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Le mythe de l’industrie européenne de la Défense (2/5)

Sur fond de tensions géostratégiques et de guerre en Ukraine, le président Macron a annoncé au salon Eurosatory que « nous entrons dans une économie de guerre ». Mais où en sont l’industrie française et européenne de la Défense ? Etat des lieux en cinq épisodes.

Le Président Macron débat de l'avenir de l'Europe à Bruxelles (Flickr)
Le Président Macron débat de l’avenir de l’Europe à Bruxelles (Flickr)

Le concept de souveraineté (2/5)

Par Procope de Césarée*

Macron clame sur tous les toits la nécessité d’une Europe souveraine : si on admet ce point de vue, on doit constater qu’il part de très loin, comme le montre la situation actuelle européenne. On ne prend pour exemple que le conflit chypriote, tout petit, tout local, que l’Europe s’est constamment montrée incapable de régler (1974 : invasion turque de Chypre – offensive militaire turque qui a conduit à l’occupation par la Turquie de 38 % du territoire chypriote, comprenant les plus riches plaines céréalières.). La ‘’souveraineté européenne’’ au sens de Macron a été complètement bafouée et continue de l’être. Cet exemple suffit à caractériser l’impuissance actuelle de l’Europe (qui prétend quand même se mêler des affaires du monde).

« Ne vous mêlez pas de ce qui se passe chez moi »

L’existence même d’une industrie de défense européenne présuppose l’existence d’une armée européenne (cliente) qui présuppose une Europe souveraine (puissance globale). On remonte donc au concept de souveraineté (appliquée dans le cas présent à l’Europe).

Il faut noter que le concept actuel de souveraineté de l’Europe bruxelloise, dont le chantre est Macron, est différent de celui auquel on avait l’habitude de faire référence, à savoir le concept de souveraineté historique, formalisé par le traité de Westphalie. Ce dernier est grossièrement le suivant :

  • capacité à vivre sur une zone géographique donnée selon des règles (lois) définies par les habitants de ladite zone
  • capacité afférente à dénier et contrer toute menace remettant en cause le premier point.

Précisons que l’ordre westphalien correspond à une situation internationale dans laquelle les États exercent les fonctions régaliennes, sont souverains, et dont les limites correspondent à celles des nations. Historiquement en Europe, l’ordre westphalien reposait sur une réalité tellement tangible qu’on n’en parlait pas : un ‘’pays’’ se définissait par 2 critères : l’homogénéité ethnique et la religion. Ce n’est plus le cas en Occident alors que c’est un point central ressuscité en Chine (assimilation conceptuelle Chine- Han). C’est aussi la source de l’irrédentisme qui n’est pas mort comme V. Poutine nous le montre aujourd’hui. On notera que la Chine se réclame (quand ça l’arrange) du westphalisme comme un pilier désiré de l’ordre mondial à créer -en effet, une des conséquences en est la suivante : ne vous mêlez surtout pas de ce qui se passe chez moi !

Le Bien, le Droit, la démocratie…

Le concept (Bruxellois et macroniste) de souveraineté européenne est fondamentalement différent : il induit une prétention à l’universalité qui se traduit par un caractère messianique. Il est une copie du concept américain selon lequel ‘’mon modèle démocratique d’organisation politique et sociale est universel parce qu’il est le bon’’ (chansons déclinées sur tous les airs), je suis le camp du ‘’bien’’, du ‘’droit’’, de la ‘’démocratie’’, de la ‘’liberté’’, de ‘’tous les droits possibles’’, etc. et je suis fondé à vous juger où que vous soyez et si j’en ai la possibilité, j’ai le droit légitime (pour votre bien !) de vous forcer à mes vues (interventionnisme).
Le concept associé de défense n’a plus rien de westphalien : au-delà du caractère ‘’isolationniste et protecteur’’, il est fondamentalement ‘’interventionniste’’ dans l’esprit, car il considère que si quelqu’un, quelque part, ne partage pas les ‘’valeurs et les Lumières’’ alors il est un ennemi potentiel qu’il s’agira de ramener à la Raison. Ce concept a déjà pollué toutes les organisations internationales, conséquence logique de la suprématie américaine (soft power).

La cuisine des dictatures

En aucun cas, Macron ne peut, sur le plan du souverainisme, se réclamer de celui du Général de Gaulle (même s’il n’hésite pas à entretenir l’ambiguïté) qui était un fervent ‘westphalien’ comme il le dit et le répète dans ses ouvrages (l’ONU est un ‘’machin’’) – c’est même cette conception qui a présidé à la création des Forces Stratégiques qui étaient destinées à la protection de la seule France et pas de celle des petits copains.
L’actualité (déclaration de Macron du 14 juin 2022, voulue solennelle, mais simplement ridicule : je suis la République – valeur suprême – et mes adversaires ne sont pas républicains) nous fournit l’occasion de mesurer la nature profonde de ce système de pensée : s’il rencontre une opposition, il exclut ; tout en professant, bien sûr, les vertus du dialogue (bla-bla) et de la diplomatie (la tartufferie est un des apanages des détenteurs autoproclamés des  »valeurs » et des Lumières). C’est d’ailleurs sur cet ingrédient que se fonde la cuisine des dictatures sournoises dont la malfaisance n’est limitée que par l’incompétence de leurs dirigeants.

« Le peuple, on s’en fout… »

Nota : le modèle interventionniste est consubstantiellement générateur de conflits. Ils sont déjà à l’œuvre en Europe et vont inéluctablement dégénérer, mais ce n’est pas l’objet de ce papier. Par ailleurs, la souveraineté à la bruxelloise ne reconnaît pas l’opinion des peuples, car cette notion même est inopérante dans leur ‘modèle’ (se souvenir du référendum de 2005 avec 56% de Français rejetant le traité établissant une constitution pour l’Europe… et la constitution est en place parce que le peuple on s’en fout… dixit Sarkozy). Le peuple n’est pas éclairé par les Lumières : il n’est donc rien, et on est fondé à faire son bien, même malgré lui, et on est même fondé à le renouveler (volonté immigrationniste marquée).

*Procope de Césarée (6ᵉ siècle après J-C. est un rhéteur et historien byzantin dont l’œuvre est consacrée au règne de l’empereur Justinien). Il s’agit ici bien sûr d’un pseudonyme. Celui d’une personne très bien informée des enjeux technologique, politiques et géostratégiques de notre époque.

Prochain article : « Une industrie européenne de la Défense est-elle crédible » (3/5)

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