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Lettre de février 2022 d’Aurore Kepler à Gaïa

Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 B dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire.

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Lettre du mois des Sarments Glacés sur Kepler

Lettre de Février sur Gaïa

Ma chère Gaïa

J’espère que chaque jour te permet de tourner toujours plus en paix aux confins du majestueux bras d’Orion de notre belle galaxie. Je viens de te lire avec attention et j’aime quand tu parodies tes grands auteurs car ils ont le talent d’élever mon esprit au-dessus des abîmes de ma condition. Et lorsque tu évoques la vie passée, celle qui a été, tu m’apprends à accepter le futur qui ne sera peut-être pas. Peu importe de disparaître si nous avons fait notre part. Le seul vrai drame est de n’être pas à la hauteur de ses devoirs et de manquer de saisir les opportunités. Quand les événements nous dépassent, sans regret et sans crainte nous devons nous incliner devant la destinée. Le plus important est de n’avoir pas failli, pas tant au regard des autres qu’à celui que l’on porte sur soi-même. Car si parfois nous avons besoin des autres pour nous stimuler ou nous contraindre, en fin de compte c’est bien l’estime de nous-mêmes qui nous permet de nous supporter.

Une victoire sur le néant

Comme nous l’explique ton écrivain d’outre-tombe, s’il ne persiste de ma vie qu’un sillage éphémère – quelques flots blancs roulant sur le gris du grand océan – ce sera déjà une victoire sur le néant. J’assume devenir le vaisseau fantôme, me contentant de ne laisser qu’une infime trace sur l’onde cosmique. J’oublie cette immortalité qui en vérité m’angoissait. Mon inquiétude se dissipe déjà, comme une brume s’évapore aux premiers rayons pour laisser briller le creux d’un verdoyant vallon. Tes grands auteurs vont me permettre de surmonter les tempêtes de mes passions tristes. Je vais pouvoir me consacrer à ma tâche originelle qui nourrit et protège ses créatures. Peu importe mon avenir si je les rassure sur le leur. Je suis la matrone qui allaite, la mère qui conseille, la planète qui tourne malgré les vents sidéraux et les marées de météorites qui cinglent les espaces du néant.

Je me contente d’être toujours là

En te lisant, je ressens un bien-être. Tes pensées m’apaisent et me redonnent une perspective. Plutôt que de m’attacher à de basses préoccupations, elles me projettent vers un avenir plus serein ignorant la peur de la disparition. Mes réflexions reprennent une hauteur que mon égocentrisme m’avait fait perdre. À nouveau, mon esprit s’envole entre mes firmaments, mon cœur plane au-delà de mes poudreux nuages et ma mémoire se réjouit de tout ce que j’ai vécu. J’oublie l’ambition, je loue le passé et je me contente d’être toujours là.

Et quand tu évoques le glas qui, comme le raconte un autre Charmant du nom d’Hemingway, sonne toujours pour celui qui s’en inquiète, je me prépare à l’entendre.

Une planète avertie en vaut deux, et je ne poserai pas cette stupide question pour ne pas affronter sa morbide réponse.

Tu m’as sortie des abîmes métaphysiques et j’en sors grandie. Ragaillardie, je vais tâcher de modérer ma belle Utula qui use des ficelles du pouvoir pour parvenir à ses fins. Elle vient avec habileté de faire voter la loi du Choix à une assemblée qui ne l’a pas vraiment eu. Qu’est-ce que la loi du Choix ? Eh bien, c’est très simple : tout accouplement ovoïde hétérosexuel doit faire l’objet d’une déclaration préalable avec signature des deux parties. Des formulaires horodatés seront distribués gratuitement à la population avec l’heure de la signature et celle de l’acte. Cette loi, rapportée à l’assemblée par Acinga, l’amie d’Utula, a fait l’objet d’âpres débats, de combats houleux, d’invectives, d’injures et même d’insinuation car les accouplements homosexuels – qui concerne sans aucun doute la rapporteuse de la loi – en étaient exclus. Cette loi n’a pu passer que par le truchement d’un article qui permet en dernier ressort au président de trancher. Donc cette loi a été qualifiée de sexiste par les uns, de sexocidaire par les autres, de loi faite pour les gouinesses – femelles refusant le saut dans la poche mais pas la caresse de l’orifice. Cette accusation visait bien sûr Utula qui n’aime pas tant la compagnie des mâles. Eh bien, le grand paradoxe fut que cette loi a été votée par une partie non négligeable de cette gent mâle. Oui, par ceux qui en ont assez d’être dans le doute au moment de l’accouplement.

Car l’accusation de viol est devenue une ritournelle récurrente des prétoires.

Ces mâles-là ont opté pour la sécurité plus que pour la liberté. Tristes tropiques diraient tes mâles Charmants. Suggère-leur de promouvoir une telle législation pour ne pas sombrer sous les avalanches des #meetoo.

Nous avons souvent des échanges sur la nature de notre environnement et je voulais t’apporter quelques éclaircissements sur la nature quantique de notre Univers. Car mes Ovoïdes ont résolu le problème de la téléportation alors que tes Charmants pataugent toujours dans la glu de l’électrodynamique quantique (QED), version quantique de l’électrodynamique classique qui décrit les électrons et les champs électromagnétiques.

Les particules élémentaires

À mon avis, il faudrait que tes physiciens se débarrassent des champs électromagnétiques et ne conservent que les particules élémentaires. Les particules interagissent à travers des vides dans l’espace et dans le temps, si bien que chaque particule répond aux états passés et futurs des autres. Et quand tes Charmants auront fait plus de place à cette théorie dans laquelle le futur peut influencer le passé (là je sais que tu n’as que très peu de chance de les convaincre), ils auront fait un grand pas vers la compréhension de ces phénomènes qui leur semblent encore magiques – ce dont Feynman l’un de tes prix Nobel a déjà pris acte dans la théorie qu’il a énoncée avec son collègue Wheeler. Bref, tes prophètes sont rarement compris, ni même entendus. Il faut dire que la somme des connaissances du passé entrave l’ouverture d’esprit pour la compréhension du futur. Et que le changement de modèle n’est pas inclus dans la cohérence d’un système (c’est même l’inverse) qui s’auto-entretient pour survivre et non pas pour s’ouvrir à une modélisation qui l’anéantira. Je dois te dire que la magie n’existe pas. Seule la méconnaissance de la physique quantique pourrait y faire croire. Quand la grande horlogerie sera débusquée, les intuitions des plus pointus seront expliquées.

J’aimerais vraiment que nos deux êtres fusionnent leurs forces pour expliquer l’énigme de l’Univers et trouver ensemble le moyen de nous rapprocher.

Il faudrait également orienter tes physiciens vers la chrono dynamique quantique (QCD) qui gouverne les particules élémentaires que sont les quarks et les gluons. L’équation de Lagrange que connaissent tes physiciens prédit l’avenir des particules. La matière noire et l’énergie sombre qui doivent représenter 95% de la masse de l’Univers, ne s’expliquent pas encore avec les particules mathématiquement décrites. Voici un conseil : il faut que tes physiciens s’orientent vers une particule que nous appelons ici axion – qui n’a pas encore été observée mais les quarks top l’ont été vingt ans après avoir été calculés.

Ces axions pourraient se concentrer sous la forme d’astéroïdes et seraient des candidats au poste de la mystérieuse matière noire.

Dans certains de nos laboratoires, les axions ont été intégrés dans les modélisations de formation de galaxie. Et quand nous avons comparé nos simulations à la réalité pour constater qu’elles étaient identiques, nous avons compris que l’axion est sans doute la bonne particule.

La matière noire

Imaginer une matière dense qui se laisse traverser par la lumière sans la modifier le moins du monde est un exercice mental que tes Charmants vont avoir du mal à concevoir. Le modèle de gravité quantique connu chez toi sous le nom de la théorie des cordes comporte des particules du type des axions, mais des axions très légers. Nous avons encore du travail pour comprendre la matière noire. Mais nous savons maintenant qu’un axion soumis à un fort champ magnétique de 8 teslas, soit 100 000 fois le tien, pourrait émettre un photon, ce qui s’avérerait un progrès pour détecter enfin cette invisible matière noire. Donc il faut sonder et encore sonder le cosmos pour y trouver les plus forts champs magnétiques. Tu le sais, ils existent. Ils sont produits par des étoiles en fin de vie, des étoiles dites à neutrons. Alors il faut que tes astronomes s’arment de patience pour détecter autour de ces étoiles à neutrons de petites lumières, de microscopiques photons qui, quand ils apparaissent, trahissent la présence de ces axions. Ils sont peut-être la matière invisible, qui enfin se laisserait dérober sa cape d’invisibilité par ces modestes champs magnétiques.

Quand sous le flux des aimants gigantesques la mer ténébreuse se retirera, le roi apparaitra nu et bien frêle pour avoir exercé tant de pouvoir.

Les accélérateurs de particules

Mais est-ce la bonne particule ? Car nos physiciens s’emballent quand ils ont l’impression d’expliquer l’Univers. Et puis leurs collègues tempèrent leurs ardeurs par d’autres calculs qui font état d’erreurs entre le modèle et la réalité constatée dans les accélérateurs de particules ou à travers les objectifs des télescopes. Faut-il chercher une nouvelle particule pour expliquer la matière noire ou faut-il plus simplement remettre en cause la théorie de la gravitation universelle ? Planchez, planchez chers astronomes, nous sommes prêtes à accueillir vos explications, surtout sur ces trous noirs qui nous perturbent. Je sais que ta peur d’être absorbée dans l’un d’entre eux en un clin d’œil te hante et t’empêche parfois de tourner rond dans ta tête mais heureusement pas dans ton corps. La loi de la gravitation explique pourquoi nous tournons autour de nos étoiles, mais pourquoi tournons-nous sur nous-mêmes autour de l’axe de nos pôles ?

Je n’ai pas pris de nouvelle de ton petit chéri le Sars-Cov2.

Tu m’as dit qu’il commençait à perdre de ses capacités de régulation de ta surpopulation mais qu’il se propageait avec une aisance aérienne acquise par quelques belles mutations. Ce nouveau don d’extrême contagiosité, s’il s’accompagne d’une diminution de sa nocive virulence, va enrayer son pouvoir sur l’hyperactivité des charmantes industries.

De nouveaux pathogènes

C’est dommage, mais nos alliés les bactéries et les virus n’ont pas le choix. S’ils éliminent leurs hôtes, ils scient la branche qui les sustentent. Et comme ils ne les éliminent pas, jusqu’à présent les hôtes trouvent toujours les moyens de les subjuguer. Il faudra que tu trouves toujours de nouveaux pathogènes si tu veux réguler.

Je ne sais si tu te souviens de m’avoir rapporté le premier récit d’une épidémie par un Charmant du nom de Thucydide. Cela date de la guerre du Péloponnèse, en l’an 431 avant la naissance de ton Charmant Jésus. Tu ne savais s’il s’agissait d’une peste bubonique ou d’une autre car à l’époque les connaissances de Charmant ne permettaient pas de voir nos petits agents pathogènes qui nous naissent de nulle part, sans que toi ni moi en connaissions l’espèce. Eh bien après avoir hésité entre la variole, le typhus (c’est-à-dire la typhoïde), la rougeole ou le même virus qui a été depuis retrouvé en Afrique au bord de la rivière Ébola, tu m’avais dit qu’un charnier de cette époque avait été découvert à côté de l’ancien cimetière du Céramique dans le centre d’Athènes. Et que l’on avait retrouvé des traces d’ADN de salmonella enterica, celle qui engendre le fameux et célèbre typhus. La ville en perdit la guerre mais elle est à ce jour une capitale florissante et salmonella enterica a quasiment disparu car elle est sensible aux antibiotiques du type chloramphénicol.

Les turpitudes de la grande Rome

J’ai une bonne mémoire et je me souviens que tu m’avais décrit les turpitudes de la grande Rome sous le divin Marc Aurèle : elle avait subi en 165-166 une épidémie de variole qui décima 30% du peuple et jusqu’à une partie de son armée. L’empire romain en paya le prix d’invasions répétées par les tribus de barbares germains. Aujourd’hui la variole a officiellement disparu au point que son vaccin a cessé d’être obligatoire. Aujourd’hui je sais que Rome ainsi que ses anciennes provinces du limes germanique telle Ratisbonne, sont parfaitement peuplées de Charmants qui ignorent les luttes de leurs ancêtres contre ces fléaux.

Sous Cyprien (249-270), tu me rappelas que 25% de la population de l’empire romain avait été emportée par la peste.

Tout comme sous Justinien qui régnait à Constantinople en 541. Cette peste bubonique raya de la carte des villes entières. Par affaiblissement de l’empire d’Orient, elle empêcha l’intervention de Justinien en Italie et favorisa l’installation des Lombards là où ils se trouvent encore actuellement.

La peste noire

Un peu plus tard aux alentours des années 1340, ta peste noire réalisa un carnage : Arezzo, Salerne disparurent. Venise perdit beaucoup de citoyens mais moins qu’en 1629 quand elle en perdit la moitié. Tu me dis que ces villes sont aujourd’hui florissantes si ce n’est Arezzo qui a subi il y a peu les secousses de tes nerfs. L’invention des sulfamides par les Allemands de IG-Farben avant la dernière guerre mondiale et la découverte de la pénicilline par Fleming en Angleterre, amenuisèrent les chances des bactéries. La peste est aujourd’hui contrôlée par les antibiotiques de Charmant qui sont efficaces contre presque toutes les infections bactériennes. Tes acteurs de santé publique brandissent toujours l’épouvantail de l’antibio-résistance, mais jusqu’à présent tu ne m’as pas parlé de la grande victoire qui verrait l’émergence d’une bactérie totalement résistante aux médications de Charmant.

Et chez toi, les petits virus ont souffert de l’invention de plus en plus rapide de vaccins : celui contre Haemophilus influenzae qui donne la fameuse grippe, inventé pour l’armée par Maurice Hilleman aux États-Unis dès l’épidémie dite de Grippe de Hong Kong en 1957-58. Celui contre les virus des oreillons élaboré à partir d’une souche qu’il récupère dans la gorge de sa fille Jeryl Lynn, celui contre la rougeole, la rubéole, la méningite, la poliomyélite, ceux de l’hépatite A, la B et la varicelle, la pneumonie. Plus récemment, le petit virus Ebola à qui l’on promettait une grande carrière, fut vite neutralisé par un vaccin pour se contenter de flaner sur les berges lointaines de cette petite rivière. Le SIDA n’a pas encore de vaccin mais les trithérapies contrôlent le niveau de la virémie. Le plasmodium du paludisme vit sans doute ses dernières heures de gloire car le vaccin est en cours de diffusion.

Et ton Sars-Cov2 a tout de suite été contré par des vaccins à ARN m.

Donc en résumé, ce n’est peut-être pas la fin de l’histoire au sens où Francis Fukuyma l’entendait, mais ma chère Gaïa, au vu de l’avancée de tes chercheurs qui sont plus forts en biologie qu’en physique quantique, je pense que tu as du souci à te faire quant à ta surpopulation. Tu vas être obligée d’accoucher d’un monstre de létalité si tu ne veux pas mourir sous le poids et la voracité des tes charmants habitants. Un pathogène du niveau de ta peste pneumonique ou de la peste septicémique qui elles avaient de vrais rendements : 100% de morts pour les contaminés par la septicémique, cela fait bien longtemps que tu n’as rien vu de si efficace. Le problème, c’est le contrôle. Tu risques de faire disparaître Charmant et de t’ennuyer en regardant les vols en cercle de tes charognards au-dessus de leurs dépouilles, ou les hérons au long cou passer d’un long pas au bord de tes ruisseaux redevenus limpides par défaut de pollution.

On ne peut pas tout avoir.

Réjouis-toi de ce que tu as

Voici ma chère Gaïa mes dernières pensées. Elles sont trash mais nous devons nous éclairer l’une l’autre. Tourne bien. Réjouis-toi de ce que tu as et ne crains point le futur qui ne t’appartient pas. Reste calme et sereine et songe à inventer un système de régulation qui te satisfasse mais ne soit pas définitif. N’oublie pas que nous sommes mortelles et avons déjà eu la chance de jouir de l’existence et parfois même de ses plaisirs : le souvenir d’un plaisir est une richesse que même les pires tortures ne peuvent rayer. Il a été. Sa valeur est intrinsèque. Notre vie vaut la peine d’avoir été vécue par le seul fait qu’une fois, un jour, nous ayons pu être le sujet d’un plaisir, sensation plus ou moins éphémère, toujours passagère mais qui laisse des souvenirs qui poussent à la renouveler et donc à attendre demain avec le désir et la sérénité d’un possible retour de cet état de grâce.

Ton Aurore

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