L’association de lutte contre la corruption vient de déposer un recours devant la cour administrative d’appel de Paris pour tenter de récupérer son agrément judiciaire. Mais plusieurs anciens responsables dénoncent son manque de probité.
Créée en 2002, l’association Anticor a fait de la lutte contre la corruption son combat quotidien. Elle disposait jusqu’en juin dernier d’un agrément lui permettant d’intervenir dans les dossiers judiciaires les plus sensibles. De l’attribution de la Coupe du monde de football au Qatar aux contrats russes d’Alexandre Benalla en passant par la prise illégale d’intérêts du ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, Anticor était sur tous les fronts. Mais des dissensions internes sur fond de petits arrangements ont provoqué une crise majeure en 2020. Lors d’une assemblée générale contestée, une purge a permis d’évincer tous ceux qui réclamaient un peu de transparence dans la gestion de l’association. Ces derniers ont déposé plainte pour faire annuler l’AG. Trois ans plus tard, l’affaire n’est toujours pas jugée. Parallèlement, Anticor a perdu son agrément en juin 2023 et souhaite le récupérer. Mais d’anciens membres du conseil d’administration dénoncent avec force les dérives de l’association.
Alain Bressy, ancien magistrat, « on ne nous disait pas tout » !
Ancien référent pour la Dordogne et ancien membre du Conseil d’administration d’Anticor, Alain Bressy a récemment expliqué dans la presse locale pourquoi, selon lui, l’association Anticor n’était plus digne de poursuivre sa mission de lutte contre la corruption.
Il ajoute : « Dans la newsletter de juin 2023, la présidente de l’association a indiqué aux adhérents et sympathisants d’Anticor, qu’une seule personne, était à l’origine du recours contre le décret du Premier ministre de l’époque, Jean Castex, renouvelant l’agrément judiciaire d’Anticor. Elle affirme que cette personne “a fourni aux médias et à la justice de fausses informations” et l’accuse de dénonciation calomnieuse. Tout cela est inexact. Ce que dit le Premier ministre d’époque et ce que répète le tribunal administratif, c’est que le Conseil d’administration n’avait pas les moyens pour décider réellement de la marche à suivre de l’association, car il n’était pas au courant d’un certain nombre de choses. Notamment du fameux donateur qui versait 5 000 € par mois. Le bureau en faisait à sa guise. Voilà pourquoi, avec d’autres, j’ai proposé en 2019 une motion visant à changer le mode de gestion du Conseil d’administration d’Anticor, de reprendre les statuts. Il y a eu un vote. J’ai eu la majorité à une voix près. On a donc formé un groupe pour réformer les statuts. En 2020, M. Eric Alt a pris les rênes du pouvoir puisque le président Jean-Christophe Picard a démissionné pour se présenter aux élections à Nice. Eric Alt a profité de la période Covid pour convoquer une AG virtuelle. Et pour virer tous ceux qui réclamaient plus de transparence. Dix membres du Conseil d’administration (21 membres en tout) ont contesté cette AG en justice. »
Alain Bressy ajoute : « La moitié du CA n’était pas d’accord avec la gestion d’Anticor. Nous sommes allés devant le tribunal de grande instance de Paris pour que l’on nous rende justice. L’affaire a été plaidée, mise en délibéré pendant trois mois, mais, finalement, le tribunal s’est déclaré incompétent. Le dossier est dépaysé. On en est là.
Je ne comprends pas pourquoi les médias n’ont jamais voulu dire que la moitié du CA d’Anticor était rebelle. Et il était rebelle en raison de dysfonctionnements et de problèmes de transparence. Anticor est une merveilleuse structure. Elle est nécessaire. Mais le conseil d’administration n’était pas en mesure de gérer et de prendre des décisions, car, comme le dit Anne Roumanov « on ne nous disait pas tout » !
Jean-Pierre Steiner, ancien commissaire chargé des affaires financières à la DCPJ, ancien administrateur : « Anticor, une association politisée »
« Le conseil d’administration précédent a été révoqué par une AG extraordinaire, de nouvelles élections ont eu lieu, j’ai été élu au CA en 2020-2021. J’ai démissionné en raison d’une forme de politisation de cette association, cela m’a gêné.
Anticor est une ‘’machine politique’’ en ce sens que l’élection des administrateurs se fait par listes, à l’image des élections politiques d’un scrutin à deux tours. Si l’on est élu sur la liste qui n’est pas celle de la majorité, on est considéré comme des opposants.
Je viens de l’investigation judiciaire. J’ai longtemps été confronté aux enquêtes financières judiciaires. Et notamment à la corruption. La moitié des enquêtes proviennent de plaintes sur constitution de partie civile. Nous avions le réflexe de nous interroger : est-ce que le plaignant a un lien direct avec les faits, même s’il a subi un préjudice ? Est-ce que nous n’allons pas nous faire manipuler ? Pourquoi la plainte est déposée maintenant ?, etc., etc.
Or, à Anticor, personne ne s’interrogeait sur ces aspects-là. C’est une façon de travailler qui m’a un peu choqué. On doit être vigilant sur les informations qui nous parviennent et sur l’intérêt que peuvent avoir les gens à les dénoncer.
Ensuite, j’ai appris qu’il y avait des dossiers pour lesquels les avocats étaient eux-mêmes des apporteurs d’affaires et qu’ils avaient fait l’objet d’un financement par des donateurs. C’est ce qu’on appelle des affaires fléchées. C’est-à-dire qu’on envoie une flèche contre quelqu’un et celui qui envoie la flèche, apporte le pognon pour avoir la procédure.
J’ai appris aussi qu’il y avait des dépôts d’espèces dans des sommes dépassant les montants autorisés, et dont on ne voulait pas me donner le nom des donateurs, ça faisait beaucoup. Quand j’ai vu que les administrateurs dont je faisais partie faisaient l’objet d’une procédure de déontologie… Ils ont révoqué tout le monde. C’était une procédure stalinienne. J’ai préféré démissionner. Je ne pouvais pas cautionner tout ça.
Quant à l’appel interjeté par Anticor, je trouve normal que l’association aille jusqu’au bout de ses droits. Le retrait de l’agrément est amplement justifié pour les raisons que je viens de donner. Et je ne parle pas de l’administration interne qui est purement verticale. En fait, elle était concentrée entre les mains du vice-président Eric Alt, magistrat, qui en jouait beaucoup, beaucoup… au sein de l’association. Moi, cela m’aurait gêné d’être dans une association qui critique ma Maison puisque Anticor intervient quand la justice est défaillante.
Je pense qu’il devrait y avoir une association comme Anticor dans chacune des cours d’appel.
Graziella Stefana, ex-trésorière d’Anticor : « Il est temps de dire la vérité »
« J’ai été mise à l’écart parce que j’étais, avec Françoise Verschère et d’autres, sur la ‘’liste d’opposition’’ d’Anticor car je n’étais plus d’accord avec les méthodes qu’ils appliquaient. Dès lors ils ont voulu nous virer. »
Graziella Stefana explique qu’elle a « toujours fait [son] boulot de trésorière. J’ai interpellé la CA en lui disant qu’il y avait des administrateurs qui n’étaient pas à jour de cotisation. Je n’aurais pas dû le dire ? Je recevais tous les mois une somme de 5.000 €, je voulais savoir si c’était une personne physique qui les donnait ou autre chose. J’ai informé le CA. On nous a opposé le Règlement Général sur la protection des Données (RGPD) puis une réponse de la CNIL à laquelle on n’avait pas posé la bonne question. »
L’ancienne trésorière explique qu’elle n’accepte pas les mensonges. Comme celui-ci : « Le 20 mai 2020, devant la commission parlementaire de l’Assemblée nationale, la présidente et le vice-président ont affirmé ne pas connaître l’identité des donateurs, ce qui était mensonger, surtout pour le plus important d’entre eux !
Nous voulions protéger l’association et la faire fonctionner conformément aux valeurs qu’elle prétend promouvoir et qu’elle demande aux autres. Nous avons été exclus pour cela. Il est temps de dire la vérité. »
Françoise Verchère : « Il faut être irréprochable »
Ancienne référente départementale de Loire-Atlantique et ex-membre du conseil d’administration, Françoise Verchère a été virée d’Anticor pour avoir dénoncé un manque de démocratie interne dans l’association.
« Après avoir été récompensée d’un prix éthique, j’ai été sollicitée pour entrer au conseil d’administration de l’association » nous expliquait en juin dernier cette ancienne élue, maire honoraire de Bouguenais et conseillère générale honoraire de Loire-Atlantique. « De 2018 à 2020, j’ai hélas constaté l’absence de transparence, les petits secrets entre amis, le refus de donner aux administrateurs toutes les informations qu’ils demandaient, notamment le nom du fameux donateur dont il a fallu que nous apprenions par un journaliste que sa fortune était placée dans des paradis fiscaux… Dix administrateurs sur 21 ont demandé plus de transparence et de démocratie interne. Qu’a décidé le bureau d’Anticor ? De convoquer une Assemblée Générale par internet en plein Covid, et lui faire révoquer le conseil administration, sans donner aux ‘’opposants’’ la possibilité d’informer correctement les adhérents. Puis est venu le temps de la purge dont je passe les détails…
Lorsqu’on dénonce les tristes pratiques du monde politique (mensonges, dissimulation, copinage), il faut être irréprochable dans son propre fonctionnement interne. »