Les concessions autoroutières font régulièrement l’objet de polémiques en raison de leur rentabilité. Afin d’éclairer le débat public et de préparer la fin des concessions, le Sénat a créé une commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières.
À l’issue de sept mois de travaux, le rapport de Vincent Delahaye (Union centriste – Essonne), adopté mercredi 16 septembre, dresse trois principaux constats :
1. Le processus de cession au secteur privé a fait perdre à l’État 6,5 milliards d’euros de recettes potentielles (7,8 milliards d’euros en valeur 2020)
L’État a procédé à l’ouverture partielle du capital des sociétés d’autoroutes « historiques » (ASF, Sanef et APRR) entre 2002 et 2005 avant de les privatiser en 2006. Cette cession en plusieurs temps lui a fait perdre 5,3 milliards d’euros de recettes potentielles, auxquelles on peut ajouter l’absence d’offres concurrentes pour ASF dont Vinci détenait déjà 23% du capital qui a conduit à une sous-évaluation du prix de vente estimée à 1,2 milliard d’euros.
2. Deux des trois groupes autoroutiers pourraient atteindre la rentabilité attendue lors de la privatisation 10 ans avant la fin des concessions
Même si la rentabilité des concessions autoroutières ne pourra être définitivement mesurée qu’à la fin des concessions, il peut d’ores et déjà être constaté que les principaux paramètres économiques et financiers des concessions ont évolué favorablement, ce qui a permis aux sociétés d’autoroutes de verser un niveau exceptionnel de dividendes à leurs actionnaires (24 milliards d’euros entre 2006 et 2019).
Sur la base d’hypothèses prudentes, une étude indépendante demandée par le rapporteur anticipe une rentabilité très élevée d’ici la fin des concessions. Les groupes Vinci Autoroutes et Eiffage atteindraient la rentabilité attendue lors de la privatisation autour de 2022, soit 10 ans avant la fin de leurs concessions. Les résultats du groupe Sanef seraient en revanche en ligne avec les prévisions.
3. Les relations entre les sociétés d’autoroutes et l’État restent déséquilibrées
Les contrats de concession n’ont pas été revus lors de la privatisation. De ce fait, l’État s’est trouvé en position de faiblesse lors des négociations de programmes d’investissement complémentaires (Paquet vert autoroutier de 2008, plan de relance autoroutier de 2015 et plan d’investissement autoroutier de 2017), ce qui l’a conduit à accepter des taux de rentabilité trop élevés par rapport aux conditions de marché et donc des allongements de la durée des concessions et des augmentations tarifaires excessives.
La mise en place d’une régulation indépendante confiée à l’ART (Autorité de régulation des transports) a permis de renforcer le contrôle du secteur. Toutefois, comme l’a indiqué le rapporteur Vincent Delahaye : « Face à ces constats, le statu quo n’est pas possible. Il est impératif de mieux partager les profits des sociétés d’autoroutes avec l’État et les usagers et de rééquilibrer les relations entre le concédant et les concessionnaires ».
La commission d’enquête préconise plusieurs mesures à court et long termes
1. Préparer la fin des concessions
Avant tout, il est impératif de ne plus prolonger la durée des concessions, afin de pouvoir enfin remettre à plat le système autoroutier à l’échéance de ces dernières (entre 2031 et 2036).
Un sommet des autoroutes associant les sociétés d’autoroutes, l’État, l’Autorité de régulation des transports et des représentants du Parlement doit être organisé afin de définir l’équilibre économique des concessions et permettre qu’une partie de la rentabilité finance de nouveaux investissements sur le réseau et une modulation des péages en faveur des trajets du quotidien, du covoiturage et des véhicules propres. Les clauses d’encadrement de la rentabilité des concessions devraient en outre être revues afin qu’elles puissent être opérantes.
L’État doit en outre veiller à ce que les sociétés d’autoroutes maintiennent un niveau d’investissements suffisant afin que les infrastructures autoroutières lui soient remises en bon état.
2. Réfléchir à la gestion future des autoroutes à la fin des concessions actuelles
Une analyse approfondie des différents modèles de gestion des autoroutes envisageables (régie publique, concessions, contrats de partenariat) doit être menée. Si le modèle concessif était retenu, la durée des concessions, attribuées à l’issue d’appels d’offres, ne devrait pas dépasser 15 ans et le contrat de concession devrait encadrer la rentabilité et en organiser le suivi (par des clauses de revoyure tous les cinq ans et des clauses de partage des gains d’exploitation et de refinancement notamment)
Pour Éric Jeansannetas (RDSE – Creuse), président de la commission d’enquête, « ces propositions doivent permettre à l’État de définir une nouvelle relation avec les sociétés concessionnaires, afin d’assurer une meilleure défense de ses intérêts et de ceux des usagers ».