Nadine Levratto, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Annoncé à grand renfort de communication, le plan de relance de l’économie présenté au mois de septembre 2020 propose d’investir 100 milliards en deux ans dans l’économie pour sortir la France de la crise et préparer l’avenir. Le montant annoncé est considéré comme exceptionnel. Il représente 4 points de PIB selon l’Insee, soit l’équivalent de la perte subie par l’économie française du fait de l’épidémie.
Le plan devrait être financé à 40 % par l’Union européenne et se décompose en 36,4 milliards d’euros en autorisations d’engagements et 22 milliards d’euros en crédits de paiement répartis entre trois programmes : écologie, cohésion et compétitivité.
Combien de milliards pour l’industrie ?
Parmi les mesures adoptées, le gouvernement a particulièrement insisté sur celles destinées à l’industrie qui sont au nombre de 43 sur les 70 que compte l’ensemble du plan. Le poste principal est, de très loin, la baisse de 20 milliards des impôts de production (10 milliards d’euros par an prolongée au-delà de 2021) présentée comme une condition impérative du renforcement de la compétitivité internationale de l’industrie.
À cela s’ajoutent, 14,7 milliards d’aides au titre de la compétitivité dont plus de 5,5 milliards proviennent du PIA et 3 milliards de prêts participatifs consentis par Bpifrance. Le reste, soit 6,2 milliards d’euros, est destiné au spatial (515 millions), à la préservation de l’emploi de Recherche et Développement (300 millions) et aux relocalisations (1 milliard).
Les autres mesures, quoique présentées comme relevant du soutien à l’industrie, concernent également et même surtout d’autres secteurs (services ou bâtiment et travaux publics) ou d’autres domaines (formation initiale et continue notamment). Elles figurent d’ailleurs sous les intitulées écologie et cohésion.
Cet écart entre les annonces et la distribution effective des montants engagés n’est pas le seul élément qui conduise à douter de la capacité du plan de relance à renforcer l’industrie ou à sauver ce qu’il en reste. Sa structure déséquilibrée est également source d’inquiétude.
En effet, si l’enjeu est l’investissement et le renouvellement de l’équipement productif des entreprises, on peut s’inquiéter de l’arbitrage affirmé en faveur des baisses d’impôts. Entièrement ciblée sur les impôts de production, cette mesure représente une dépense fiscale de 20 milliards d’euros alors que seulement 3 milliards seront consacrés au renforcement des fonds propres des TPE, PME et ETI qui constituent l’essentiel du tissu industriel.
La préférence pour les baisses d’impôts
La baisse des impôts de production (CVAE, plafonnement de la CET et baisse de la taxation foncière des locaux industriels) était de longue date réclamée par les organisations patronales qui se félicitent de son adoption. Cette opinion n’est pourtant pas partagée par un rapport du Sénat, qui relève que les exonérations supplémentaires viennent s’ajouter à la baisse programmée de l’impôt sur les sociétés et aux nombreuses exonérations de cotisations sociales patronales dues par les entreprises. Or, l’effet bénéfique de cette stratégie reste loin d’être démontré.
Trois questions se posent sur les effets à en attendre.
Cette mesure sera-t-elle capable d’interrompre le mouvement quasi-continu de recul de l’industrie observé en France ?
Rien n’est moins sûr en raison, d’abord, de la répartition entre les entreprises de cette charge fiscale. D’une part on estime que, sur les 2,35 millions d’entreprises (hors micro-entrepreneurs) qui opèrent dans les secteurs principalement marchands non agricoles et non financiers, 400 000 seulement sont soumises à la CVAE en raison du dégrèvement pris en charge par l’État dont bénéficient les entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros.
D’autre part, le poids des dépenses pour la fiscalité économique locale dans le compte de résultat des entreprises est modeste. En 2017 il représentait 0,99 % du chiffre d’affaires hors taxe et 3,35 % de la valeur ajoutée.
Au total, les principaux contributeurs sont les plus grandes entreprises de trois secteurs peu exposés à la concurrence internationale : la production d’électricité et de gaz, les industries extractives et les banques et assurances. Ce sont également celles qui bénéficieront le plus des allègements. L’industrie manufacturière arrive juste derrière mais au même titre que le commerce, ce qui conduit à douter de l’objectif exclusivement industriel de ce nouveau coup de rabot fiscal.
Les industries les plus avantagées sont-elles les plus prometteuses ?
On peut également en douter. Présentée comme une incitation à relocaliser des activités et à créer des emplois en France, la baisse des impôts de production bénéficiera surtout à des activités polluantes (production d’électricité et de gaz ; industries extractives) ce qui va à l’encontre de l’objectif de transition écologique pourtant affirmé dans le plan de relance.
Ce risque environnemental est d’autant plus important que ce nouvel allègement fiscal sera consenti sans contrepartie de la part des entreprises qui n’auront à prendre aucun engagement à investir dans des technologies propres ou sobres. Alors que la transition écologique est un marché d’avenir, il est surprenant de constater que les investissements supplémentaires que les entreprises pourraient réaliser grâce aux moindres prélèvements fiscaux ne soient pas orientés vers des technologies dites vertes.
Sans exigence de contreparties, ces nouvelles exonérations risquent de se traduire, au mieux, par des investissements de renouvellement et, ainsi, échouer à promouvoir une nouvelle manière de produire plaçant l’écologie au cœur des préoccupations des entreprises.
Les entreprises reviendront-elles en France ?
C’est peu probable tant l’effet des aides de l’État à la relocalisation sont sujets à caution. La responsabilité du poids de la fiscalité locale sur l’emploi et les trajectoires d’entreprises est loin d’être démontrée alors que les investissements locaux constituent d’importants déterminants de la croissance de l’emploi, comme nous le montrons dans un article de recherche à paraître.
Bien que des compensations par l’État des pertes de recettes fiscales des collectivités locales soient prévues, ces dernières s’inquiètent d’un risque de diminution dans le temps d’autant que des économies sont déjà envisagées pour rembourser la « dette Covid ». À terme, ces baisses de ressources risquent donc de réduire leur capacité d’investissement et, par conséquent, de détériorer l’environnement de production qui influence à la fois les choix de localisation et les performances des entreprises.
Des mesures peu innovantes
À long terme, aucun grand dispositif du plan de relance ne laisse augurer une transformation de fond de l’industrie française pourtant nécessaire à son rebond. La principale mesure adoptée, la baisse des impôts de la production, s’inscrit dans la logique d’une politique de l’offre et prolonge le tropisme français en faveur des allègements d’impôts.
Toutes les autres mesures, y compris lorsqu’elles ont été envisagées, ont été balayées. La possibilité d’un engagement de l’État dans le capital des entreprises stratégiques n’a pas dépassé le mois de mars 2020, alors que cette mesure aurait pu faciliter les relocalisations de sites productifs pour lesquelles le plan prévoit seulement 1 milliard d’euros.
La protection du patrimoine industriel par l’intervention de l’État aurait également pu favoriser un changement de gouvernance des entreprises en faisant entrer les parties prenantes, au premier rang desquelles les salariés, dont le rôle dans les entreprises allemandes est un facteur clé de réussite.
Leur présence au sein des conseils d’administration aurait également favorisé la prise en compte de dimensions collectives comme l’emploi, la transition écologique ou la souveraineté technologique du pays. Au total, et c’est le risque principal, les mesures finalement peu innovantes qui composent le plan de relance s’inscrivent dans une logique de retour à une organisation de l’économie qui n’a pas su limiter l’ampleur de la crise actuelle et qui, par conséquent, pourrait ne pas réussir à protéger le pays des prochaines.
Nadine Levratto, Directrice de Recherche au CNRS, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.