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« Fifi » : « J’ai voulu faire un film qui avance par le beau »

C’est à Nancy que Jeanne Aslan et Paul Saintillan ont tourné cette tendre chronique de la jeunesse et l’adolescence. « La région où vous avez grandi est nimbée de quelque chose », confie la coréalisatrice, originaire de Verdun.

Un joli film sur le bienfait « des rencontres dans une vie », qui évoque les différences sociales avec bienveillance.

« J’avais envie de parler des quartiers où j’ai grandi, à Verdun, et des rencontres dans une vie », confiait Jeanne Aslan aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer, où était présenté en avant-première le film qu’elle a coréalisé avec Paul Saintillan, « Fifi » (sortie le 14 juin). Un film inspiré de ses souvenirs d’enfance et d’adolescence en Lorraine, entièrement tourné à Nancy, grâce notamment à l’apport de la Région Grand-Est : « Sans eux, le film serait tombé à l’eau. La Région Grand-Est a été le premier financement, peut-être qu’ils ont senti que le film est de là », ajoute Jeanne Aslan.

« Fifi » est une jeune fille de 15 ans, Sophie, dite Fifi, incarnée par la lumineuse Céleste Brunnquell, remarquée dans « Les éblouis » de Sarah Suco et la série « En thérapie ». Fifi vit dans un appartement trop petit pour sa nombreuse famille dans le quartier du Haut-du-Lièvre, sur les hauteurs de la ville, un amoncellement de barres HLM d’un autre temps. « Nous avons pu tourner dans la Tour Panoramique avant sa prochaine destruction », précise la coréalisatrice. C’est l’été, et dès qu’elle le peut, Fifi s’échappe du chaos familial : « Quand Fifi fuit, c’est plutôt l’impossibilité quand on a quinze ans d’avoir le droit de rêver, de respirer, et pas avoir tout le temps quelqu’un sur le dos. Il y a un fatalisme, déjà, chez elle », dit Jeanne Aslan.

Sur son vélo, Fifi se laisse aller dans la pente aux grandes courbes, une descente symbolique depuis les quartiers jusqu’au centre-ville. Dans une boulangerie, elle tombe sur une ancienne copine de classe, Jade, qu’elle accompagne jusque chez elle. Alors que Jade s’apprête à partir en vacances à la mer, Fifi chipe les clés de la maison bourgeoise, claire, bien ordonnée, de bon goût, où elle s’installe et fait comme chez elle.

La fracture sociale comblée par l’amitié

Céleste Brunnquell, toute de présence et d’intensité, et le singulier Quentin Dolmaire forment un formidable duo.

Bien mieux que chez elle-même : c’est dans un bain que la jeune squatteuse est surprise par le fils de la famille. « T’es qui, toi !? », lui demande Stéphane (joué par Quentin Dolmaire), étudiant de 23 ans, plutôt cool : « Installe-toi, fais comme chez toi ». Ce que Fifi faisait déjà, d’ailleurs. Et ces deux-là vont plutôt bien s’entendre : elle rêvant d’un ailleurs qu’elle ne connaît pas, lui un peu paumé, un peu mal dans sa peau, encore au bord de sa vie d’adulte, et un horizon flouté pour les deux.

La fracture sociale entre le jeune bourge et la môme des cités est vite comblée par l’amitié qui se crée entre eux, des complices qui vivent ensemble une parenthèse enchantée, hors du monde et du temps, comme dans une bulle, un cocon, dans l’interlude des classes. « On voulait deux jeunes assez élégants, assez délicats », dit Jeanne Aslan qui avec son complice Paul Saintillan ont trouvé un formidable duo avec Céleste Brunnquell, toute de présence et d’intensité, et le singulier Quentin Dolmaire. « Il y avait un rapport de grand frère entre Quentin et Céleste, ils sont incroyables de gentillesse », assure la coréalisatrice.

« Fifi » est une tendre chronique de la jeunesse et l’adolescence, un joli film sur le bienfait « des rencontres dans une vie », qui évoque les différences sociales avec bienveillance, tend vers la lumière, le positif : « Je voulais offrir à ce personnage une échappée, vivre des choses avec elle, j’ai voulu faire un film qui avance par le beau et pas par le drame », assure Jeanne Aslan.

Jeanne Aslan : « On voulait une belle histoire »

Puisque vous avez grandi à Verdun, pourquoi ne pas avoir tourné ce film là-bas ?

Jeanne Aslan : « Verdun, c’est quand même très connoté sur la guerre, j’en sais quelque chose, puisque j’ai baigné dedans toute mon enfance. Et la ville n’est pas assez grande pour avoir suffisamment de décors. J’y ai pensé, j’avais même commencé un scénario qui s’appelait ‘’Verdun 2014-18’’, pour parler de Verdun aujourd’hui, la vie au sein des quartiers, mais dans un autre genre, peut-être qu’un jour je finirai par le faire. J’allais souvent à Nancy, j’y ai de la famille et c’est presque Verdun mais en plus grand. Je suis partie il y a vingt ans de l’Est, mes parents habitent Nancy maintenant. Je ne sais pas si ça fait pareil à tout le monde, mais la région où vous avez grandi elle est nimbée de quelque chose, c’est peut-être que dans votre tête, mais il y a un attachement, allez disons-le, une nostalgie. ».

Les Nancéiens reconnaitront d’ailleurs des quartiers de leur ville, le Haut-du-Lièvre, les bords du canal…

« Oui, mon oncle habitait justement là-bas au Haut-du-Lièvre, avec ces barres phénoménales qui étaient, je crois, les plus grandes d’Europe, et puis cette Tour panoramique, qui va être détruite, qui se balance quand il y a du vent, elle quand même assez incroyable. On a eu la chance de tourner dedans et de l’avoir quasiment vide pour nous ».

« Je voulais offrir à Fifi une échappée, vivre des choses avec elle », assure la coréalisatrice Jeanne Aslan.

Alors qu’ils vivent dans des milieux différents, cela s’estompe entre vos deux personnages, Fifi et Stéphane, un rapprochement se fait naturellement…

« C’était vraiment le cœur du film. Ayant grandi dans ces quartiers-là, je n’ai pas fait d’études, j’ai arrêté l’école à seize ans, et c’est lié à un milieu fermé. On parle souvent des quartiers, de la pauvreté ou autre par le biais de ce qui peut manquer, à travers des problématiques qui en découlent, ce qui peut manquer c’est qu’il n’y a pas de vie, cette promiscuité d’être neuf dans un appartement. Dès que Fifi rentre chez Stéphane, elle va vers le piano, parce qu’elle n’en a pas chez elle, c’est juste des symboles. Comme Kafka, par exemple, qu’elle emmène à la fin, évidemment c’est symbolique, ce n’est pas que Kafka en soi. Quand vous êtes dans ces quartiers-là, il y a comme des murs invisibles en fait, il n’y a pas tant d’horizon que ça, il y a une espèce de fatalité qui fait que vous êtes en circuit fermé dans votre milieu. La littérature, la musique, ce n’est pas que pour une élite, on ne voulait pas confronter ces milieux, mais plutôt profiter du fait que Paul Saintillan et moi on vient justement de milieux différents. Finalement, des amitiés entre gens de milieux différents, il n’y en a pas tant que ça dans la vie, et c’est bien dommage. Et puis on voulait une belle histoire, avec ces deux-là qui sont en quête de quelque chose, de décoller dans la vie, il y a quelque chose de romantique dans ce film, même au stade de l’amitié ».

« Des petites choses dont on parle peu »

Pourtant, même leur rencontre est assez improbable ?

« Il fallait que la rencontre soit un peu spéciale, pas ordinaire, pour qu’on sente qu’on est dans quelque chose de l’ordre du rêve. Quand on vit quelque chose d’un peu extraordinaire, c’est ce qui fait la valeur des sentiments amoureux ou d’amitiés fortes, on se surprend soi-même, on a l’impression de décoller. On voulait que subtilement les sentiments de ces deux-là se soient mutuellement diffusés quelque chose ».

Fifi vient d’un quartier populaire, mais vous n’insistez pas sur l’aspect social…

« Je n’ai jamais perçu la vie, les gens, dans les quartiers, avec tous ces problèmes. Ce qui est dommage, c’est l’appauvrissement que je constate d’année en année, quelque chose est brisé. Cette famille-là est dans la survie au jour le jour, elle ne voit pas très loin, ça serait mieux si elle avait un peu plus de sous. Il y a aussi des bons côtés, vous descendez dehors, vous avez cinquante mille copains, ça fourmille de vie, mais il n’y a pas des dealers aux quatre coins des rues. Ces gens-là ont juste une vie normale, c’est leur chez eux, il leur parait malgré tout un bon chez eux, avec ses hauts et ses bas ».

Vers la fin du film, il y a aussi cette échappée où des enfants vont voir la mer…

« Ce sont des petites choses dont on parle peu mais qui font le sel de la vie. J’ai découvert la mer à seize ans. Pour n’importe qui c’est anodin, mais il y a aussi plein de gens pour qui ce n’est pas du tout anodin de voir la mer, d’aller en vacances, d’avoir des bouquins chez soi, d’apprendre à jouer d’un instrument… »

Votre film a un temps porté le titre « Les clés de Jade », pourquoi avoir changé pour « Fifi » ?

« Le titre, c’est une longue histoire. C’était un titre qui faisait un peu usuel, Jade c’est la copine à qui elle pique les clés. Au tout début, c’était ‘’Fifi l’anguille’’, à cause du fait qu’elle se faufile comme ça d’un milieu à l’autre, mais tout le monde ne voyait pas dans l’anguille ce que nous on y voyait, donc ‘’Fifi’’ c’est peut-être un peu court en bouche, mais il y a ce côté affectueux aussi ».

Patrick TARDIT

« Fifi », un film de Jeanne Aslan et Paul Saintillan, avec Céleste Brunnquell et Quentin Dolmaire (sortie le 14 juin).

La môme des cités fait comme chez elle dans la maison bourgeoise qu’elle pense squatter pour l’été.
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