Proche-Orient
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

Lettre de novembre d’Aurore Kepler à Gaïa

Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 b dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire. Aujourd’hui, l’histoire du peuple juif.

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Par Gilles Voydeville

 

Lettre du mois des brumes laiteuses sur Kepler
Lettre de novembre sur Gaïa

Ma chère Gaïa

Je sens tes forces céder sous la charge des affrontements entre tes petits êtres charmants. Tu es lasse comme une mère qui voit se déchirer ses enfants qui se haïssent car ils se disputent son amour, ne pouvant rien faire d’autre que de nourrir cette haine par cet amour partagé qui la constitue.
La rage et la colère sont des passions si tristes, mais ô combien répandues entre tous tes peuples, qu’elles les font s’affronter trop souvent. Si des frontières les séparent et les cantonnent sur un territoire, les guerres entre voisins sont souvent retardées, différées, voire empêchées par l’efficacité des défenses naturelles ou la dissuasion des armes.

Mais s’il n’y a pas de frontière et qu’un peuple immiscé survit au milieu d’un autre, un jour ou l’autre une étincelle enflammera le mélange. Il y a peu d’exception à cela.

J’en reviens donc à ta préoccupation du moment qui commence avec l’errance du peuple juif après l’échec du soulèvement de leur chef Bar Kokhba (+132-135) contre l’occupant romain : une défaite qui tue 580.000 Judéens et détruit 985 villages d’après Dion Cassius. Jérusalem est rasée et interdite aux Juifs par l’empereur Hadrien qui est donc à l’origine de cette dispersion qui marquera ce peuple au-delà des millénaires. Ainsi s’est formée la diaspora juive à travers le monde romain. D’abord esclaves, les Juifs s’affranchissent petit à petit et se logent dans des quartiers réservés, voire sont logés dans des ghettos au milieu des cités du pourtour de la Méditerranée et de l’Europe.

Ma chère Gaïa, j’essaye de me remémorer l’histoire de ce peuple que tu m’as rapportée en son temps, tout ceci pour essayer de comprendre.

En Allemagne à l’époque des Carolingiens, le peuple juif est très apprécié – Isaac le Juif est l’ambassadeur de Charlemagne (797) auprès du calife al Rachid – intégré – il est marchand, prêteur – protégé – sous la protection directe de l’empereur, l’assassin d’un Juif devant payer deux fois plus que pour celui d’un chevalier chrétien. En 1084 l’évêque de Spire invite les Juifs à s’y installer pour « augmenter mille fois l’honneur de notre ville ».
Mais en 1095, l’interdiction lui est faite de porter une arme. Cette même année, un grand nombre de Juifs sont massacrés à Metz et dans la vallée du Rhin.
Auparavant aimé comme témoin de la passion du Christ, dès que les foules fanatisées s’ébranlent sur le chemin de Jérusalem, ce peuple juif est perçu comme l’assassin qu’il faut supprimer (1096). Un scénario identique se reproduit au départ de la deuxième croisade en 1146, mais il est minoré par l’intervention de Bernard de Clairvaux qui le défend. L’histoire est jalonnée de massacres de communautés juives alsaciennes (1270), d’incendie de synagogue à Munich (1285), d’exactions de chevaliers (Rindfleish), de constitution de bandes de tueurs de Juifs en Souabe (1340), de bûchers gigantesques (Strasbourg 1349). Les Juifs s’immolent parfois d’eux-mêmes ou se noient pour échapper aux massacres.

En Espagne musulmane, les Juifs bénéficient tout d’abord de l’invasion des conquérant arabes de l’Hispanie (711) qui les libèrent du joug des Wisigoths évangélisés. Après l’invasion des Almohades rigoristes (1202) moins tolérants que les Almoravides pour la gent du Livre, ils subissent les persécutions.
En Espagne catholique, après la Reconquista (1492) ils sont chassés par ces rois catholiques et leurs successeurs, de même qu’au Portugal (5 décembre 1496).

En Gaule, les Juifs sont expédiés comme esclaves après leur bannissement (+135). À partir de 212, ils profitent de la citoyenneté romaine accordée par l’Édit de Caracala.

Sous les Carolingiens ils vivent en harmonie avec le peuple, mieux qu’avec leurs successeurs les Capétiens.
Au XIème siècle en Champagne le rabbin Rachi de Troyes incarne encore le génie du judaïsme. Mais comme partout avec le début des croisades la situation s’aggrave.
Philippe Auguste les bannit en 1182 et les rappelle en 1198.
Saint Louis leur impose le port d’un habit reconnaissable, la rouelle.
Philippe le Bel les expulse en l’an 1306 après l’incarnation du Seigneur Jésus Christ.
Rappelés en 1315 par Louis le hutin, ils sont à nouveau bannis en 1394.

En Pologne ils sont tolérés du VII jusqu’au XVII siècle et puis victime de la faiblesse du pouvoir. Ils seront décimés au XXème par les Nazis.

En Angleterre c’est Guillaume le Conquérant (XIème) qui fait venir des Juifs de Rouen pour leur compétence financière. Mais de nombreux Juifs sont massacrés au cours des mouvements de la troisième croisade (1190) et le Synode d’Oxford 1222 les rejette.
En 1290, ils ne sont plus que deux mille âmes et pourtant le roi Édouard les expulse du royaume.
Cromwell les réhabilitera en 1656.

En Italie, la diaspora arrive après la destruction du second temple et le bannissement décrété par Hadrien. Ils ne deviennent citoyens à part entière qu’après l’Édit de Caracala (+212).
L’absence d’Etat centralisé du Vème au XIXème siècle leur permet de vivre dans ce pays en relative harmonie. Mais ils subissent les pressions des Dominicains et de la Contre-Réforme. Ils sont regroupés dans des ghettos qui sont parfois pillés (Venise, Rome).
Quand les Espagnols prennent le pouvoir (Sardaigne, duché de Milan) ils sont bannis.
En 1569 ils sont expulsés des États Pontificaux.
C’est Napoléon qui lors de la campagne d’Italie leur apportera la liberté en 1796.
L’égalité des droits est proclamée dans le royaume au XIXe.

Tout s’aggrave au XXème avec les fascistes qui copient les Allemands.

Ma chère Gaïa, quand je te la rappelle, tu vois comme moi que l’Histoire de tes Juifs est terrible, un chemin de croix plus long que celui du Christ, une litanie de massacres et de suicides, de souffrances et d’abominations, une succession de calvaires et de tortures. Ils furent ballottés au gré des caprices de leurs hôtes : interdits de pratiquer nombre de métiers, stigmatisés, isolés, humiliés, spoliés, chassés rappelés, rechassés et souvent assassinés, brûlés, exterminés.

La question du pourquoi doit se poser.

La lecture de l’Histoire montre qu’il y a au moins trois causes pour expliquer ce racisme anti juif : celles liées à la religion, celles générées par les tensions sociales et enfin celles inhérentes à l’existence d’un peuple vivant en minorité au milieu des autres.

Les causes religieuses ne sont pas tant le fait des Juifs. Elles sont dues aux variations d’acceptation et de tolérance des peuples qui les hébergent. Chez les chrétiens ils sont d’abord acceptés comme témoins de la Passion du Christ, puis dès le départ des croisades rejetés comme bourreau. Chez les musulmans ils sont accueillis comme Gent du Livre et puis rejetés par leurs successeurs. En connaissant les travers de ton Charmant petit humanoïde, on comprend aisément que le peuple juif devint un bouc émissaire pour expier les fautes des autochtones qui pensaient que les catastrophes naturelles avaient une origine divine qui demandait le sacrifice d’une victime, toute trouvée dans ce peuple qui réfutait la nature de Jésus.

La superstition lui fut une lourde charge à supporter.

Les causes sociétales ne furent que la conséquence des leurs qualités : les Juifs sont acceptés et utilisés par les monarques pour leur sérieux, leur travail, leurs compétences financières. Mais ils sont, au fur et à mesure de leur réussite, jalousés par le peuple qui ne la leur pardonne pas. Alors que le succès commercial leur est indispensable pour ne pas mourir de faim car ils ne peuvent posséder ni la terre nourricière ni exercer un métier d’artisan. Cette résilience leur est nécessaire au vu du nombre de fois où ils sont repartis de zéro après un bannissement.

Les causes existentielles sont liées au fait qu’ils forment un peuple qui doit survivre en minorité au milieu des autres.

En général un peuple se définit par une vie en société, le partage d’un certain nombre de coutumes, d’institutions et le fait d’habiter un territoire défini. Comme les nations chez lesquelles le peuple juif cohabitait refusèrent très longtemps de lui donner la nationalité du pays – excepté les Romains à partir de +212 et dès la fin du XVIIIème siècle en commençant par les États-Unis et la France – le peuple juif restait juif sans pouvoir s’intégrer. Et comme il revendiquait sa judéité en déclarant Juif tout enfant né d’une mère juive, ce fut un moyen très efficace, simple et sans ambiguïté, pour définir l’appartenance à un peuple élu, mais aussi pour se démarquer des autres.

Sans doute y a-t-il dans tout cela une partie de l’explication de l’antisémitisme. D’ailleurs pourquoi ce mot antisémite remplace-t-il antijudaïsme à partir de 1889 ? Sémite vient de Sem, l’un des fils de Noé. Il se dit des différents peuples provenant d’un groupe originaire d’Asie Occidentale et parlant des langues apparentées. Les Arabes, les Éthiopiens, les Juifs sont des sémites. Les langues sémitiques sont : l’akkadien, le cananéen, le phénicien, l’hébreux, l’araméen, le syriaque et au sud l’arabe éthiopien. Au départ le mot est créé pour masquer le racisme anti-juif en le dissimulant dans une plus grande famille, dont les membres ont avec le temps disparu, ou possèdent encore leur territoire.

L’histoire du peuple juif démontre qu’il était indispensable de lui trouver une terre. Car la coexistence de peuples différents sur un même territoire annonce toujours des conflits et peut se terminer en génocide. Ils ne sont pas les seuls… Les Rohingya et les Birmans, les Tutsi et les Hutus, les Yézidis et Daech, les Arméniens et les Turcs ; voici quelques exemples récents de coexistence qui ont fini par des massacres de masse.

Qui plus est ma chère Gaïa, j’ai l’impression que cette guerre Israélo-Palestinienne est aussi une lointaine conséquence d’un schisme musulman, celui des Chiites se séparant de la Sunna après le massacre d’Ali et de ses partisans à Kerbala (10/10/680). Car on peut constater que la rupture des relations entre les pays arabes sunnites (Arabie, Maroc, etc…) et Israël, est la conséquence de la guerre totale qu’Israël a déclaré au Hamas après le massacre du 7 octobre.

Je pourrais penser ma chère Gaïa que ce comportement du Hamas correspond plutôt à une manœuvre de l’Iran chiite contre ses adversaires sunnites.

Et que l’intérêt manifesté par l’Iran pour le peuple palestinien, par l’entremise du Hamas, lui sera facturé au prix fort par les Israéliens. Cela permettra à la théocratie iranienne de détourner la révolte qui gronde contre les déviances de sa dictature vers les Israéliens qui ont donné dans son panneau ouvert si grand que le gouvernement d’Israël n’en a pas mesuré les contours…

« Alors Iahvé dit à Caïn : pourquoi éprouves-tu de la colère et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu agis bien, ne te relèveras-tu pas ? Que si tu n’agis pas bien, le Péché est tapi à la porte : son élan est vers toi, mais toi domine le ! » (Genèse IV 6-7)
Mais Caïn éprouvé par la colère (id-5), dit à Abel son frère : « Allons aux champs ! » Et comme ils allaient aux champs, Caïn se leva contre son frère Abel, et le tua (id-8). »
Ce passage de la Genèse me semble être du meilleur conseil car tout comme Caïn, le gouvernement d’Israël est éprouvé par la colère et tue malgré les préventions de Iahvé.

Comme dirait l’un de tes penseurs, William Marx commentant Edgard Morin, si vous prenez parti, il y a une défaite de la pensée complexe : car les Palestiniens ont droit à un état autant que les Israéliens ont droit de vivre en sécurité. Dans la littérature grecque antique, il est difficile de trouver le bien imperfectible ou le mal absolu.

Un conflit tragique résulte toujours de la double légitimité des adversaires.

Ma chère Gaïa, désormais en Palestine vous assistez à une pièce dramatique jouée dans un théâtre grec, sur les hauteurs de Taormina ou dans la plaine d’Épidaure, là où le bien et le mal ne sont pas d’origine humaine mais, comme dans Œdipe, comme dans la guerre de Troie, sont bien dus à l’intervention des Dieux, c’est-à-dire du destin. Cette destinée humaine qui a généré les peuples Philistins et Juifs, leur épanouissement tout comme leurs conflits, leurs sages tout comme leurs extrémistes qui ne poussent que sur le fumier qu’ils ont oublié de balayer devant leur porte, ne pourra trouver un dépassement final – dans l’histoire de tes Charmants petits humanoïdes il n’y a pas d’exception à cela – que dans le jugement d’un tribunal extérieur comme celui de l’Aréopage athénien. À toi de trouver les juges…

Dieu dit :
« Voilà le jour
Où la sincérité des justes leur sera profitable :
Ils demeureront à tout jamais immortels,
Au milieu de Jardins où coulent les ruisseaux. » (Sourate de la Table servie ; Coran : V -119).

Ma chère Gaïa, je ne t’ai pas du tout parlé de la vie sur ma planète, mais au vu du danger qui te guette, il m’a semblé important de me concentrer sur la compréhension de tes problèmes.

Je t’enlace de mille scintillements et de douces pensées.

Ton Aurore

Monde Proche-Orient