Nous publions régulièrement, sous la plume de Gilles Voydeville, l’excellente correspondance entre deux planètes, Gaïa, notre Terre et Aurore Kepler 452 b dans la constellation du Cygne. Aujourd’hui, Gaïa revient sur le conflit israélo-palestinien et un discours à l’ONU pour faire progresser sur le chemin de la paix des points de vue opposés depuis trois mille ans.

Par Gilles Voydeville
Lettre de fin novembre 2025 sur Gaïa
Lettre de la fin du mois brumes laiteuses sur Kepler
Ma chère Aurore,
Ah ! comme le temps a passé, en filant tel une comète, sans m’avoir permis de t’écrire. Mais tes précédents propos étaient si réconfortants que je te relis pour supporter les malheurs que m’inflige mon charmant petit humanoïde. Ces conseils agissent tels des baumes délicatement étalés sur mes plaies qui suintent sous la vermine qu’il a installée.
Et pourtant ! Pour châtier ses comportements insolents, j’éructe de tornades infernales, je monte ma température pour dénoncer sa pollution, j’élève le niveau de mes océans avec les larmes de ses opprimés, j’exhale des odeurs putrides autour de ses charniers. Mais tout cela ne suffit pas pour prévenir ses excès. Ce qui me démoralise le plus, c’est que je ne suis soutenue par quiconque sinon toi si lointaine.
Tu es mon seul soutien dans cet univers de silence brutal et de vide sidéral.
Le discours onusien
Mais lis, j’ai enfin une bonne nouvelle à t’annoncer !
Pour avoir tendu l’oreille du côté de New York, j’ai écouté un discours que je qualifierai d’historique. Il fut prononcé en septembre à la dernière assemblée des Nations Unies. Un discours ciselé, équilibré, humaniste. Écrit pour faire progresser sur la voie de la paix deux points de vue irréductiblement opposés depuis plus de trois mille ans. Dire que chaque mot en fut pesé est un raccourci qui ne fait qu’entrevoir les colossales délicatesses auxquelles les auteurs ont dû faire appel. Une tâche plus que subtile pour ne pas se mettre à dos tout mon monde, ni heurter les moins susceptibles des belligérants, ni dénigrer la souffrance énorme des victimes des deux parties.
Tu dois te souvenir que bien avant cela — juste après la fin de la Première Guerre mondiale et la défaite de l’Empire Ottoman — la Grande-Bretagne fut chargée de la gestion de cette Palestine. Les Anglais pensaient alors les deux parties irréconciliables.
Car ils avaient besoin de quelque 100 000 soldats pour contenir 2 millions d’habitants, alors que quelques milliers leur suffisaient pour gouverner 450 millions d’Indous.
Discourir est un art qui doit frapper les auditeurs par la justesse des mots qui appréhendent la triste réalité pour indiquer un autre chemin : « Rien ne justifie la guerre à Gaza, si ce n’est la haine ancestrale et le désir d’éliminer l’adversaire par crainte qu’il ne vous élimine »
Discourir est un talent oratoire qui captive et subjugue à bon ou mauvais escient selon qu’il est utilisé pour rechercher la paix ou pour préparer la guerre.
« Le temps est venu » fut le leitmotiv déclaratif, certainement inspiré par les paroles de l’ancien dirigeant israélien Yitzhak Rabin, signataire des accords d’Oslo : « J’ai fait la guerre aussi longtemps qu’il n’y avait aucune chance de paix ».
Car si l’on sait la responsabilité du Hamas auteur du terrible massacre de Juifs innocents le 7 octobre 2023, on imagine autant le désir de vengeance du peuple juif que celui d’un peuple palestinien ayant souffert en représailles d’aveugles bombardements et de famine orchestrée par le gouvernement israélien.
À ce jour, quelles sont les chances de pardons réciproques ? Je crains, ma chère Aurore, qu’elles soient très minces. Bien que chacune des religions inclue le pardon dans ses préceptes, la haine l’a jusqu’à présent emporté sur l’amour.
Et pourtant, le Jour du Grand Pardon chez les Juifs – Yom Kippour — est le plus saint de l’année liturgique quand chaque croyant demande pardon à YHWH pour ses fautes et celles de sa communauté.
Et pourtant, en Islam le pardon est prôné, corrélé au tawbah (repentir) : « Et qu’ils pardonnent et qu’ils passent outre. Ne souhaiteriez-vous pas qu’Allah vous pardonne ? Et Allah est Pardonneur et Miséricordieux. » (Sourate An-Nur, 24 :22).
« Crains Allah où que tu sois ! Fais suivre la mauvaise action par une bonne action, celle-ci l’effacera » (39/53).
Moi qui, pourtant, crains les religions qui se sont affrontées de tant de guerres – les croisades, les massacres de protestants – je ne pense pas que ce conflit se fasse ici au nom de Dieu. C’est bien plutôt une guerre territoriale. Selon le philosophe allemand Peter Sloterdijk les guerres de religion n’existent pas. Et j’en appelle donc aux sages respectueux des préceptes de ces deux Grands Livres pour réconcilier mes deux ennemis. Donc ma belle Aurore, je demande aux belligérants de se soumettre aux écrits sacrés pour instaurer la paix sur ma terre qui vaut bien quelques accords célestes.
« La paix est beaucoup plus exigeante, plus difficile que la guerre ».
Si j’y réfléchis bien ma belle Aurore, la guerre est une solution de facilité pour traiter par la force des problèmes politiques insolubles à l’esprit. La certitude de la justesse de la cause fait croire à la victoire et pousse chacun des camps à s’affronter. Même si souvent, peu après l’engagement suivi de revers, cette ardeur guerrière doute d’elle-même. Mais elle s’impose à nouveau par l’enchevêtrement de la vengeance du sang versé et de l’honneur à défendre. Elle se perpétue sans autres contraintes que celles liées à l’intendance et à la chair disponible… Jusqu’à rendre inextricables, indémaillables, les dégâts qu’elle a générés. Elle s’autoentretient. Elle ne finit que quand l’une des deux parties est épuisée.
Si les deux sont résilientes, elle peut durer cinq ans, trente ans, cent ans, trois mille ans…
Il faut une seconde pour déclencher une guerre. Il en faudra des milliards pour faire la paix.
Les suites du discours
Ce discours fut critiqué, moqué, déformé. Le bison échevelé condamna une telle arrogance. On parla de bévue diplomatique, d’huile versée sur le feu, d’antisémitisme, de racisme. Mais peu à peu, il infusa les esprits. L’absence de reconnaissance d’un état pour y faire vivre un peuple ayant déjà suffisamment fait la preuve de son inefficacité.
Alors l’ange de la paix survola la Palestine et d’un battement d’ailes en ce lieu fit naître un effet papillon — angélique ma foi — qui provoqua à 8000 kilomètres de là un tsunami transatlantique — pacifique cette fois. Là où la démocrate chèvre américaine avait bégueté, tergiversé, renâclé, échoué, le bison échevelé imposa sa paix. Avec des arguments qu’il possédait déjà, mais se refusait à utiliser en voulant croire à la bonne volonté des uns et à la lassitude des autres. Le discours onusien avait démontré que les lignes pouvaient bouger et que la création de deux États était à nouveau à l’ordre du jour. Car si la Palestine et la Cisjordanie étaient annexées, mon monde n’échapperait pas à une montée de l’irrédentisme palestinien. Soutenu cette fois par un grand nombre de nations ; dont l’une du conseil de sécurité et la quasi-totalité des monarchies du Golfe.
Alfred Nobel n’avait certainement pas prévu que son Prix de la Paix ne se contenterait pas de récompenser uniquement ceux qui en avaient signé une. Mais qu’il pousserait un agent immobilier en quête de nouveaux programmes à la promouvoir. Il n’en aurait pas cru ses oreilles déjà abasourdies par des détonations de dynamite. Car si les bons sentiments ne suffisent pas à apaiser le monde, l’on peut quand même voir pousser une rose sur un tas de fumier…
Voilà ma belle Aurore, mes dernières réflexions. J’attends de tes nouvelles avec l’envie et l’impatience de l’élève qui attend la correction du maître.
Ta Gaïa
