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José Bové : « Il ne faut pas lâcher face aux totalitarismes »

« Se voir interpréter au cinéma, c’est un peu curieux », convient l’ancien député européen, incarné par l’acteur Bouli Lanners dans « Une affaire de principe ». Un « thriller de bureau » captivant, réalisé par Antoine Raimbault, où l’activiste moustachu bataille contre le lobby du tabac à la Commission européenne.

L’acteur belge Bouli Lanners s’est laissé pousser les moustaches de José Bové pour incarner le syndicaliste agricole dans « Une affaire de principe » (Photos Pascal. Chantier)

L’acteur belge Bouli Lanners s’est laissé pousser les moustaches de José Bové pour incarner le syndicaliste agricole dans « Une affaire de principe » (sortie le 1er mai), un film de Antoine Raimbault (qui avait notamment tourné « Une intime conviction », avec Olivier Gourmet dans le rôle d’Eric Dupond-Moretti). Un « thriller de bureau » captivant, adapté de « Hold-up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe », livre écrit par José Bové et Gilles Luneau.

Inspiré de faits réels et donc d’un personnage bien existant, le long-métrage est consacré à un épisode bien précis, alors que l’ancien faucheur d’OGM était député européen (2009-2019). Si le parlementaire fumeur de pipe se consacrait alors essentiellement à l’agriculture et au commerce international, il s’est aussi intéressé aux affaires fumeuses de l’industrie du tabac, après la démission forcée du commissaire européen à la santé, John Dalli. En fait, derrière ce coup monté, se cachait un lobbying cynique des multinationales de la cigarette, qui déversaient des millions de dollars à la Commission européenne.

« Aucun contrôle » du Parlement européen

« Derrière le secret des affaires, on peut cacher beaucoup de choses », assure José Bové, qui a accompagné le réalisateur dans un tour de France de promotion du film. « Des entreprises ont compris que c’est à Bruxelles que ça se passait, on a vu les avocats remplacer les industriels. Le Conseil bloque la mise en place de la transparence, en France on n’est pas beaucoup mieux ni à l’Assemblée ni au Sénat », ajoute l’ancien élu.

Cette affaire dense, complexe, s’est déroulée sur plusieurs années, mais Antoine Raimbault parvient à capter les spectateurs avec une contre-enquête qui se déroule essentiellement dans les couloirs et les bureaux du Parlement européen. « On a respecté le réel, on a gardé les vrais noms, on a réduit tout ça, il y a quand même des raccourcis de cinéma, on a essayé de rendre les choses ludiques et cinématographiques », précise le cinéaste, qui a pu filmer au cœur de l’institution : « Le Parlement européen a accepté que le film se tourne et à Bruxelles et à Strasbourg ; il n’y a eu aucun contrôle, et on peut s’en réjouir pour la démocratie ».

« La démocratie est un sport de combat »

Le trio qui s’attaque au lobby du tabac : Bouli Lanners dans le rôle du député européen José Bové (au centre), Thomas VDB qui joue son assistant parlementaire, et une jeune stagiaire interprétée par Céleste Brunnquell.

Dans le film, le personnage de Bové jette par une fenêtre un rapport confidentiel afin qu’il soit communiqué ; le vrai Bové corrige : « C’est la seule scène où le cinéma a vengé la réalité, la fenêtre était fermée, je n’ai pas pu le faire ; mais tout le reste est vrai », assure l’activiste. Outre Bouli Lanners dans le rôle du moustachu, Thomas VDB joue son assistant parlementaire, et Céleste Brunnquell une jeune stagiaire, novice des arcanes européennes mais qui va bousculer les anciens et leur donner une petite leçon de morale.

« Une affaire de principe » démontre comment un contre-pouvoir légal peut agir face à la puissance économique : « Comme dit José, la démocratie est un sport de combat, il ne faut jamais renoncer », dit Antoine Raimbault. Forcément, Bové évoque aussi son sujet de prédilection, l’agriculture : « Jusqu’alors, on avançait à petit pas, sur les pesticides, sur le bio, mais avec les événements de janvier-février, il y a eu comme un rouleur compresseur, tout cela est en train d’être balayé dans toute l’Europe (…) Si les citoyens ne se mobilisent pas, on aura beaucoup de mal à obtenir un rapport de force pour contrecarrer le modèle de l’agro-industrie, dont on connait les effets délétères ». L’occasion leur est donnée avec les prochaines élections européennes le 9 juin : « Celui qui s’abstient fait voter le pire », ajoute José Bové.

Interview réalisée aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer

José Bové : « Le travail du Rassemblement national au Parlement européen, c’est zéro pointé »

Qu’est-ce que cela fait de devenir un personnage de cinéma ?

José Bové : Se voir interpréter par quelqu’un qui vous joue dans une salle de cinéma, c’est un peu curieux, une thérapie un peu spéciale. C’est curieux de se voir joué sous son propre nom, mais je n’aurais jamais su le faire, je suis très mauvais acteur. Je n’avais jamais prévu ça dans ma vie, en fait. Des reportages, des documentaires, j’ai participé évidemment, le plus important avait été « Tous au Larzac », mais après c’est étrange, psychologiquement c’est compliqué, heureusement que c’est Bouli. Je l’ai rencontré grâce à Antoine Raimbault et son choix a été extraordinaire, on s’est rencontrés, on a discuté ensemble, et on s’est aperçus qu’on avait tellement de points communs que c’était juste pas possible que ce ne soit pas lui.

« Celui qui s’abstient fait voter le pire », estime José Bové.

Dans le film, on vous voit batailler contre le lobby du tabac, quels sont les lobbyistes qui empoisonnent le Parlement aujourd’hui ?

Il y en a beaucoup, il y en a toujours, sur les produits chimiques, les pesticides, l’automobile… ce sont des intérêts privés contre l’intérêt général. L’industrie du tabac est la quintessence depuis plus de cent ans du monopole, et comment ces gens-là construisent leur monopole, ils ont utilisé toutes les armes y compris la corruption. Ceux qui ont fait leurs campagnes ont travaillé ensuite pour d’autres compagnies, Monsanto avait ensuite les mêmes types, les mêmes avocats que l’industrie du tabac, on les a tous retrouvés. C’est un modèle d’intérêt cynique privé.

« Une affaire de principe » sort quelques semaines avant les élections européennes du 9 juin, est-ce que vous êtes inquiet de la montée de l’extrême-droite ?

Le risque de bouleversement n’existe pas au Parlement européen. Aujourd’hui, le mode de scrutin est à la proportionnelle intégrale, et donc aucun mouvement politique ne peut avoir la majorité à lui tout seul. On ne peut pas changer les règles ; ça veut dire que pour n’importe quel texte, il faut faire une coalition de plusieurs groupes. Là-dedans, le Rassemblement national et les groupes d’extrême droite sont déjà divisés en deux, irréconciliables, et sont en incapacité totale d’avoir une majorité, même si Bardella fait 30% en France, ce que je n’espère pas. Et dans le reste du Parlement, certains n’iront jamais avec les fascistes, la droite, le PPE ne s’alliera jamais avec eux, jamais, mais eux s’en foutent, ils veulent faire du bruit pour les élections nationales.

« J’ai tenté un ticket commun entre Glucksmann et les Verts »

Mais quand on voit les scores des partis populistes en Europe, qui a raté quoi ?

Il y a une responsabilité politique et dans le fonctionnement de l’Etat et dans les pratiques politiques. A mon avis, il y a une responsabilité des gouvernants de beaucoup de pays européens, quand ils ont un problème c’est toujours de la faute de Bruxelles, et les populistes se frottent les mains, c’est invraisemblable. Pour l’électeur qui veut sanctionner son gouvernement en pensant que l’Europe ce n’est pas important, c’est l’élection où les mecs s’abstiennent ou se lâchent, c’est le risque. Si tu analyses le travail au quotidien du Rassemblement national au Parlement, c’est zéro pointé ; parfois, ils font un amendement qui est balayé d’entrée, leur poids politique c’est zéro, il y a une barrière syndicale de tous les autres groupes, ils n’ont aucune responsabilité possible, donc ils ne font que râler.

Est-ce que vous êtes un peu désespéré de la désunion de la gauche française ?

Mais ça dépend de quelle gauche on parle, aujourd’hui on a deux gauches : l’une qui est pro-européenne et l’autre qui ne l’est pas. J’ai tenté comme j’ai pu de faire en sorte qu’il y ait un ticket commun entre Glucksmann et les Verts, mais les deux partis ne marchent pas. Moi ça m’énerve, parce que je suis sûr qu’en faisant ça on était en deuxième place, on créait une envie autour de l’Europe. Les egos des partis sont redoutables, chacun a sa petite écurie et pense qu’il sera le meilleur tout seul, c’est une connerie. Il y aurait eu une dynamique, c’est ce qu’on avait fait en 2009, avec Dany Cohn-Bendit, alors qu’on s’était battus tous les deux sur le traité constitutionnel, j’avais appelé à voter non et lui à voter oui, mais on avait décidé de faire une liste commune et on avait fait carton plein, ça avait été l’événement de cette campagne.

Vous aviez choisi de ne faire que deux mandats à Bruxelles ?

J’avais dit en 2014 quand je me suis représenté que j’arrêterai à la fin de ce mandat. Je pense que c’était une bonne idée de ne pas rester et laisser tourner, personne n’est indispensable. Pour beaucoup c’est un apprentissage, parce qu’ils n’ont pas la pratique de l’Europe, moi je l’avais avant par le syndicalisme agricole, parce que la seule catégorie sociale qui connait le fonctionnement de l’Europe ce sont les paysans.

« 20% des paysans sont dans la merde totale »

« Heureusement que c’est Bouli, c’était juste pas possible que ce ne soit pas lui », confie José Bové à propos du comédien qui l’incarne au cinéma.

Justement, quel regard portez-vous sur la crise agricole de ce début d’année ?

Il y a 20% des paysans qui sont dans la merde totale, mais la FNSEA a récupéré le désarroi de paysans et d’éleveurs pour son propre agenda contre les pesticides, diminuer les règles pour agrandir les porcheries, ceci ou cela. Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, est président du groupe Avril, qui est un grand groupe de céréales et d’oléagineux à l’export, c’est lui le patron de Lesueur, c’est un industriel de l’agroalimentaire. Mais la réalité du terrain est toujours là, on est victime du modèle productiviste, qui est un modèle de concentration d’exploitations, d’élimination des plus petits, basé sur l’exportation, ce modèle est dépassé, il ne peut pas fonctionner. Toutes les règles économiques ont été changées au moment de la naissance de l’Organisation Mondiale du Commerce, obligeant les pays à importer des produits dont ils n’avaient pas besoin, instaurant le prix mondial et interdisant d’avoir des soutiens, le modèle est redoutable.

Vous n’êtes jamais découragé ?

Jamais, on ne peut pas avancer sinon. La démocratie est très longue à se construire, mais sa lenteur est en même temps sa force, il faut la défendre comme la prunelle de nos yeux, il ne faut pas lâcher face aux totalitarismes.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Une affaire de principe », un film de Antoine Raimbault, avec Bouli Lanners, Céleste Brunnquell, Thomas VDB (sortie le 1er mai).

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