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Thionville : des déchets aux relents affairistes

L’importation de milliers de tonnes de déchets inertes du Luxembourg pour aménager le ball-trap révèlerait des pratiques peu orthodoxes selon l’opposition et un promoteur immobilier. Ce dernier a déposé plainte.

Pas de tir du ball-trap de Thionville
Pas de tir du ball-trap de Thionville (photo Hervé Schunke)

Située à 13 km seulement de la frontière luxembourgeoise, Thionville (42.000 habitants) et sa communauté d’agglomération « Porte de France » (80.000 habitants) sont soumises à de fortes influences. L’opposition au maire évoque un climat malsain où se mêlent intrigues politiques, affaires immobilières, liaisons dangereuses, règlements de comptes, favoritisme, clientélisme et autres joyeusetés politico-affairistes. Mais c’est l’opposition et, après tout, elle est dans son rôle de s’opposer.
Nos confrères du Républicain Lorrain se font parfois l’écho de ces affaires qui dérapent de temps à autre sur la voie publique. Le journal de Metz a évoqué il n’y a pas si longtemps « La guerre immobilière à Thionville »… et un voyage sous les cocotiers offert par un promoteur à des personnalités locales.
Les réseaux sociaux débordent eux aussi de ces querelles saumâtres qui prennent leur source au sein même du conseil municipal où l’opposition au maire, Pierre Cuny, entend dénoncer publiquement « scandales et collusions entre élus et promoteurs ».
Exemple. Le Renouveau Nord Moselle (‘’Association citoyenne promouvant l’échange et le débat d’idées sur notre territoire Nord Moselle’’) accuse carrément la municipalité, photos et vidéos partagées sur les réseaux sociaux, de « gaspiller l’argent public des Thionvillois » en bradant le patrimoine, comme l’auberge de jeunesse, un immeuble magnifique, face à la gare de Thionville (vendu 350.000 €) et d’acheter fort cher un bout de terrain sans intérêt (500.000 €) comme l’explique l’opposante Sandrine Jean dans une vidéo.

Autre exemple rendu public par l’ opposant au maire, Patrick Luxembourger, lui-même ancien maire de Terville, commune proche de Thionville. Il s’est présenté comme « un recours à droite » dans la course aux municipales de 2020 à Thionville sous la bannière « Le Renouveau ». Il annonçait alors un scandale planétaire que l’on attend toujours. Désormais à la tête de l’opposition, il explique aux Thionvillois, via les réseaux sociaux, « comment la municipalité Cuny gère la Ville sur le plan financier. Au-delà des scandales, dit-il, il y a des aberrations manifestes dans la gestion de la Ville et de son patrimoine. »

Les déchets luxembourgeois

Une autre affaire secoue le lanterneau Thionvillois. Il s’agit de l’importation de plusieurs milliers de tonnes de déchets inertes luxembourgeois (on parle de 500.000 tonnes) pour aménager le ball-trap situé sur un terrain de la commune.
L’histoire commence en avril 2017 lorsque le conseil municipal de Thionville « met à disposition » de l’association ‘’Ball-Trap Thionville’’ une parcelle de 5 ha supplémentaires aux 5 ha déjà utilisés par l’association, pour créer un nouveau pas de tir et construire des merlons (monticules de terre) pour la sécurité et contre le bruit. Dans la foulée, un permis d’aménager est accordé à Jacques Rémy, éleveur de chevaux, entrepreneur individuel, demeurant à Escherange (57).
Selon les termes d’un contrat signé le 26 janvier 2018, Jacques Rémy, maître d’ouvrage, cède à la société luxembourgeoise Entrapaulus, maître d’œuvre, « le droit d’apporter des matériaux de type inertes provenant des chantiers de terrassement ». Il est précisé dans ce contrat qu’« en aucun cas, le maître d’ouvrage, M. Rémy, ne pourra être tenu pour responsable des apports et de la mise en œuvre de ceux-ci ».

Une opération juteuse

Quant aux conditions financières, elles sont ainsi précisées : « M. Rémy sera rémunéré des apports au prix de 4,80 €/m3 » (HTVA)… A 8 jours de la signature, M. Rémy touchera un acompte de 100.000 € payable sur un compte de M. Rémy. » Ce compte est ouvert à la BCEE, établissement financier du Luxembourg. Précisons que M. Rémy intervient au contrat au nom de sa société d’éleveur de chevaux immatriculée en France (sans établissement déclaré au Luxembourg).
Sachant que le volume des déchets provenant du Luxembourg est de l’ordre de 500.000 tonnes (soit quelque 25.000 camions) on comprend que l’opération est particulièrement juteuse pour le maître d’ouvrage. De son côté, la mairie de Thionville s’est engagée à ne recevoir « aucune contrepartie financière » comme l’écrit l’adjoint délégué à l’immobilier Roger Schreiber. C’est la loi.
S’agissant des terres importées du Grand-Duché, elles inquiètent les riverains. « La moitié du village s’interroge » avoue le maire d’Angevillers, Jean-Marie Colin. « Moi j’ai fait part de mes inquiétudes car il y a par endroit de véritables montagnes de terre. On ne sait pas ce qu’il y a dedans. »
Ce n’est pas tout. La zone concernée est proche d’un lieu de découvertes archéologiques. Et pourtant aucune fouille n’a été effectuée avant le début des travaux, comme l’impose la loi. Plusieurs administrés s’en sont émus. L’un d’eux, le promoteur René Hombourger (Duho Immobilier) est allé plus loin. Il a demandé des explications au maire de Thionville sur les circonstances de la passation de ce marché. Le maire a dégagé en touche et renvoyé vers le titulaire du permis d’aménager, Jacques Rémy.

Une plainte

René Hombourger a également interrogé la Direction Régionale des Affaires Culturelles, le préfet, les services de l’archéologie… Finalement, il apprend que le dossier n’a pas été transmis au préfet de Région pour instruction et donc « aucune réserve archéologique ne figure dans l’autorisation de ce permis » écrit la DRAC. Qui  ajoute : « cette situation est regrettable car ce secteur présente un fort potentiel. »
Finalement, le 2 août 2019, René Hombourger dépose plainte auprès de Mme la Procureure de la République de Thionville pour « destruction des vestiges archéologiques. »
Entendu par la police, le 20 novembre 2019, le promoteur explique lors de cette audition qu’il existe un climat délétère à Thionville et évoque un système affairiste au profit de quelques uns. Quelques mois plus tard, il dépose une nouvelle plainte avec constitution de partie civile et dénonce cette fois « les acteurs » qui, selon lui, seraient impliqués dans ce « système ». Il réitèrera ses accusations devant la juge d’instruction Anne-Sophie Antoine.
Affaire (s) à suivre.

Ce qu’ils en disent…

Au cours de notre enquête nous avons interrogé plusieurs personnes.

En premier lieu, le maire de Thionville, Pierre Cuny. Nous lui avons adressé un questionnaire auquel il n’a pas répondu mais nous a fait savoir via son directeur de cabinet que la mairie avait « mis à disposition du Ball-trap un terrain avec permis d’aménager. Rien d’autre ». Le dir-cab ajoute : » la mairie n’a pas le droit de percevoir de l’argent sur l’apport des terres ». Quant aux autres accusations venant de l’opposition ou de René Hombourger « Ce sont des allégations qui n’ont aucune crédibilité. »

Le président du Ball-trap de Thionville, Sauro Paganelli, explique qu’il y a eu « une pétition contre le bruit » lors des séances de tir. « J’ai demandé à la Ville de construire des merlons. Nous souhaitons aussi créer une fosse universelle que nous n’avons pas. C’est l’un de nos adhérents, Jacques Rémy qui s’est chargé de faire les travaux. Il s’est occupé de tout. L’association a bénéficié en contre-partie d’un parking et de l’installation de l’électricité ».

Le trésorier, Hervé Schunke, rappelle l’historique du projet d’aménagement du site en précisant que l’association ne bénéficie d’aucune subvention de la mairie. Il y avait 110 licenciés en 2018 mais beaucoup moins depuis le Covid. « Nous disposons de 5 ha mais nous avions besoin de plus de capacité car le ball-trap est en bordure de la commune d’Angevillers, explique-t-il. Nous avons 4 pas de tir et besoin d’une fosse. Nous accueillons aussi la police municipale qui a besoin de son pas de tir. En outre, nous avions besoin de butes de protection sonores. Nous en avons parlé aux membres et Jacques Rémy a dit qu’il avait les compétences pour réaliser les travaux. On savait que la terre venait du Luxembourg. Mais nous ignorons les quantités. »

Quant à Jacques Rémy, nous avons tenté de le joindre des dizaines de fois sur son téléphone à Escherange (57) et ses deux téléphones GSM au Luxembourg en laissant des messages et nos coordonnées. Il ne nous a jamais rappelé. Nous publierons bien volontiers son point de vue dès qu’il voudra bien nous l’adresser.

 

chantier du ball-trap de Thionville (dr)
chantier du ball-trap de Thionville (dr)

 

Ball-trap : des montagnes de terre (DR)
Ball-trap : des montagnes de terre (DR)
Ball-trap : des remblais qui inquiètent les riverains (DR)
Ball-trap : des remblais qui inquiètent les riverains (DR
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