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Justice : L’insuffisance des moyens et l’indépendance de la magistrature

Les deux présidents du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), Christophe Soulard qui préside la formation du siège et François Molins qui préside la formation du parquet ont accepté de répondre nos questions sur le malaise des magistrats. Rappelons que le CSM est un organe constitutionnel chargé d’assister le Président de la République dans son rôle de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Christophe Soulard (Cour de cassation, CC0, via Wikimedia Commons)
Christophe Soulard (Cour de cassation, CC0, via Wikimedia Commons)
François Molins (Cour de cassation)
François Molins (Cour de cassation)
  • Une magistrate du tribunal judiciaire de Nanterre, Marie Truchet, est décédée le 18 octobre 2022 en pleine audience. Fin aout 2021, une jeune magistrate de Béthune s’est suicidée. De nombreux magistrats de l’ordre judiciaire notamment se plaignent d’une surcharge de travail et sont en burn-out. Le CSM a-t-il conscience d’une réelle souffrance au travail des magistrats, même si, évidemment, elle n’est pas bien nouvelle ?

Christophe Soulard et François Molins :  » Le Conseil supérieur de la magistrature a parfaitement conscience de l’importance du mal-être au sein du corps judiciaire. En effet, de nombreux membres du Conseil sont eux-mêmes magistrats, le Conseil visite toutes les juridictions dans le temps de sa mandature et les auditions qu’il mène dans le cadre de son activité de nomination sont l’occasion d’échanges francs avec les chefs de cour et de juridiction.

« Un sentiment de désespoir, voire de honte »

  •  Une tribune intitulée « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout » a été signée l’année dernière par plus de 3.000 magistrats sur environ 9.000. Les choses ne se sont pas améliorées depuis. Les conditions de travail sont-elles si difficiles dans les juridictions ? Et comment remédier à cette maltraitance institutionnelle ?

Christophe Soulard et François Molins : « La tribune a eu le grand mérite de contribuer à une prise de conscience dépassant enfin largement les spécialistes du monde judiciaire, alors que se tenaient les États généraux de la justice. En ce sens, elle n’est certainement pas étrangère au fait que le rapport du Comité des États généraux soit aussi implacable sur ce point, parlant de « sentiment de désespoir, voire de honte » face au manque de moyens humains et matériels. Le système ne tient en réalité que grâce à l’engagement et au dévouement des magistrats et fonctionnaires.

Les exigences éthiques et déontologiques des magistrats

Plus largement, le Conseil qui avait reçu à l’époque les rédacteurs initiaux de la tribune pour un temps d’échange, est convaincu que les conditions de travail des magistrats, la « souffrance éthique » qui est la leur au regard du décalage entre l’insuffisance des moyens et la noblesse de leur mission, posent en définitive des questions d’indépendance de la magistrature. En effet, il ne peut y avoir d’indépendance lorsque les conditions d’exercice professionnel sont en contradiction avec les exigences éthiques et déontologiques. La seule solution pour redonner à l’institution judiciaire la place qu’elle mérite en démocratie est un investissement fort des pouvoirs publics. À ce titre, les récentes mesures annoncées par le gouvernement, notamment en termes de recrutement, sont incontestablement d’une ampleur sans précédent. Il faut maintenant que ces annonces s’incarnent dans les faits et que des réponses ambitieuses et adaptées soient apportées aux problèmes de fond soulignés par le comité des états généraux. »

  • Le garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti confirme en expliquant qu’il paie pour « vingt ans d’abandon politique, humain et budgétaire de la justice ». Est-ce aussi votre avis ?

Christophe Soulard et François Molins : « On ne répare pas en si peu de temps des décennies de politiques publiques défaillantes. Le chemin pour redonner à la justice judiciaire des moyens à la hauteur de ses missions s’inscrira donc nécessairement dans le temps long. Il devra aussi impliquer une transformation et une modernisation de l’institution judiciaire. À ce titre, le rôle du CSM est double. Il s’agit tout d’abord pour le Conseil de contribuer, par un dialogue fructueux et exigeant avec les pouvoirs publics, aux réformes qui doivent être menées. Surtout – il s’agit là de son rôle Constitutionnel – le Conseil doit s’assurer que les réformes menées ne portent pas atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire. »

Christophe Soulard a été installé dans ses fonctions de premier président de la Cour de cassation le 18 juillet 2022.

Voir sa biographie

François Molins occupe les fonctions de procureur général près la Cour de cassation depuis le 16 novembre 2018.

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