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L’UFC-Que Choisir porte plainte contre Nestlé et plusieurs ministres

L’UFC-Que Choisir porte plainte contre Nestlé Waters et plusieurs membres du gouvernement, à la suite des révélations sur l’usage illégal de microfiltration pour des eaux dites « minérales naturelles », notamment Perrier. 

Perrier

L’association de consommateurs accuse Nestlé de tromperie massive envers les consommateurs, et l’État d’avoir dissimulé sciemment cette fraude, comme l’indique un rapport sénatorial. Deux plaintes sont déposées :

  • Auprès du procureur de Nanterre, visant Nestlé Waters, ses dirigeants, son lobbyiste, certains membres de cabinets ministériels, l’ARS Occitanie, et « X » pour suspicion de corruption et trafic d’influence.
  • Devant la Cour de Justice de la République, visant d’anciens ministres (Agnès Pannier-Runacher, Roland Lescure, Aurélien Rousseau, Agnès Firmin-le Bodo) pour leur rôle présumé dans la dissimulation.

En parallèle, une procédure en référé est engagée pour obtenir le retrait des produits, l’interdiction de leur commercialisation et la cessation de l’étiquetage trompeur. Une audience est prévue début juillet.

Ce scandale met en lumière des failles majeures dans la régulation des eaux en bouteille en France.

Une fraude massive

Le scandale sanitaire et politique est confirmé par le rapport accablant de la commission d’enquête sénatoriale qui révèle l’utilisation de traitements illégaux par des industriels, notamment Nestlé Waters, sur des eaux pourtant vendues comme « naturelles ». L’État, lui, est accusé d’avoir sciemment couvert ces pratiques. Retour sur une affaire explosive.

Des eaux « naturelles »… artificiellement purifiées

Perrier, Vittel, Hépar, Contrex… Des marques familières, synonymes de pureté et de santé, sont aujourd’hui au cœur d’une fraude massive. Selon le rapport rendu public le 20 mai 2025 par une commission sénatoriale, plusieurs minéraliers, dont Nestlé Waters, ont utilisé des techniques interdites – microfiltration poussée, ultraviolet, charbon actif, injection de sulfate de fer – pour décontaminer leurs eaux de source. Ces traitements sont autorisés pour l’eau du robinet, mais interdits pour les eaux minérales naturelles, censées être d’une pureté irréprochable.

Le recours à ces méthodes sape le fondement même de l’appellation « eau minérale naturelle », qui justifie son prix jusqu’à 400 fois plus élevé que celui de l’eau du robinet. Pourtant, ces eaux trafiquées ont continué à être commercialisées comme « naturelles », trompant des millions de consommateurs. Le préjudice est estimé à près de 3 milliards d’euros.

Deux décennies de manquements passés sous silence

La fraude n’a rien d’un accident ponctuel. Selon les travaux de la commission, les pratiques de purification non conformes durent depuis au moins vingt ans. Et pourtant, ce n’est qu’à partir de 2019, grâce à un lanceur d’alerte de l’entreprise Alma (Cristaline, Vichy Célestins…), que les autorités commencent à enquêter. Mais ce qui aurait dû être une alerte sanitaire majeure se transforme en silence complice.

Nestlé, la sécurité alimentaire et les justifications climatiques

Interrogés, les dirigeants de Nestlé ont tenté de minimiser les faits. À les entendre, les traitements visaient uniquement à faire face à de nouvelles menaces sanitaires liées au réchauffement climatique et à l’urbanisation. Pourtant, la commission constate que Nestlé n’a jamais apporté la preuve que ces procédés n’avaient aucun impact sur la qualité sanitaire de l’eau. Pire, certains dispositifs ont été discrètement abandonnés dès 2021, sous pression d’une enquête de la DGCCRF.

Un État complice : entre lobbying et inertie

Mais au-delà de la responsabilité des industriels, c’est le rôle de l’État qui scandalise. En 2021, informés des pratiques de Nestlé, les cabinets ministériels – notamment celui d’Agnès Pannier-Runacher – ont non seulement omis de saisir la justice, comme l’impose l’article 40 du Code pénal, mais ont également caché l’affaire à l’opinion publique et aux autorités de santé.

Pire encore, le gouvernement a accepté d’assouplir la réglementation pour permettre à Nestlé de continuer sa production, malgré l’illégalité manifeste de certains procédés. Le rapport dénonce un laxisme général, une minimisation des risques et une soumission évidente au chantage à l’emploi brandi par l’industriel.

Un rapport modifié sous l’influence de Nestlé

Le comble du scandale est survenu fin 2023, lorsqu’un rapport de l’ARS Occitanie sur des captages jugés non conformes a été modifié sur demande de Nestlé avant sa présentation au comité départemental compétent. Des mentions relatives à la présence de pesticides interdits et de bactéries telles qu’E. coli ont été supprimées, avec la complicité présumée du préfet du Gard et du ministère de la Santé. Selon la commission, Nestlé est allé jusqu’à être coauteur du rapport. « Inexplicable et inexcusable », fustige le sénateur rapporteur Alexandre Ouizille.

Aucune remise en question, un mépris assumé

Ni les industriels, ni les autorités ne semblent prêts à tirer les conséquences de cette affaire. Les filtres à 0,2 micron – pourtant non conformes – sont toujours en place dans les usines de Nestlé. Le préfet du Gard a récemment exigé leur retrait sous deux mois à Vergèze, mais les justifications de l’entreprise restent floues.

Du côté de l’exécutif, silence radio. Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée au moment des faits, a refusé de comparaître. Plusieurs dirigeants de Nestlé ont, quant à eux, fourni des témoignages contestés – au point que la commission a saisi le parquet pour faux témoignage.

Et maintenant ?

Face à cette situation, l’UFC-Que Choisir a décidé de saisir la justice. À l’heure où la confiance des citoyens envers les institutions est fragile, ce scandale de l’eau risque de laisser une trace durable. Le slogan des eaux minérales « saines par nature » semble aujourd’hui bien loin de la réalité.

 

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