Le stratagème de l’envoyée du ciel pour sauver le royaume de France a été conçu par une femme d’exception : Yolande d’Aragon, duchesse d’Anjou, reine des Quatre royaumes. L’opération a été exécutée de main de maître par une autre femme exceptionnelle : la Pucelle d’Orléans.
Peu connue et peu étudiée, Yolande d’Aragon, belle-mère du roi, a joué un rôle majeur dans l’histoire de France. Pendant quarante-deux ans, de 1400, date de son mariage en Arles avec Louis d’Anjou jusqu’à sa mort en 1442 à Saumur, elle est au cœur de tous les événements importants de cette première moitié du 15ème siècle. Yolande est une femme de pouvoir, du vrai pouvoir, celui de l’influence, qu’elle exerce toujours dans l’ombre.
Yolande est née le 11 août 1379 à Saragosse. Fille du roi Jean 1er d’Aragon et de Yolande de Bar, Yolande est petite-fille du roi de France Jean le Bon. C’est une Valois. Son éducation a été confiée à des religieux qui lui enseignent la diplomatie, la patience et l’obstination. Des qualités intellectuelles et morales dont elle saura jouer.
A la mort de son époux, elle a trente-sept ans et cinq enfants. La duchesse d’Anjou hérite de tous les titres de son défunt mari. Elle est donc reine de Sicile, reine de Naples, reine de Jérusalem, reine de Hongrie. La reine « des Quatre royaumes » possède aussi de nombreuses terres et leurs châteaux : la Provence, le Maine et, bien entendu, l’Anjou.
Yolande est un fin stratège qui sait tirer parti des rapprochements familiaux. Son fils, René d’Anjou, héritier du duché de Bar est marié en 1420 avec Isabelle de Lorraine, fille unique du duc Charles de Lorraine. Ainsi, les deux duchés voisins de Lorraine et de Bar sont-ils réunis sous une même couronne posée sur la tête d’un prince du parti d’Armagnac.
Venez le prendre si l’osez !
Cette femme discrète et belle (la plus belle femme du royaume, disait-on) est d’une rare lucidité. Elle sait devancer les événements quand elle ne les suscite pas. Ses froids calculs lui donnent toujours plusieurs coups d’avance sur ses adversaires.
Un exemple. En 1413, alors que rien ne presse, elle décide de fiancer sa fille, Marie, 9 ans, à Charles de Ponthieu, 10 ans, troisième fils du roi Charles VI et de la reine de France. Avec l’accord de la reine Isabeau et du Conseil royal, elle prend Charles sous sa protection au château d’Angers. Elle se charge de son éducation pour le soustraire à l’influence néfaste de sa mère et aux dangers de la cour.
Deux ans plus tard, en 1415 le dauphin Louis meurt, sans doute empoisonné. Deux ans plus tard encore, le dauphin Jean meurt à son tour. Charles devient donc dauphin en 1417. La reine Isabeau comprend la manœuvre. Trop tard. Elle veut récupérer son fils ? Yolande s’y oppose en ces termes : « Femme en puissance d’amants n’a point besoin d’enfants. Pourrirez le laisser périr comme ses frères, le rendre fou comme son père ou le vendre aux Anglais comme vous-même. Le garde mien. Venez le prendre si l’osez ! »
Cavalière hors pair
Charles épouse Marie en 1422. Yolande devient ainsi la belle-mère du roi. Elle va tout faire pour préserver l’héritage de son gendre. En 1420, elle est meurtrie par le traité de Troyes qui déshérite le dauphin Charles au profit du petit roi anglais Henri VI. Elle ne laissera pas le royaume aux mains des Anglais. Elle se battra pour préserver les biens de sa famille et le royaume de son gendre. Elle engagera sa fortune et mettra son habile intelligence au service des siens.
Lorsque après un long séjour dans son comté de Provence, en 1423, elle revient en Anjou, les Anglais ont pris position près de ses terres. Yolande n’hésite pas à prendre le commandement des troupes, elle enfourche un splendide cheval blanc cuirassé d’acier et d’argent et attaque les soldats de William de la Poole, comte de Suffolk. Les anglais furent effrayés par cette cavalière hors pair montant un destrier étincelant. Ils ont cru voir le diable et ont quitté le champ de bataille à toutes jambes.
Évidemment, je vois dans cette scène la préfiguration de ce que fera une autre femme sur les champs de bataille. Jeanne, la Pucelle, va terroriser elle aussi les soldats Anglais.
Yolande est-elle l’inspiratrice de l’épopée johannique ? Le « cerveau » de ce qui ressemble fort à une opération secrète ? Celle qui a mis au point de subtil stratagème de l’envoyée du Ciel pour terroriser les Anglais et faire annuler l’infâme traité de Troyes ? Tout porte à le croire. Pas de certitudes absolues mais un important faisceau de présomptions.
Yolande est à Nancy deux semaines seulement avant l’entrevue de Jeanne et du duc Charles de Lorraine en février 1428, entrevue déterminante pour le voyage à Chinon. Le capitaine de Baudricourt est un proche de la reine de Sicile. Yolande est encore à Chinon début mars pour accueillir la Pucelle qui va rencontrer le roi pour la première fois. Yolande est à Poitiers lorsque Jeanne va être questionnée par les savants docteurs de la commission présidée par Regnault de Chartres. C’est Yolande qui va procéder à l’examen clinique de la virginité de Jeanne. Cette grande dame aurait-elle consenti à se prêter à ce genre d’épreuve s’il s’était agi d’une simple bergère ?
Jhésus Maria
C’est à Tours, ville fidèle à Yolande que Jeanne fait faire son armure et son étendard. Les proches de Jeanne sont des fidèles de la reine de Sicile. L’écuyer de Jeanne, chef de sa garde personnelle, Jehan d’Aulon est l’homme de confiance de la reine Yolande et sa parente, Marie d’Aulon, la demoiselle d’honneur de la duchesse d’Anjou. C’est Yolande qui finance les troupes qui se rassemblent autour de Blois pour ravitailler Orléans. Le chapelain de Jeanne, Jean Pasquerel est un franciscain, comme Yolande, elle même membre du Tiers ordre franciscain. Sur son étendard Jeanne a fait inscrire « Jhésus Maria » qui est la devise des franciscains. Les frères mineurs (franciscains) sont pro-Armagnacs quand les frères prêcheurs (dominicains) sont pro-bourguignons.
C’est Yolande avec l’aide des puissants réseaux franciscains et peut-être même celui de Colette de Corbie qui « prépara les esprits » à la venue de l’envoyée du Ciel. La propagande est en marche. Des prophéties (fake news) courent le royaume. On annonce partout qu’une vierge viendra bientôt au secours du roi et de son royaume. La prophétie de Merlin prédit qu’« une Vierge de la forêt des chênes chevauchera contre le dos des Archers. » La prophétie de Marie Robine, recluse en Avignon, annonce dans ses versets prophétiques que le royaume perdu par une femme (Isabeau de Bavière) sera sauvé par une vierge (Jeanne).
Les esprits sont préparés, voire manipulés. L’espoir renaît parmi les troupes du roi de France. Une peur irrationnelle s’empare des soldats anglais qui vont devoir affronter une envoyée du Ciel.
Sept ans de formation
Jeanne affirme avoir été gouvernée par ses voix pendant sept ans. Cela correspond à sa formation militaire et intellectuelle à Domrémy. La formation militaire étant assurée par deux officiers du capitaine Robert de Baudricourt : Jean de Metz et Bertrand de Poulangy. Sa formation religieuse et intellectuelle par les dames de Bourlémont, de Gondrecourt et de Joinville.
Yolande sera le conseiller permanent, celle par qui se font et se défont les affaires du royaume. Elle tient à protéger le dauphin d’abord, le roi ensuite. Elle élimine les favoris qui ont une influence néfaste sur le roi pour l’entourer d’hommes de confiance.
Entre 1417 et l’entrée en scène de la Pucelle, douze ans plus tard, pas un traité n’est signé, pas une alliance ne fut négociée sans que ce fut l’œuvre de la reine Yolande. « Un cœur d’homme dans un corps de femme » dira son petit-fils, le roi Louis XI.
Le 12 février 1419 une trêve est conclue avec les Anglais. Yolande n’est investie d’aucun pouvoir officiel. Elle n’est même pas encore la belle-mère du roi. Or, le traité porte sa signature à côté de celle du roi d’Angleterre Henri V et du dauphin Charles.
En 1425 Yolande a imposé au dauphin Arthur de Richemont, frère du duc de Bretagne pour prendre la tête des opérations militaires. Richemont sera nommé connétable de France. Elle soustrait le souverain à l’influence de ses favoris et n’hésite pas à recourir à la méthode dure.
Ainsi, le seigneur Pierre de Giac, maître des finances puis chef du Conseil fût-il arrêté le 8 février 1427 à Issoudun sur ordre du connétable Arthur de Richemont et de la reine Yolande. Il fut jeté vivant dans une rivière, cousu dans un sac de cuir. Jean Vernat, dit « Le camus de Beaulieu » capitaine de Poitiers a succédé à Giac dans le cœur du jeune roi. En juin de la même année il fut assassiné à son tour.
Le connétable et la reine de Sicile imposèrent au roi Georges de la Trémoille comme grand chambellan.
Tout est prêt. L’opération Pucelle peut commencer.
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