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L’Alsace-Lorraine dans l’Empire allemand, une intégration incomplète

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Chateau du Haut Kœnigsbourg.
French Moments

Guillaume Bagard, Université de Lorraine; Georges El Haddad, Université de Lorraine et Julien Florémont, Université de Lorraine

« Nous ne pouvions pas être français, nous ne voulions pas être allemands, il restait à inventer l’Alsace ». (Charles Spindler, 1890)

En 1871, le traité de Francfort entérine la perte par la France de l’Alsace et de la Moselle au profit du nouvel Empire allemand, proclamé quelques mois auparavant, dans la galerie des Glaces du château de Versailles. L’alsace et la Moselle resteront annexées jusqu’à la fin de la Grande Guerre.

La proclamation de l’Empire allemand (au château de Versailles, le 18 janvier 1871) : sur l’estrade le Kaiser Guillaume Iᵉʳ, à sa droite le Kronprinz Frédéric-Guillaume, au pied de l’estrade, en blanc, le chancelier de l’Empire, prince de Bismarck.
Wikipedia

Pour comprendre cet événement qui, entre autres, conduira à deux guerres mondiales, des instabilités économiques en Europe, des populations déchirées et quatre changements de souveraineté, il convient d’être attentif au point de vue des différentes parties concernées. En effet, quand les Français parlent d’« annexion », les Allemands utilisent le terme Abtretung, c’est-à-dire de « cession ».

De surcroît, un troisième point de vue commence à émerger, celui d’une partie des Alsaciens et des Lorrains qui évoquent l’invention de l’Alsace,. D’ailleurs, la séparation avec la vision jacobine française va permettre l’éclosion d’une identité locale forte qui se perpétue aujourd’hui à travers le « particularisme » alsacien et mosellan. De cette histoire, il reste encore des héritages économiques, juridiques et religieux alsaco-mosellans, que nous développerons dans un prochain article.

La difficile intégration au sein de l’Empire allemand

Le régime politique de l’Empire allemand est une « monarchie autoritaire », mais aussi fédérale, mêlant les anciennes dynasties au gouvernement impérial ; moins démocratique que la IIIe République, l’Allemagne whillelmienne offre toutefois en théorie à ses Lands (ses États confédérés) plus d’autonomie locale.

Position du Reichsland Elsass-Lothringen au sein de l’Empire allemand.
Wikipédia

Après l’annexion, le statut politique de l’Alsace-Lorraine est très rigide : il ne constitue pas un Land à part entière mais un Reich’s Land (une terre d’empire) ; on pourrait comparer ce statut à celui d’une propriété en indivision. Cette terre d’Elsass-Lothringen appartient à tous les autres États allemands qui sont sensés la gouverner ensemble, en théorie en tout cas, car dans les faits, elle dépend directement de l’administration impériale.

Le temps de l’annexion

La loi allemande du 30 décembre 1871 prévoit que

« Les provinces d’Alsace et de Lorraine cédées par la France dans les limites fixées par le traité de paix du 10 mai 1871 sont à jamais réunies à l’Empire d’Allemagne. »

Le paragraphe X de cette loi, dit « Diktaturparagraph » laisse le pouvoir au gouvernement de suspendre toutes les libertés publiques, de réunion, d’association, de presse et de prendre toute mesure d’exception en cas de danger pour la sécurité publique dans ces provinces.

Les 1 597 000 Alsaciens et Lorrains sont alors considérés comme Allemands de facto, toutefois ils peuvent opter pour la nationalité française avant le 1er octobre 1872, à condition de quitter le territoire. Près de 9 % de la population émigre ainsi principalement à Nancy (en Lorraine) et à Belfort (seul territoire alsacien à n’avoir pas été annexée, appelé « arrondissement subsistant du Haut-Rhin »), tandis que de nombreux Allemands viennent quant à eux s’installer dans ce nouveau Länder. La langue allemande y est obligatoire, alors que la langue française, après une période transitoire, n’est plus utilisée. la volonté impériale de « défranciser » les territoires conquis s’immisce dans la vie quotidienne des Alsaciens et des Lorrains, même au niveau de la musique.

En 1886, Ludwig Adolf Wiese, célèbre pédagogue allemand, mais aussi responsable ministériel, rapporte dans ses Souvenirs de la vie et expérience officielle :

« L’impression générale, cependant, était bien plus déprimante que ce que nous aurions pu espérer. L’éloignement de la Lorraine et de l’Alsace de l’Allemagne était profondément enraciné et leur attachement à la France était plus intime et profond que je ne l’avais prévu ; ils n’avaient aucun sentiment national envers nous. […], c’est un honneur pour les Alsaciens-Lorrains d’appartenir à la grande nation française. […] il était énigmatique et attristant pour moi, de réaliser que le sentiment d’appartenance à la France était enraciné même chez les esprits les plus nobles et les plus éduqués… »

Vers une autonomie politique

schéma de la constitution allemande de 1871.
Psemdel (wikipédia)

Le 1er janvier 1874, la Constitution impériale permet à l’Alsace-Lorraine d’être enfin représenteée au Parlement allemand (le Reichstag), et voit la création d’une délégation provinciale (Landesausschuss). Enfin, la loi du 4 juillet 1879 remplace la tutelle exercée par la Chancellerie de Berlin sur la province par un gouverneur (Statthalter), et instaure un exécutif local composé de 4 sous-secrétaires d’État chargés des affaires intérieures ; de la justice et des cultes ; des finances ; et de l’agriculture, commerce et domaines. Lors des élections, deux grandes tendances politiques s’opposent en Alsace-Lorraine, les « autonomistes » et les « protestaires ».

Sans approuver l’annexion, les « autonomistes » souhaitent améliorer les conditions de vie des populations locales, et jouent ainsi le jeu des institutions allemandes. En effet, d’un point de vue économique, la période allemande correspond à un développement très important, qui s’accompagne de conquêtes sociales concernant les retraites ou l’assurance maladie.

L’Empereur Guillaumme II souhaite faciliter l’intégration de l’Alsace-Moselle dans l’Empire allemand, il a pour cela besoin d’un symbole fort : ce sera la reconstruction du Château du Haut-Kœnigsbourg, symbole de l’Alsace médiévale au temps de son appartenance au Saint-Empire Romain germanique.

Guillaume II en visite au Haut Koenigsbourg.

Alors que l’Empereur visite le chantier en 1902, il promet l’abrogation du Diktaturparagraph, qui interviendra le 18 juin 1902. Enfin en 1911, la loi du 31 mai 1911 permet à l’Alsace-Moselle de bénéficier presque du même statut que les autres Länders de l’Empire.

Ces progrès éco-politiques, Alsaciens et Lorrains n’auront pas le temps d’en profiter car en 1914 éclate la Première Guerre mondiale. Mobilisés comme tous les autres sujets de l’Empire, ils deviennent alors les « malgré-nous », forcés de combattre leurs compatriotes d’hier. Si la guerre n’avait pas eu lieu, l’Alsace Moselle serait peut-être devenue un pont culturel entre France et Allemagne ; au lieu de cela, elle sera l’enjeu de cette terrible confrontation.

L’Alsace-Lorraine dans la Grande Guerre

Premier grand moment du centenaire, l’été 1914 a fait l’objet de nombreux articles et documentaires retraçant l’attentat de Sarajevo, l’engrenage des alliances et le déclenchement de la guerre.

L’ordre de mobilisation générale est donné le 1er août en Allemagne et en France. L’État-major allemand se méfie de ces nouvelles provinces : des travaux récents sur les engagés dans la légion étrangère démontrent une très forte proportion d’Alsaciens et de Mosellans – ils s’y engageaient pour redevenir français, et échapper au service militaire allemand. Au total on comptera près de 18 000 Alsaciens et Mosellans dans l’Armée française, contre 380 000 dans l’armée allemande, souvent envoyés sur le front russe pour éviter le risque de désertion.

Autre motif de méfiance pour les Allemands, la priorité donnée à la reconquête des départements perdus lors de la guerre 1870 est au cœur de la stratégie française et de la bataille des frontières.

Engagés volontaire dans la Légion étrangère de 1914.
Travail personnel

En France aussi, des Alsaciens et Mosellans souffrent de ce climat de méfiance, à l’instar des déboires du Docteur Schweitzer : le futur prix Nobel de la paix alsacien est arrêté à Lambaréné (actuel Gabon) et ses projets humanitaires se voient pour un temps compromis.

La dictature militaire en Alsace-Lorraine

Fin 1913, l’incident de Saverne choque l’opinion allemande et provoque une crise politique. À la veille de la guerre, l’Empereur lui-même se sent trahi par la fuite d’Alsaciens-Lorrains et le 5 août 1914, il peste contre « l’ingratitude » de ces populations à qui il avait pourtant donné une constitution trois ans auparavant.

De 1914 à 1918, la situation en Alsace-Lorraine se dégrade considérablement ; le paragraphe de la dictature est non seulement rétabli, mais mis en application : les libertés publiques sont supprimées et le régime suspecte les civils, pratiquent des arrestations arbitraires ainsi que des internements. En 1918, la famine qui s’est emparée de toute l’Allemagne, vient s’ajouter à l’oppression en Alsace-Lorraine.

Que semble loin le temps où Guillaume II restaurait le château Haut-Koenigsbourg et s’efforçait d’intégrer Elsass-Lothringen comme un 26e Land dans l’Empire allemand. En 1917, le sort d’Elsass-Lothringen semble scellé : un projet de partage entre la Prusse et la Bavière est même imaginé, mais abandonné à cause de l’opposition de l’armée.

Le 25 octobre 1918, au crépuscule de son règne, Guillaume II décide pourtant d’accorder à l’Alsace-Lorraine, cette autonomie politique tant réclamée, espérant ainsi la conserver dans le giron allemand. Trop tard, le 11 novembre 1918, l’armistice demandée par une Allemagne exsangue sonne le retour de l’Alsace-Moselle à la France.

Ironie du sort, Elsass-Lothringen devient enfin un État fédéré à part entière de l’Empire allemand au moment où il s’en détache et revient à la France.


Cet article sera prochainement suivi d’un autre article, évoquant le retour de l’Alsace-Lorraine à la France et les héritages juridique, économique et religieux qui ont persisté dans ces trois départements : sécurité sociale, impôts, professions, associations, concordat, jours fériés, etc.The Conversation

Guillaume Bagard, Doctorant contractuel en Histoire du droit chargé d’enseignement, Université de Lorraine; Georges El Haddad, Doctorant en Sciences Économiques au BETA et Attaché d’Enseignement et de Recherche (ATER) à la Faculté de Droit, Sciences Économiques et Gestion de Nancy. Membre du Conseil Scientifique, Université de Lorraine et Julien Florémont, Doctorant en Histoire du Droit, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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