Forêt et changement climatique : pour Lorraine Nature Environnement, la crise actuelle démontre d’abord la très grande vulnérabilité des forêts artificielles. Voici son analyse. (Cet article a été publié une première fois le 13 janvier 2021).
Aujourd’hui, la forêt ne doit plus être considérée comme une « usine à bois ». Il faut prendre en considération toutes les fonctions de la forêt : protection des sols, qualité des eaux, lieu de détente pour la population, maintien de la biodiversité …. Ramener la forêt à sa seule fonction de production est un non-sens.
Lorraine Nature Environnement, fédération des associations de protection de la nature, met en garde contre la tentation de recourir à des essences exotiques pour adapter la forêt au changement climatique. Elle prône la régénération naturelle et demande qu’un large débat soit ouvert.
Faut-il introduire des cèdres de l’Atlas ou des chênes des Canaries en Lorraine en remplacement des épicéas décimés par le scolyte, les canicules et les sécheresses ? Pour LNE, la réponse est clairement non.
La fédération s’inquiète de voir les pouvoirs publics remettre en cause la régénération naturelle, stratégie adoptée après la tempête de 1999. Elle met en garde État et collectivités contre une nouvelle artificialisation de la forêt qui, aux dires de la filière bois, garantirait la production future de bois. C’est un pari sur l’avenir risqué, car personne aujourd’hui ne sait comment se comporteront ces nouvelles essences, ni quels seront les produits recherchés dans 50 ans. Quant aux changements climatiques, si on constate en Grand Est une hausse des températures, on assiste surtout à des dérèglements imprévisibles sur lesquels nous n’avons pas encore de recul.
Ne reproduisons pas les erreurs du passé
LNE rappelle que les dégâts de scolytes constatés depuis 3 ans en Grand Est (plusieurs millions de m3 de bois touchés) concernent essentiellement des plantations d’épicéas. Hormis quelques rares stations des Hautes- Vosges, cette espèce montagnarde n’est pas spontanée en Lorraine. Elle y a été introduite, massivement, jusqu’en plaine où aujourd’hui, plusieurs milliers d’hectares de monocultures doivent être abattus en catastrophe (Argonne, forêt de Verdun, Plateau lorrain, Piémont vosgien…) et auront du mal à être commercialisés même à perte.
D’autres résineux dits « à croissance rapide » ont aussi été largement introduits en Lorraine depuis les années 1950 : sapin de Vancouver, sapin de Nordmann, mélèze hybride, pin Weymouth, Douglas, etc. Ces introductions ont été largement subventionnées, notamment par le Fonds forestier national. Aujourd’hui, le bilan à la fois économique et écologique de ces replantations est très discutable : tempêtes, attaques de champignons (armillaires, rouilles..), de scolytes et d’insectes, sécheresses et canicules ont montré les limites de la « forêt plantée ».
Dans un contexte d’incertitude forte lié au changement climatique, la plantation reste une opération coûteuse et risquée car, plus on artificialise une forêt, et plus on la fragilise !
Miser sur le patrimoine génétique des essences locales et sur l’adaptation naturelle
Pour les associations, les recherches doivent d’abord porter sur la régénération naturelle et la forêt laissée en libre évolution. Le patrimoine génétique des arbres reste très diversifié (plus que celui des animaux), il est probable que la forêt soit en capacité de produire naturellement ses propres solutions. A condition évidemment de lui en laisser le temps… Cela implique, entre autres, une stratégie forestière privilégiant une sylviculture respectueuse de la nature, excluant les coupes rases et le travail lourd du sol, permettant de produire des peuplements plus stables et plus résilients. Au final, ce type de gestion douce est moins coûteux en énergie et en « intrants ».
Pour atténuer les effets du réchauffement climatique sur la faune et la flore et aussi stocker un maximum de carbone (dans les arbres et dans le sol forestier), LNE demande qu’une large part de la forêt (25%) soit classée dès maintenant « en pleine naturalité », c’est-à-dire en libre évolution. Car contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne rien faire n’est pas la pire des solutions : dans les réserves biologiques, les secteurs laissés en l’état après tempête ont été très rapidement recolonisés par la forêt, avec des essences autochtones variées et résistantes : bouleau, charme, érables, fruitiers, hêtre…qui méritent, elles aussi, d’être préservées et valorisées. Depuis plusieurs années, LNE et Alsace Nature demandent la création d’un vaste parc national où la forêt puisse évoluer vers l’état sauvage. En Allemagne, il en existe plusieurs. Le dernier a été créé en Forêt Noire, il englobe 10 000 ha classés en majeure partie sans intervention humaine. Cela existe aussi dans les autres pays européens, pourquoi ne le ferait-on pas chez nous dans le Grand Est ?
70.000 ha de forêts
D’autant que des opportunités sont à saisir. Ainsi, le 7 novembre 2019, le Conseil de Défense Écologique a proposé au président de la République la mise en protection forte de 70 000 ha de forêts métropolitaines. Voilà une occasion à saisir pour le Grand Est !
Ce n’est pas avec de vieilles recettes, qui ne marchent pas, que l’on s’adaptera et que l’on créera ce « monde résilient » que chacun appelle de ses vœux. C’est sur ces approches novatrices et axées sur les dynamiques naturelles que les associations souhaitent voir s’appuyer l’État pour arrêter sa stratégie forestière et la sylviculture. Et ce n’est pas la seule idée innovante que les Associations de Protection de la Nature et de l’Environnement (APNE) souhaitent voir se développer !
Pour les forêts en cours de révision d’aménagement, il y a lieu de demander de maintenir un mélange d’essences (maximum 50 % de l’essence objectif et 50 % d’autres essences d’accompagnement ).
Il est aberrant d’avoir des peuplements quasi monospécifiques très sensibles au moindre pathogène. Un peuplement monospécifique, et à une seule strate, est un écosystème simplifié très fragile, alors qu’un peuplement mélangé et bien structuré avec strates arborescente, arbustive, sous-arbustive, herbacée et muscinale est beaucoup plus résistant et résilient.
Une course de vitesse pour imposer un fait accompli
Malheureusement, comme l’a récemment dénoncé Alsace Nature : « On a l’impression que la politique de plantation lancée actuellement, sans vrai débat contradictoire, est une course de vitesse pour imposer un fait accompli avant que les premières conclusions liées à la régénération naturelle ne soient validées »
Pour les APNE, cette politique va à contre-sens des efforts de renaturation engagés depuis plusieurs années (notamment au travers du réseau Natura 2000). Les plantations ne devraient pas bénéficier d’aides publiques sauf dans quelques cas particuliers (et si leur innocuité écologique, sanitaire et génétique est démontrée scientifiquement). A titre d’exemple, LNE rappelle les aides financières généreusement accordées aux « champs d’épicéas »… aujourd’hui ravagés par les scolytes !
La filière Forêt-Bois en Grand Est