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Gaza : l’information assassinée

Deux organisations de journalistes saisissent la justice française pour entrave à la presse et crimes de guerre.

Trop de journalistes tués à Gaza (image RSF)
Trop de journalistes tués à Gaza (image RSF)

 

La Fédération internationale des journalistes (FIJ) et le Syndicat national des journalistes (SNJ) ont déposé, mardi, une plainte contre X auprès du parquet national antiterroriste. Elles dénoncent des entraves systématiques à la couverture du conflit à Gaza et en Cisjordanie, ainsi que des actes pouvant relever de crimes de guerre visant des journalistes français.
Deux des plus importantes organisations professionnelles de la profession journalistique, ont engagé une action judiciaire inédite. Elles ont déposé une plainte contre X auprès du pôle spécialisé dans les crimes de guerre du parquet national antiterroriste (Pnat). Leur objectif : faire reconnaître l’existence d’entraves majeures à la liberté d’informer dans les territoires palestiniens, ainsi que des violences potentiellement qualifiées de crimes de guerre contre plusieurs reporters français.

Un accès au terrain devenu impossible depuis octobre 2023

Dans la plainte de plus de cent pages, consultée par franceinfo, les deux organisations décrivent un environnement hostile et « un système organisé d’empêchement de la presse ». Malgré de nombreuses demandes, aucun journaliste français n’a pu accéder de manière indépendante à la bande de Gaza depuis les attaques du 7 octobre 2023.
Selon le document, les refus répétés, y compris lors des rares cessez-le-feu, matérialisent une entrave « matérielle, administrative et sécuritaire » incompatible avec le droit international et le droit français. Les organisations s’appuient notamment sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que sur le délit d’entrave au métier de journaliste inscrit dans le Code pénal.
« Dans d’autres conflits très dangereux — Ukraine, Syrie, Irak — l’accès peut être difficile, mais jamais totalement fermé », souligne l’avocate Louise El Yafi, à l’origine de la plainte. Elle décrit un « black-out sans précédent », qui empêcherait toute observation indépendante.

Des reportages “embarqués” jugés insuffisants

L’armée israélienne autorise ponctuellement certains journalistes étrangers à entrer brièvement à Gaza, mais dans le cadre de reportages encadrés par ses services. Ces missions “embarquées”, où l’armée sélectionne les lieux visités et les personnes rencontrées, sont jugées incompatibles avec l’exercice d’un journalisme libre.
Les journalistes et syndicats estiment qu’un conflit « sans témoins » prive le public d’éléments essentiels pour comprendre la réalité de la guerre. « Quand vous empêchez les journalistes d’accéder à une zone de guerre, vous empêchez la société de comprendre ce qu’il s’y passe », insiste Me El Yafi. « C’est au cœur même de la démocratie. »

Intimidations, violences et menaces en Cisjordanie

La plainte ne se limite pas à Gaza. Les deux organisations décrivent également un climat de peur permanent en Cisjordanie occupée, où des journalistes seraient régulièrement menacés, braqués ou visés par des grenades assourdissantes.
Me Inès Davau, autre avocate du dossier, rapporte des témoignages « précis, datés et parfois documentés ». Elle évoque notamment l’agression d’un journaliste français par « près d’une cinquantaine de citoyens israéliens » armés d’armes à feu, de bâtons et de bidons d’essence. Le reporter aurait vécu « une nuit de terreur », avec la crainte d’être immolé — un acte qui, selon la plainte, a été commis ce soir-là contre un civil.
Pour les plaignants, ces faits peuvent relever de crimes de guerre, car ils visent intentionnellement des civils bénéficiant du statut particulier conféré aux journalistes en zone de conflit.

Une plainte à portée internationale

La Fédération internationale des journalistes, qui représente plus de 600 000 professionnels dans 146 pays, et le SNJ, premier syndicat de journalistes en France, insistent sur le caractère « strictement professionnel, déontologique et juridique » de cette démarche, et non politique.
En déposant plainte contre X, elles laissent au parquet la liberté de déterminer d’éventuelles responsabilités individuelles ou institutionnelles.
Le parquet national antiterroriste examine actuellement la plainte pour décider de l’ouverture ou non d’une enquête.

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