Plus de 54 millions de personnes dans le monde dont un million de France souffrent des effets du SARS-CoV-2 longtemps après l’infection. Jean-Marc Sabatier * nous aide à mieux comprendre cette étrange maladie.
Qu’appelle-t-on le Covid long ?
J.-M. Sabatier– On parle de Covid long lorsque des personnes infectées par le SARS-CoV-2 présentent des symptômes et des troubles de la Covid-19 au-delà de quatre semaines après le début de leur infection. 54 millions de personnes seraient concernées dans le monde dont environ un million en France.
Quels sont les symptômes du Covid long ?
J.-M. S. Ils sont multiples. Les plus fréquemment rencontrés sont la fatigue, les troubles neurologiques (cognitifs, sensoriels, céphalées), troubles de l’odorat (anosmie), du goût (agueusie). Mais aussi troubles cardio-thoraciques (tachycardie, dyspnée), toux, palpitations… Les troubles digestifs (diarrhée) et ophtalmologiques, les problèmes cutanés (urticaire, engelures, démangeaisons), les douleurs articulaires, tendineuses et/ou musculaires, l’insomnie, les acouphènes, les vertiges, les nausées, l’anxiété, l’irritabilité et l’odynophagie. Ce sont plus d’une centaine de symptômes qui sont répertoriés.
Au-delà de quatre semaines après l’infection, ces symptômes ne sont pas nécessairement permanents. Ils peuvent apparaître, disparaître, revenir.
Quelles sont, à votre avis, les origines du Covid long ?
J.-M.S. Plusieurs pistes ont été décrites sur l’origine du Covid long. L’une d’elles est la présence du virus SARS-CoV-2 latent dans l’organisme qui n’aurait pas été complètement éliminé (infection virale chronique avec des réactivations plus ou moins transitoires) avec ses effets délétères sur l’organisme.
Une autre piste est l’hyper-inflammation induite par le SARS-CoV-2 qui entraînerait la réactivation de microbes endogènes (exemple : le virus d’Epstein-Barr, de la famille des herpès, présent dans 95% de la population mondiale adulte) conduisant à des effets délétères sur l’organisme.
Est-ce que ce sont les deux seules pistes de l’origine du Covid long ?
J.-M. S. Pas tout à fait. Le Covid long pourrait être associé à la présence d’anticorps auto-immuns dirigés contre une ou plusieurs protéines de l’hôte (tels que le facteur VIII de la coagulation, la protéine PF4 des plaquettes sanguines et autres). Y compris des anticorps auto-immuns dirigés contre le système rénine-angiotensine (SRA), dont des anticorps anti-récepteur ECA2 (qui est le récepteur du virus), et/ou anti-angiotensine-2 (un excès d’angiotensine-2 suractive le récepteur AT1R à l’origine des maladies Covid-19), etc. Ces anticorps auto-immuns peuvent perturber les voies métaboliques et les processus physiologiques impliqués dans le fonctionnement d’organes et de tissus. Ces anticorps seraient ainsi responsables d’effets délétères résultant de ces perturbations ou dysfonctionnements.
Un Covid long pourrait également résulter d’une combinaison de ces possibilités entrainant des symptômes et troubles multiples (plus ou moins forts et potentiellement variables dans le temps).
Pourquoi connaît-on si mal le Covid long ?
J.-M. S. A ce jour, il existe peu de données sur le Covid long. Il a été décrit récemment une hypoactivité du cerveau décelée par imagerie cérébrale chez les personnes souffrant de Covid long. Il a été aussi observé l’implication de canaux calcium sensibles à la ryanodine (RYR). Les canaux ioniques RYR se trouvent dans les muscles striés squelettiques (RYR1), le myocarde (RYR2) et le cerveau (RYR3).
Selon moi, le Covid long est une persistance de symptômes ou maladies de la Covid-19 qui aurait pour principale origine le dysfonctionnement (induit par le virus SARS-CoV-2) du système rénine-angiotensine (SRA).
Le SRA joue un rôle clé dans le fonctionnement de l’organisme humain (et des mammifères en général). Il est notamment impliqué dans les fonctions rénales, pulmonaires, cardiovasculaires et pilote l’immunité innée et le microbiote intestinal. Il se trouve dans les nombreux tissus et organes dont le cœur, les poumons, le foie, le pancréas, la rate, les reins, les gonades, les glandes surrénales, le système vasculaire, la peau, le cerveau… Le dysfonctionnement du SRA est à l’origine des maladies Covid-19.
De nombreux troubles neurologiques sont rapportés dans le cadre du Covid long. Quelle est votre explication ?
J.-M. S. Il y a un tropisme cérébral du SARS-CoV-2 et les atteintes neurologiques observées sont dues, selon moi, à une action du virus sur le SRA du système nerveux central. En effet, le SARS-CoV-2 peut infecter les cellules nerveuses (comme les neurones et les astrocytes qui expriment le récepteur ECA2) et s’y multiplier sans détruire les cellules.
Il existe des adaptations (ou variantes) locales du SRA dans le corps humain. Le SRA du système nerveux central apparaît particulièrement différent des autres SRA locaux de l’organisme, bien que l’on y retrouve les mêmes acteurs (c’est-à-dire les mêmes ligands et récepteurs).
Le récepteur AT2R est très présent dans le cerveau. Il est impliqué dans la réparation des dommages au cerveau (régénération axonale, croissance des neurites, …) et la diminution de l’inflammation, ainsi que la vasodilatation. Autrement dit, le récepteur AT2R a un effet neuroprotecteur. Il favorise la survie neuronale et protège des lésions cérébrales. Le récepteur AT2R s’oppose aux effets délétères du récepteur AT1R qui est responsable des maladies Covid-19 (lorsqu’il est suractivé en présence du virus SARS-CoV-2).
L’angiotensine-2 qui appartient au SRA, est la clé des maladies Covid-19. C’est à la fois une hormone et un neuromodulateur (neuropeptide) capable d’agir sur AT1R et AT2R. Elle cible en priorité AT1R mais, en son absence, elle cible AT2R pour lequel elle a moins d’affinité. Il est notable que certaines zones du cerveau sont très riches en récepteur AT1R, d’autres en récepteur AT2R, ou à la fois en récepteurs AT1R et AT2R mais en proportions variables.
J’ajoute que chez les patients Covid long, l’infection provoque des troubles qui ressemblent parfois à ceux observés pour la maladie d’Alzheimer. Il est notable que le SRA est impliqué dans les maladies neuro-dégénératives comme Alzheimer, Parkinson, Schizophrénie et les troubles de l’humeur.
Chez les patients Covid long, le virus ne parait pas totalement éliminé ; il se réactive et ses effets délétères persistent dans le temps.
*Jean-Marc Sabatier est directeur de recherches au CNRS, docteur en Biologie Cellulaire et Microbiologie, affilié à l’Institut de Neuro Physiopathologie (INP), à l’université d’Aix-Marseille.