Les agriculteurs manifestent, notamment, contre l’inflation de normes qui touche leur secteur. Ils ne sont pas les seuls à n’en plus pouvoir de ce trop-plein de lois et de décrets qui nous submergent.
Soixante-sept lois publiées, 91 ordonnances, 1 843 décrets, 83 570 pages au Journal officiel, etc. Malgré les promesses de lutte contre le flux de nouvelles normes, l’année 2021 aura battu de nombreux records. Ce n’est pas nouveau. Voici ce que nous écrivions déjà en 2014, dans « Les dessous des Affaires judiciaires » (MaxMilo Editions) avec Frédéric Crotta.
« Même les meilleurs juristes ont du mal à s’y retrouver dans le maquis des lois, décrets, règlements et autres directives européennes applicables en France. Avec un « stock » d’environ 400.000 normes administratives en vigueur, la justice est devenue totalement incompréhensible pour la grande majorité des citoyens. À tel point qu’elle est désormais source d’insécurité juridique.
Une anomalie que dénonce, entre autres, Jean-Michel Darrois, avocat d’affaires, spécialiste du droit des marchés financiers, des fusions-acquisitions, du contentieux et de l’arbitrage international. « Nous avons de plus en plus de textes, de plus en plus illisibles, de plus en plus longs, de plus en plus complexes, constate le célèbre avocat. Le Pr Soyer a comparé la Déclaration d’Indépendance américaine qui comporte un peu moins de 200 mots et une circulaire des années 80 sur la commercialisation des œufs de cane qui comporte plus de 70.000 mots ! »
Environ 400.000 normes
Trop de lois, pourtant nul n’est censé ignorer la loi. Il s’agit évidemment d’une fiction juridique, car personne ne peut connaître l’ensemble des textes législatifs et règlementaires (décrets, circulaires, etc.) applicables aujourd’hui en France.
Combien y en a-t-il ? Beaucoup trop. On le sait depuis Montaigne qui, au 16ᵉ siècle déjà, affirmait : « Nous avons en France plus de lois que dans tout le reste du monde et assez de lois pour gouverner ensemble tous les pays du monde » (Essais, Livre III). Montesquieu ajoutait dans L’Esprit des Lois (1758) : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Enfin, Portalis, l’un des principaux rédacteurs du Code civil, recommandait d’« être sobre de nouveautés en matière de législation ».
Trop de lois ? Faisons les comptes. Il existe actuellement 64 codes juridiques (le Code civil, le Code pénal, le Code de procédure pénale, le Code de l’urbanisme, le Code de la santé, le Code général des impôts, du patrimoine, de la consommation, des assurances, des collectivités locales, etc.). Ensemble, le nombre d’articles de lois auxquels les Français doivent se conformer est de 22.334. Mais le nombre de décrets qui précise les normes en vigueur est de 137.219. À quoi il convient d’ajouter les centaines de milliers de normes administratives en tous genres qui régissent tous les aspects de notre vie économique et sociale. Au total, « le stock » est d’environ 400.000 normes. Sans oublier les quelque 7.400 traités et 17.000 textes communautaires.
Transposer les directives européennes
Une autre façon d’évaluer l’accumulation des lois et décrets applicables dans notre pays, c’est de mesurer la longueur moyenne du Journal officiel. Il est passé de 15.000 pages par an dans les années 1980 à 23.000 pages aujourd’hui. Quant au Recueil des lois de l’Assemblée nationale, il est passé de 433 pages au début des années 70 à près de 4.000 pages.
Il est vrai qu’une partie de l’activité législative est liée à la nécessité de transposer dans notre droit national les directives de l’Union européenne.
La France du 21ᵉ siècle bat toujours des records en termes d’inflation normative. D’autant qu’au problème de la surabondance s’ajoute un problème de qualité des textes qui contribue à la confusion.
Ajoutons à cela le fait que le droit doit s’adapter au monde qui l’entoure et aux incessants progrès des techniques et des sciences. Cela induit l’apparition de contraintes nouvelles, parfois complexes.
« On constate une montée en puissance du droit anglo-saxon et des règlementations internationales, observe Me Darrois. Cela représente beaucoup d’inconvénients, car les règlementations internationales sont en général des règlementations de compromis tenant compte de l’histoire juridique de chacun des États membres. Donc, on aboutit à des textes illisibles, longs et complexes. »
Le droit anglo-saxon
L’avocat constate que les cabinets anglo-saxons sont les plus puissants, que les États-Unis dominent le monde, et par conséquent leurs pratiques juridiques ont tendance à se développer. « Elles risquent d’aboutir à une situation d’une telle confusion, avec une multiplication des textes, avec une jurisprudence de plus en plus incompréhensible, aléatoire, imprévisible, qu’on peut penser qu’à un moment, il faudra revenir à la détermination de règles simples. Les États ou Unions d’États seront-ils en mesure de le faire ? Si cela continue, on peut prévoir que non. On peut envisager que l’élaboration des normes ne soit plus seulement confiée aux États, mais aussi à des institutions nationales ou internationales, plus expérimentées dans les domaines qu’elles auront à trancher. On assistera à une multiplication des sources de normes qui seront des normes particulières, corporatistes. »
Trop de lois de circonstance
Enfin, il faut bien le reconnaître, il y a trop de lois de circonstance. Les politiques sont tentés de faire des lois pour ‘’acheter’’ une clientèle sur le marché politique. « Le moindre fait divers donne lieu à l’adoption d’une loi nouvelle votée dans la précipitation » déplorait en 2008 Bruno Thouzellier, alors président de l’Union syndicale des magistrats (USM). Cela n’a pas changé depuis, bien au contraire !
« Les lois ne sont plus stables, car le législateur réagit à chaque catastrophe, à chaque scandale, à chaque fois que la loi en place paraît inadaptée, confirme Jean-Michel Darrois. On voit donc se multiplier des lois de plus en plus longues et illisibles et le législateur intervient non plus pour régler des équilibres généraux, mais pour essayer de pondérer des situations individuelles. »
Des textes illisibles
« Quant aux textes européens, résultats de compromis laborieux marqués par des cultures juridiques différentes, ils sont souvent difficiles à traduire dans notre législation. La réforme, la nouveauté, n’obligent pas à faire tourbillonner lois, règlements, directives européennes ou décisions de justice qui créent une confusion, un ‘’ras-le-bol’’ au moins aussi fort qu’en matière fiscale. »
Car, l’instabilité et l’inflation législative sont source d’insécurité juridique. Insécurité aggravée par la qualité des textes. En effet, les lois ne sont plus rédigées par les parlementaires et les juristes, mais par de hauts fonctionnaires, la plupart du temps énarques. L’administration a « pris possession du pays » constate Alain Lambert, ancien ministre, président de la Commission consultative d’évaluation des normes.
« La France est un pays qui s’enivre de droit, dit-il, l’un des pays au monde qui a le plus de textes. La fatalité française, c’est de croire que c’est par la loi que l’on peut résoudre tous les problèmes. » Il ajoute : « Le droit est devenu d’une telle complexité qu’il n’y a quasiment pas un seul politique capable de rédiger lui-même une proposition de loi : sur 1.000 signes de textes législatifs, 950 sont issus de la plume d’un haut fonctionnaire. La part du politique dans le fonctionnement du pays est devenue résiduelle, hors la communication. »
C’est tout le problème d’aujourd’hui. On privilégie la com’, c’est-à-dire l’esbroufe, le paraître, le bavardage, à la vraie politique qui consiste à vouloir résoudre les problèmes des Français. Les agriculteurs ont raison : la France marche sur la tête!
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