En évoquant le sort des travailleurs guatémaltèques dans l’industrie agro-alimentaire québécoise, Pier-Philippe Chevigny signe un film fort et puissant, éminemment social et politique.
Dans leur cinéma , les frères Dardenne en Belgique, Ken Loach en Angleterre, et parfois Stéphane Brizé en France, prennent la défense des sans-grades, des oubliés, des malmenés par un capitalisme sauvage, des damnés de la Terre qui résistent et réclament justice. Ils ont fait école auprès d’un jeune cinéaste canadien, Pier-Philippe Chevigny, dont le premier long-métrage, « Dissidente » (sortie le 5 juin), entre dans cette catégorie de films militants, nerveux et énervés. Multi-récompensé dans de nombreux festivals, présenté en avant-première aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer, c’est un film fort et puissant, éminemment social et politique, dans lequel à son tour il dénonce un système plutôt que des hommes qui en sont tous plus ou moins victimes.
C’est à Richelieu (titre original du film), vallée agricole et « garde-manger » du Québec, que Pier-Philippe Chevigny montre une triste réalité insoupçonnée, le sort des travailleurs guatémaltèques dans l’industrie agro-alimentaire québécoise. Une découverte pour son personnage principal, Ariane (jouée par Ariane Castellanos), embauchée comme coordinatrice dans une usine de transformation alimentaire. Sa mission : faire le lien et surtout l’interprète entre la direction de l’entreprise et les ouvriers saisonniers « importés » du Guatemala, qui ne parlent ni anglais ni québécois.
La pression d’actionnaires… français
Parce qu’elle aussi a peur de perdre son boulot, dont elle a besoin pour vivre et sauver son appartement de la saisie, Ariane s’efforce de tenir sa place dans un premier temps. Mais elle va vite affronter et tenir tête au directeur, interprété par Marc-André Grondin (vu notamment dans « C.R.A.Z.Y. », « Le premier jour du reste de ta vie », « Le Caméléon », « L’homme qui rit »…) méconnaissable en manager boiteux et intransigeant, qui subit lui-même la pression d’actionnaires… français.
Risquant elle aussi d’être virée, Ariane va progressivement devenir « Dissidente » d’un système d’exploitation bien huilé, d’une forme d’esclavagisme moderne. Révoltée par leurs conditions de travail, à pelleter du maïs y compris la nuit, de vie et de logement, elle ose se rebeller à la place de ces travailleurs migrants et traités comme tels, sous-payés et corvéables à merci par crainte d’être renvoyés au pays. Ce film raconte ainsi la lutte furieuse et déterminée d’une « Dissidente », un grain de sable qui enraye l’énorme machine du libéralisme triomphant, une lutte solitaire mais toute aussi implacable, formidablement incarnée par l’actrice Ariane Castellanos.
Patrick TARDIT
« Dissidente », un film de Pier-Philippe Chevigny avec Ariane Castellanos (sortie le 5 juin).