Myriam Benraad, IÉSEG School of Management
Nombreux sont ceux qui avaient espéré que la trêve entre Israël et le Hamas, sur fond de libération d’une partie des otages enlevés le 7 octobre et détenus de longues semaines à Gaza, déboucherait sur une désescalade progressive. Mais cet espoir a vite été déçu. Après quatre jours d’accalmie relative, les frappes israéliennes ont repris sur l’enclave palestinienne. Benyamin Nétanyahou a justifié cette relance des hostilités par l’impasse à laquelle avaient fini par conduire les négociations, médiées par le Qatar, l’Égypte et les États-Unis.
Il est fort à parier que si une nouvelle trêve était décrétée et d’autres otages libérés, cela ne signifierait pas la fin de la guerre. Or un concert croissant de voix s’élève désormais à travers le monde pour critiquer une riposte israélienne jugée disproportionnée du fait de l’ampleur des destructions, matérielles et humaines, qu’elle entraîne.
Sans doute est-il utile de s’interroger sur ces représailles, leur nature et leurs objectifs. En effet, si au début de l’opération « Glaive de fer » il s’agissait d’anéantir le Hamas, ce but pourrait avoir laissé place à une réaction démesurée et aveugle sur bien des aspects, car infligeant de lourdes pertes à une population civile palestinienne tenue indistinctement responsable des crimes du 7 octobre – quand bien même celle-ci ne soutient qu’en partie le mouvement et ses méthodes.
Les Gazaouis sont contraints à la fuite pour survivre face au châtiment violent qui s’abat sur eux. D’aucuns ont qualifié cette rétribution israélienne d’indiscriminée, au point qu’elle pourrait finir par se retourner contre l’État hébreu lui-même ; ce qui est sûr, c’est qu’en Israël e multiplient partout les références incendiaires à la loi du talion, ce qui n’annonce guère d’apaisement.
Représailles stratégiques, guerre de vengeance ?
Rappelons tout d’abord les mots du premier ministre israélien au soir même des tueries du 7 octobre :
« Ce qui s’est passé aujourd’hui est sans précédent en Israël – et je veillerai à ce que cela ne se reproduise pas. L’ensemble du gouvernement soutient cette décision. Les forces de défense israéliennes utiliseront immédiatement toutes leurs capacités pour détruire celles du Hamas. Nous les détruirons et nous vengerons avec puissance ce jour sombre qu’ils ont imposé à l’État d’Israël et ses citoyens. »
En filigrane de cette affirmation est perceptible la tension, sinon l’ambivalence profonde, entre l’existence d’un objectif stratégique bien compris par Israël, celui de venir à bout du groupe Hamas, et une visée dissuasive plus abstraite, qui cristallise symptomatiquement les débats.
Du côté palestinien, mais aussi parmi les opinions publiques arabes, on considère largement que l’opération d’Israël à Gaza et les milliers de morts qu’elle a déjà causés relèvent d’une « guerre de vengeance » où l’absence d’objectifs tactiques clairement énoncés traduirait une volonté d’éradication pure et simple des Palestiniens. Fin octobre, le ministre palestinien des Affaires étrangères Riyad al-Maliki a ainsi affirmé que cette guerre n’avait rien de comparable aux précédentes et n’articulait aucun autre dessein que celui d’une « destruction totale de tout lieu vivable à Gaza ». Le représentant de l’Autorité palestinienne ajoutait que la guerre ne suivait pas non plus de plan militaire évident et ne respectait surtout aucune norme internationale.
Depuis le 7 octobre, la réponse israélienne est largement perçue comme une vengeance par de nombreux dirigeants politiques et intellectuels. Ces représailles ont ainsi été dépeintes comme une punition collective sans autre projet véritable que celui de soumettre les Palestiniens à une souffrance extrême en contrepartie des crimes commis par le Hamas contre des civils israéliens – parmi lesquels se trouvaient enfants, femmes et personnes âgées.
Cette approche du conflit en cours ne questionne pas seulement l’existence – ou non – d’une stratégie lisible du côté israélien, mais aussi la rationalité même de cette guerre. S’il ne fait aucun doute que Tel-Aviv prévaudra militairement à Gaza, sa victoire sur un plan politique demeure très incertaine.
Réaffirmer son ascendant, défendre des valeurs ?
Or c’est là une dimension clé de la crise. Si se venger du Hamas et punir les Palestiniens vise pour Israël à réaffirmer son pouvoir et son intégrité, après la sidération provoquée par l’attaque du 7 octobre, quelle est la motivation de cette riposte au plus long cours ? Quelle stratégie la volonté de châtier Gaza articule-t-elle exactement ?
Le retour des Israéliens à un statut qu’ils perçoivent comme blessé, atteint par l’assaut terroriste du Hamas, dépend moins du « pendant » de la guerre que de l’« après », c’est-à-dire de ce qui en résultera. Mais alors que l’offensive terrestre de Tsahal est déjà lourdement engagée sur le terrain, un certain brouillard persiste. Restaurer son pouvoir, et donc son statut, dépend aussi de la réception de la guerre par le reste du monde ; sur ce point, tout un chacun constate la polarisation extrême des avis et postures que cette guerre a suscitée, opinions publiques et représentants politiques oscillant aux extrêmes entre une adhésion totale à la guerre menée par Israël et son rejet pur et simple.
Est-il question pour Israël de se réimposer face au Hamas uniquement ? S’agit-il plutôt de mettre au pas l’ensemble des forces palestiniennes, de Gaza jusqu’à Jérusalem-Est et la Cisjordanie ? Le but est-il en outre d’envoyer un message à d’autres ennemis, notamment régionaux, au premier plan desquels l’Iran et son bras armé libanais, le Hezbollah, de même qu’un certain nombre de milices chiites présentes en Irak, en Syrie, ou encore au Yémen ?
Une incertitude perdure quant aux intentions réelles d’Israël, qui interroge à l’évidence la légitimité même de la guerre, sa légalité, ainsi que la faculté qu’aura Tel-Aviv à en tirer des bénéfices à long terme.
Les représailles seraient-elles conduites, au-delà des considérations géopolitiques locales et régionales, au nom de valeurs et d’un impératif de justice après les crimes du 7 octobre ? L’analogie entre cette date funeste et le 11 septembre 2001 prend tout son sens à travers cette question : la violence des opérations menées par Israël contre Gaza se justifierait en effet – certes de manière paradoxale tant l’étendue de la dévastation est colossale – au nom d’un devoir moral de réparer le tort commis, de donner une leçon historique aux Palestiniens.
Là encore, il n’est pas certain que la guerre soit comprise dans des termes identiques depuis le camp adverse et par une partie significative de la communauté internationale qui ne voit dans les opérations de Tsahal depuis deux mois ni une réparation, ni une forme de justice, mais plutôt une surenchère délétère dans la violence.
La satisfaction du vengeur
Ou n’est-ce in fine que la satisfaction du vengeur qui importe, ce qui renvoie à une conception encore plus simple de la vengeance en raison du plaisir que celle-ci procure à son auteur ?
Autrement dit, l’État hébreu ne cherche-t-il, au fond, qu’à venger les victimes du 7 octobre 2023 en considérant que la bande de Gaza, et à travers elle l’ensemble des communautés palestiniennes, ne reçoivent que ce qu’elles méritent ? Le 7 octobre, de nombreux civils de Gaza se seraient en effet engouffrés dans les brèches ouvertes par le Hamas et auraient accompagné les tueurs en commettant également de nombreux crimes. De surcroît, on fait grand cas, dans le camp israélien et pro-israélien, des réactions de joie à ces crimes observées en Cisjordanie, mais aussi du fait que des civils palestiniens aient capturé et rendu au Hamas un otage qui avait essayé de s’enfuir.
Aux yeux d’une partie de la classe politique israélienne, ces éléments corroboreraient les liens étroits des civils palestiniens avec le Hamas. Le ministre du Patrimoine Amichaï Eliyahu, par la suite suspendu, n’avait-il pas déclaré son souhait de lancer une bombe nucléaire sur Gaza ? Autant de développements et d’indices qui ne présagent malheureusement aucune désescalade prochaine du conflit, en dépit des nombreux appels à une fin des hostilités.
Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University – Professeure / Institut libre d’étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI), IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.