse aujourd’hui.
(…)
Jeanne est pressée de questions. Lorsqu’un juge l’interroge, elle répond à sa question. Mais, déjà, un autre l’interrompt pour lui poser une autre question afin de la troubler, affirme Jean Massieu, huissier au tribunal de Rouen. L’accusée ne se laisse pas démonter, elle leur lance :
-Beaux seigneurs, faites donc l’un après l’autre.
Jeudi, 1er mars. Cinquième interrogatoire public. Cinquante-huit assesseurs assistent l’évêque Cauchon. L’un des juges revient une fois encore sur le mystère des voix. Il demande à Jeanne :
–Depuis mardi dernier avez-vous conversé avec sainte Catherine et sainte Marguerite ?
-Oui, mais je ne sais l’heure.
-Les voyez-vous toujours dans les mêmes vêtements ?
-Je les vois toujours sous la même forme et leurs têtes sont couronnées très richement.
-Et le reste de leurs costumes ? Leurs robes ?
-Je ne sais.
–Comment savez-vous que ce qui vous apparaît est homme ou femme ?
-Je le sais bien. Je le reconnais à leur voix…
-Quelle figure voyez-vous ?
-La face.
-Ont-elles des cheveux ?
-Il est bon à savoir qu’elles en ont.
–Leurs cheveux sont-ils longs ou pendants ?
-Je ne sais.
-Ont-elles des bras ?
-Je ne sais si elles ont des bras ou autres membres.
–Vous parlent-elles ?
-Leur langage est bon et beau, je les entends très bien.
–Comment parlent-elles puisqu’elles n’ont pas de membres ?
-Je m’en réfère à Dieu.
-Quelle espèce de voix est-ce ?
-Cette voix est belle et douce et humble et elle parle français.
-Sainte Marguerite ne parle donc pas anglais ?
-Comment parlerait-elle anglais puisqu’elle n’est pas du parti des Anglais ?
(…)
–Quelle figure avait saint Michel quand il vous apparut ?
-Je ne lui ai pas vu de couronne et de ses vêtements je ne sais rien.
-Etait-il nu ?
-Pensez-vous que Dieu n’ait pas de quoi le vêtir ?
-Avait-il des cheveux ?
-Pourquoi les lui aurait-on coupés ?
–Y a-t-il longtemps que vous n’avez pas vu saint Michel ?
-Je n’ai pas vu saint Michel depuis que j’ai quitté le château de Crotoy (vers le 21 novembre). Je ne le vois pas bien souvent.
–Vos voix vous ordonnent-elles de vous confesser ?
-Sainte Catherine et saine Marguerite me font volontiers me confesser quelques fois, tantôt l’une, tantôt l’autre.
Jeanne précise encore qu’elle met des chandelles devant l’image de sainte Catherine et qu’elle ne fait pas de différence entre sainte Catherine qui est au ciel et celle qui se montre à moi. Les saintes qui viennent à elle sentent bon. Quant à l’aspect physique de saint Michel, il est en la forme d’un très vrai prud’homme.