La question revient en boucle puisqu’il est peu probable désormais que le second tour ait lieu le 21 juin 2020. Les conditions dans lesquelles s’est déroulé le scrutin du 15 mars ont manifestement faussé les résultats.
« Une mascarade démocratique » a avoué l’ex-ministre de la Santé, Agnès Buzyn, à propos du premier tour des élections municipales après que la liste qu’elle conduisait à Paris sous les couleurs du parti présidentiel a ramassé une belle veste.
Elle a pourtant raison. On se souviendra longtemps des conditions de ce premier tour des municipales, le 15 mars, en pleine épidémie de coronavirus. La peur d’attraper le méchant virus chinois a dissuadé de nombreux électeurs de se rendre dans les bureaux de vote. Il y avait déjà 120 morts en France. Les premières mesures de confinement étaient décrétées par les autorités. Il n’est pas étonnant que 55,34% des électeurs aient préféré rester à la maison. Un taux d’abstention jamais égalé en France. 20% de moins que lors des municipales de 2014.
Quelle date ?
A l’évidence, les résultats ont été faussés, pollués par la peur du coronavirus. Dans certaines communes, le taux d’abstention s’est élevé à plus de 60% du corps électoral. Quelle légitimité pour les élus ?
Lors de ce premier tour, 30.125 communes ont élu leur conseil municipal. Il en reste donc 4.922 qui devront procéder à un second tour. 165 conseils communautaires ont aussi été entièrement renouvelés. Pour le millier restant, il faudra aussi attendre le second tour.
Quand ? Difficile à dire. La date du 21 juin 2020 a été envisagée. Le Conseil d’Etat rappelle que le délai de trois mois doit être respecté entre les deux tours. Au-delà, il faut tout recommencer.
Pourtant, compte tenu de la crise sanitaire qui s’éternise, il faudra attendre encore un peu. Soit en septembre soit encore en mars 2021.
Le second tour coïnciderait alors avec le renouvellement des conseils régionaux et départementaux. Et décalerait forcément les sénatoriales prévues en septembre 2020. Un vrai casse-tête chinois.
Une forfaiture
Reste que « la reconnaissance des résultats du premier tour des élections municipales relève d’une forfaiture démocratique qui en entache de manière indéniable la légitimité » du scrutin affirment plusieurs politologues dans une tribune publiée par Libération.
La démocratie locale a été tout bonnement bafouée.
Dans de nombreuses communes, les élus malheureux du premier tour ont déposé des recours devant les tribunaux administratifs mettant en cause « la sincérité » et « la sérénité » du scrutin. A Sarrebourg, en Moselle, Fabien Kuhn a demandé « la démission collective du conseil municipal » élu au premier tour (voir l’interview ci-après). D’autres l’ont suivi.
Mais les battus ne sont pas les seuls à demander l’annulation du premier tour. Une pétition en ligne intitulée « je n’ai pas pu choisir mon maire à cause du coronavirus » a recueilli plusieurs milliers de signatures.
Le satané virus chinois a infecté jusqu’aux bulletins de vote. Il faut en tirer les conséquences politiques si l’on veut réconcilier les Français avec la démocratie locale plutôt mal-en-point. Et avec leurs élus.
Fabien Kuhn : « Une défaite de la démocratie »
Le candidat malheureux au premier tour de l’élection municipale de Sarrebourg, en Moselle, a demandé la démission de l’ensemble du conseil municipal élu le 15 mars 2020.
– Vous avez sans doute été le premier, dès le 19 mars, à demander au maire de Sarrebourg, Alain Marty, réélu confortablement au premier tour de l’élection municipale, une démission collective du conseil municipal. Pourquoi ?
Je me suis rappelé une chose simple. C’est qu’un pouvoir, pour faire autorité, doit être à la fois légal et légitime.
Nous avons été régulièrement élus mais pas légitimes, du fait du recul historique de la participation (moins 22,66% par rapport à 2014), et pour des causes indépendantes de notre volonté.
J’ai voulu alerter sur le fait que notre situation était intenable peu importe la suite des événements. La prise de conscience est en train de s’opérer tant au niveau local que national. Soit l’élection sera annulée, soit il faudra développer de manière forte la démocratie participative pour partir à la reconquête de la confiance des citoyens, donc de notre légitimité perdue.
-Le gouvernement a souhaité « consacrer » les résultats pour les maires élus au premier tour. En remettant en cause ce choix, votre démarche ne risque-t-elle pas d’apparaître comme celle d’un revanchard ou un mauvais perdant ?
J’ai réfléchi à la question pendant 4 jours. Après mûre réflexion, la révélation de Madame Buzyn sur cette élection qui serait selon elle une « mascarade », l’annonce de Monsieur Marty le soir de sa réélection qui disait « cela peut poser des questions en termes de démocratie », la justification du gouvernement d’avoir maintenu coûte que coûte cette élection du 15 mars sous couvert d’un avis d’un comité Théodule composé de scientifiques, je me suis dit que le moment était venu de jeter mon pavé dans la mare.
Enfin, tout le monde ne peut qu’être d’accord sur le fait qu’il y a une inégalité de traitement. En effet, fermer les écoles, les cafés, les hôtels, les restaurants, les magasins et laisser ouverts les bureaux de vote est un acte profondément antidémocratique car la peur a claqué la porte de la démocratie au nez des citoyens. Et ça, ça fait très mal, c’est une défaite de la démocratie qui ne peut rester en l’état.
–Vous conduisiez la liste « De la colère à l’Espoir » qui a obtenu 7,70% des suffrages. Dans l’hypothèse d’une remise en cause du premier tour et d’un nouveau vote, pensez-vous améliorer votre résultat ?
D’abord j’ai bien conscience que ma très courte campagne ne m’a pas permis de m’exprimer complètement ni de faire connaître notre programme à l’ensemble de mes concitoyens.
Évidemment que j’ai perdu mais je suis un nouvel entrant, je n’ai pas 50 ans de carrière politique derrière moi ! Si nouvelle campagne il y a, le temps dont je disposerai et les enseignements tirés de mon échec me permettront très certainement de pouvoir obtenir la confiance de bien plus de personnes dès lors que l’urgence sanitaire sera derrière nous. L’urgence climatique et humanitaire est devant nous et pour bien longtemps. Seul un jeune sera capable de répondre aux défis actuels : changement climatique, retour des jeunes dans leur province.
Cela évitera des Brexit en série, liés à l’absence d’espoir et de jeunesse dans nos territoires abandonnés par les élites et par les jeunes exilés dans les métropoles mondiales.
-Le second tour de scrutin, pour 4.922 communes qui n’ont pas élu leur conseil municipal dès le 15 mars 2020 pourrait avoir lieu soit le 21 juin, soit en septembre ou même encore en mars 2021. L’écart entre les deux tours vous paraît-il sérieux ?
Tout cela ferait un excellent film comique à succès si nous n’étions pas dans la triste réalité. Alain Marty a répondu à mon courrier par voie de presse en disant « certains vivent encore en période de campagne électorale. Tout cela est dérisoire quand on voit ce dont on doit s’occuper. » Il est heureux d’attaquer son sixième mandat mais pour moi, la démocratie c’est essentiel et pas secondaire, et effectivement le processus électoral n’est toujours pas terminé à l’heure actuelle.
Les recours au Conseil constitutionnel vont bientôt déborder leurs serveurs tellement le mal est profond.
Nous ne pouvons plus nous payer le luxe d’avoir des dirigeants qui ont été élus avant la fin de la Guerre froide, des dirigeants qui ne sont pas capables de régler les problèmes qui s’accumulent et encore moins de maîtriser les crises en série qui sont devant nous.
Enfin je profite de cet entretien, pour remercier l’ensemble des personnes qui sont placées en première ligne dans le combat contre le Covid-19, tous ces travailleurs invisibles et pourtant si indispensables à notre vie au quotidien, que ce soit les soignants, les paysans, les caissières, les manutentionnaires, les cheminots, les dockers, les éboueurs, les gardiens de la paix, les gendarmes, les militaires, les livreurs, les ouvriers, les postiers, les enseignants, les bénévoles…
Leur visibilité médiatique actuelle témoigne enfin de la reconnaissance et de la gratitude que nous leur devons.
Je me réjouis des annonces d’investissements massifs du président de la République dans le domaine de la Santé mais je regrette profondément que le cri d’alarme des soignants a été si longtemps ignoré.