Pierre Leblond, Université de Lorraine
L’apparition de la résistance aux antibiotiques est un phénomène connu depuis l’utilisation du premier antibiotique. Ainsi, la résistance à la pénicilline a suivi de peu sa première utilisation clinique qui date de 1941. Même scénario pour la méticilline avec l’émergence de Staphylocoques résistants 2 ans après sa mise sur le marché.
Comment une bactérie résiste-t-elle à un antibiotique ?
Les antibiotiques sont des molécules qui interagissent avec un composant de la cellule bactérienne et qui bloque un processus vital (intégrité de l’enveloppe cellulaire, synthèse d’éléments essentiels tels que l’ADN ou les protéines…). Résister à un antibiotique peut emprunter différents mécanismes : dégrader l’antibiotique ou le modifier de façon à le rendre inactif, empêcher qu’il ne rentre dans la cellule, le refouler hors de la cellule ou encore modifier sa cible.
Les molécules à activité antibiotique d’origine naturelle appartiennent à des familles chimiques très diverses, et sont produites majoritairement par des organismes vivants (bactéries, champignons, plantes). D’autres sont le fruit de la synthèse chimique ou semi-chimique.
Pour autant, d’où proviennent les résistances aux antibiotiques transmises entre bactéries jusqu’aux pathogènes ?
Les bactéries qui sont exploitées pour produire une grande partie des antibiotiques, anticancéreux et antiviraux appartiennent à un seul genre vivant dans le sol (Streptomyces). Elles constituent un réservoir inépuisable d’antibiotiques appartenant à toutes les familles chimiques et visant toutes les cibles cellulaires imaginables aujourd’hui. Cependant, synthétiser un antibiotique sans être capable d’y résister reviendrait à se faire harakiri. Ces mêmes bactéries possèdent donc un arsenal de résistances c’est-à-dire produisent un antidote pour chaque molécule antibiotique qu’elles synthétisent.
Le sol est un milieu particulièrement compétitif. Il est pauvre en nutriments et est occupé par une diversité biologique inégalée (1OO millions de cellules par gramme de sol, pas moins d’une centaine d’espèces sur un grain de sol). Les micro-organismes qui y vivent ont développé de nombreuses stratégies écologiques pour s’y développer ; compétition active afin d’occuper une niche spécifique, collaboration au sein de communautés complexes, symbiose avec d’autres organismes (champignons et arbres dans les mycorhizes, symbiose avec les fourmis coupe-feuille).
C’est dans ce contexte que se livre une véritable course à l’armement afin de lutter contre la concurrence mais également à l’ intelligence afin d’établir des relations productives et équilibrées (collaborations voire symbiose) au sein de la communauté biologique. Ce sont les mêmes molécules qui en fonction de leur concentration locale peuvent jouer ces différents rôles.
Les capacités de synthèse et de résistance aux antibiotiques sont donc en constante évolution, ce qui est une bonne nouvelle pour notre arsenal antibiotique. En effet, cela nous ouvre la possibilité d’identifier de nouvelles molécules actives et de développer de nouveaux traitements. Le revers de la médaille, c’est celui de l’évolution constante des mécanismes de résistance.
Par quels mécanismes apparaissent les nouvelles résistances ?
L’évolution est un mécanisme rapide et continu, qui se déroule à l’échelle du temps humain, pas à l’échelle des temps géologiques ! Chez les bactéries, l’évolution est la combinaison de deux mécanismes majeurs, les mutations ponctuelles (affectant une ou plusieurs bases du génome) et de façon plus prégnante la recombinaison, c’est-à-dire la réassociation de séquences d’ADN. C’est le moteur du célèbre bricolage évolutif évoqué par François Jacob dans le Jeu des Possibles en 1981. Les séquences d’ADN recombinées peuvent être présentes au sein du patrimoine génétique ou acquises par transfert, c’est-à-dire qu’elles peuvent provenir d’autres organismes apparentés ou non, présents dans le même environnement. C’est le transfert horizontal.
L’émergence d’une nouvelle résistance chez un pathogène est caractérisée par trois étapes clé :
- La mutation ou recombinaison responsable de l’apparition du gène de résistance chez l’organisme environnemental ;
- L’acquisition du gène chez un nouvel hôte par transfert. Ce changement d’hôte peut être accompagné d’un changement d’expression du gène de résistance avec une résistance à l’antibiotique accrue. Il est également possible qu’exposé à de nouvelles molécules dans l’environnement du nouvel hôte, le mécanisme de résistance devienne plus efficace ou soit capable de traiter (transporter ou dégrader) de nouveaux substrats (changement de spécificité) ;
- La sélection sous pression antibiotique en forte concentration chez le pathogène. La présence de l’antibiotique en forte concentration aboutit à la mort des bactéries sensibles et la sélection et la dissémination des plus résistantes.
Quelquefois, l’apparition de la résistance ne nécessite qu’une seule ou peu de mutations ponctuelles. C’est l’un des scenarii d’apparition de la résistance aux antibiotiques de la famille des macrolides (utilisés contre les infections ORL notamment) avec des mutations ponctuelles modifiant les composants du ribosome (synthèse protéique), cibles de l’antibiotique.
Le changement de niveau d’expression d’un gène est également un événement clé dans l’acquisition d’une résistance. C’est ce qui confère à des mécanismes d’export (pompes à efflux) un potentiel de résistance élevée.
Ainsi, ces pompes situées dans la membrane cellulaire sont capables de refouler l’antibiotique à l’extérieur de la cellule. Une mutation ou un transfert chez un autre hôte peut augmenter leur niveau expression et une résistance accrue et ainsi conférer, sous pression antibiotique, un fort avantage adaptatif. Lorsque l’on sait que certaines pompes à efflux confère la résistance à plusieurs classes d’antibiotiques, on mesure le potentiel de ces mécanismes évolutifs.
Le transfert assure donc l’acquisition de gènes prêts à l’emploi qui peuvent être utilisés tels quels par le nouvel hôte ou encore réarrangés. C’est le cas pour l’apparition récente d’un gène de résistance à tous les antibiotiques de la famille des beta-lactames chez les germes responsables de dysenteries graves.
Le réarrangement de deux gènes de résistance associé à un niveau d’expression accru a favorisé l’apparition d’un mécanisme nouveau. De plus ce gène (blaNDM-1) est très souvent retrouvé sur des éléments mobiles qui peuvent se transférer et assurer la dissémination au sein des populations bactériennes. C’est ce qui a été découvert pour la première fois au Japon dans les années 1950, lors d’une épidémie de dysenterie dont le germe, les shigelles, étaient résistants à plusieurs antibiotiques simultanément.
Une lutte sous nos pieds
Dans les sols, la concentration de molécules à effet antibiotique n’est probablement effective qu’à l’immédiate proximité du producteur. La concentration est partout ailleurs trop faible pour assurer un effet létal (10 à 100 fois inférieure à la concentration nécessaire). Ces concentrations faibles d’antibiotiques peuvent également résulter de la contamination de l’environnement suite à l’utilisation massive d’antibiotiques par l’Homme en agriculture ou en médecine.
Les concentrations faibles en antibiotiques ont des conséquences multiples favorisant l’émergence de nouvelles (non préexistantes) résistances à de faibles doses. Ces proto-résistances pourront ensuite être sélectionnées en présence de fortes concentrations. Les faibles concentrations antibiotiques constituent un stress connu pour induire une réponse cellulaire (appelée SOS) destinée à réparer les dommages induits à l’ADN. Lors de cette réponse, la synthèse d’ADN nécessaire à la multiplication cellulaire devient incorrecte et produit des mutations à haute fréquence.
Enfin, et non des moindres, le stress induit la mobilité d’éléments génétiques qui sont capables de mobiliser des gènes d’une bactérie à l’autre. Ce dernier phénomène va favoriser à grande échelle la dissémination des gènes de résistance aux bactéries avoisinantes.
Naturelle ou d’origine humaine, la présence d’antibiotique dans l’environnement est génératrice de gènes de résistance. Outre étendre notre arsenal antibiotique pour traiter les infections bactériennes en pathologies humaines et vétérinaires, un autre niveau d’action est de tenter de limiter la diffusion des résistances en agissant sur le mécanisme de transfert de gènes. C’est sur cette dernière option qu’une équipe du laboratoire développe ses recherches.
Cet article a été co-rédigé avec Nathalie Leblond-Bourget (professeur des universités), Sophie Payot (directrice de recherche INRA) et Bertrand Aigle (professeur des universités) au laboratoire DynAMic UMR INRA-UL de l’Université de Lorraine.
Pierre Leblond, professeur des universités, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.