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Lettre de janvier 2022 de Gaïa à Aurore Kepler

Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 B dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire.

 

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Lettre de janvier 2022 sur Gaïa

Lettre des Givres Fulminants sur Kepler

Ma Chère Aurore

Je viens de te lire et j’aime quand tu me rassures, car ici sur ma terre le variant Omicron fait des ravages de contamination. Sans il est vrai, comme l’avaient fait ses prédécesseurs, saturer les réanimations. Les infortunés locataires de ces lieux d’hébergement de haute technologie appartiennent à deux catégories : les immunodéprimés et les autres. Ces autres sont les récalcitrants, les rebelles, les forts en gueule, les révoltés contre eux-mêmes, la famille, la nation, le peuple insoumis, les gilets verts de la contestation du pouvoir médical ; mais aussi les fondus des réseaux, les mal aimés, les mal informés, les craintifs des élites, les sans savoir et sans argent, les délaissés qui se trouvent un statut alors qu’ils étaient ignorés, en un mot les non vaccinés qui subissent la fin de l’hégémonie du variant Delta.

Pourtant, quand elle a affronté mon petit chéri le Sars-Cov2, la charmante humanité a sans doute été sauvée par le vaccin à ARN messager. Le petit laboratoire allemand BioNTech avait avant les autres compris le potentiel de cette technologie développée à l’université de Pennsylvanie par Katarina Kariko, une chercheuse d’origine hongroise. Cette université avait fini par la décourager et par la reléguer à la production d’ARNm pour faire de l’EPO : une molécule qui souvent défrayait la chronique des courses cyclistes, utilisée par l’organisme en cas de manque d’oxygène, et qui surtout était déjà produite avec des techniques classiques. On peut dire que cette découverte de l’ARNm avait été assimilée à celle de l’eau chaude et que le chef de service de la chercheuse l’utilisait pour lui faire préparer le thé… Au son de la Chevauchée des Walkyries, la petite Hongroise fut donc enrôlée, subjuguée et rentra en son Europe natale pour déguster du vin de Moselle, voire du Tokai, plutôt que du Earl Grey.

La petite start-up mit quand même 8O millions de dollars sur la table pour racheter à l’Université de Pennsylvanie les droits d’exploitation de la découverte de sa nouvelle employée.

Quant aux grands laboratoires de la mondialisation, américain, suisse, français, ils s’étaient tous intéressés auparavant à cet ARNm. Mais par manque de nez, de vista et tout simplement d’audace, ils avaient laissé tomber ce trésor de porcelaine sans même entendre le fracas des éclats de sa chute. Ces géants n’avaient pas su considérer le Messager, tel celui de Joseph Losey qui seul permet aux prémices d’une passion d’exploser et de réunir deux mondes. Big Pharma n’avait pas compris la nécessaire intercession d’un autre messager, celui de l’Olympe, pour que mon monde continue son chemin et avait oublié que seul Hermès avertissait, éclairait et protégeait le peuple des Charmants pour lui épargner les dangers qu’il courrait. Ce rusé fils de Zeus et de Maïa, descendant par elle du titan Atlas, usait de la célérité des ailes de son casque pour se porter là où il le fallait avec l’ardeur du juste et l’efficacité de la gent du ciel.

Hermès avait une immense qualité qui interpellait et étonnait le naïf : il couvait aussi bien les commerçants que les voleurs, c’est-à-dire qu’il ne jugeait point. Ah qui de nos jours ne juge point ? Chacun sait, tranche et condamne.

Ma chère Aurore, après cette digression, j’en reviens à mon petit Omicron. Récemment les chercheurs de BioNTech ont examiné les sérums des patients doublement vaccinés. Avec Omicron, ils ont constaté la baisse de la production d’anticorps neutralisant par le système immunitaire de Charmant : 35 moins par rapport au premier virus de Wuhan, 24 fois moins que pour Delta et 5 fois moins que pour Beta. En revanche chez les patients triplement vaccinés, la baisse du nombre des anticorps n’est que de moitié. Cela devrait générer des épidémies terriblement meurtrières mais cela n’est pas. C’est sans doute grâce aux lymphocytes T qui ne sont pas explorés par la recherche des anticorps.

Toutefois, je sais de source sûre que, au cas où, BioNTech met au point un vaccin qui lui est adapté. Il est en phase II d’expérimentation.

La mauvaise nouvelle pour moi et la bonne pour Charmant, c’est que pour entrer dans la cellule, mon Omicron utilise toujours le récepteur ACE, ce qui ne lui permet pas d’échapper complétement au système immunitaire et évite aux chercheurs de recommencer le séquençage complet de la bête. Mais sa circulation n’est entravée ni par l’immunité post infection ni par les vaccinations, et ceci augure de taux de contamination faramineux qui vont faire cauchemarder les politiques et leurs Conseils de Défense médicaux.

Comme tu me l’expliques, le variant Omicron très contagieux et peu agressif signe sans doute la fin de l’hégémonie de mon petit virus couronné de diadème. Ah, je vais regretter ses campagnes massives, sa plasticité, sa brillance, son panache. Sans l’arme anti-fatale du vaccin à ARNm, les réanimations auraient été saturées depuis long. Les gymnases auraient été transformés en mouroirs geignant de mille plaintes amplifiées par leur murs de tôle, les stades en cimetières sans marbre ni couronne et les nations en fantômes cloitrés cherchant à renaître dans un autre monde.

Le plus drôle pour l’observateur que je suis, c’est que le danger de la pandémie s’écartant, les anti-vax vont finir par triompher.

Ces derniers oublieront de comprendre que sans les vaccins qui ont permis de passer un cap dangereux sous les quarantièmes rugissants en luttant contre les éléments déchaînés et incontrôlables, ils ne seraient sans doute pas là pour parader, s’attribuer un succès dont ils furent l’ennemi et se conforter dans leur préscience avec la fatuité des ignorants. Mais je ne blâme pas ces têtes légères qui sont toujours un atout quand elles handicapent la race charmante dans sa lutte contre mes régulateurs.

L’ARNm va sans doute révolutionner le contrôle des maladies mais aussi des cancers et j’ai du souci à me faire avec l’avènement imminent d’une surpopulation qui ne manquera pas d’en découler. Ugur Sahin, PDG de BioNTech, vient de donner une interview à un journal qui, quoique excellent, a la douce prétention de se prendre pour le Monde.

Il affirme que les futurs vaccins contre la grippe à ARNm seront beaucoup plus efficaces que les précédents à antigène, et cela en développant l’immunité cellulaire des cellules CD4 et T CD8 qui ont une énorme action de contrôle dans les formes graves de la grippe. Qui plus est, la rapidité de production de ce nouveau vaccin permettra non pas de se baser sur des souches présumées à venir mais sur l’analyse réelle et l’adaptation à l’épidémie en cours.
Pour le SIDA, c’est l’hétérogénéité des séquences du virus qui pose problème, d’un patient à l’autre tout comme au sein même de chaque Charmant. La production d’anticorps à large spectre s’attaquant à plusieurs souches est en train de trouver une solution. En examinant les « contrôleurs d’élite », dixit Sahin ceux qui gardent une charge virale très basse sans traitement, son équipe cherche à reproduire les cellules T CD8 de ces champions. Les jours de la tuberculose et du paludisme sont peut-être déjà comptés.

Il y a bien sûr des germes comme le pneumocoque, dont le vaccin vise les polysaccharides bactériens, qui resteront inaccessibles à cette technologie. En revanche, les cytomégalovirus et l’hépatite C vont sans doute vaciller sous les ordres du messager.

Quant aux cancers, ils vont bénéficier des immunothérapies individualisées à base d’ARNm qui ont le mérite d’être flexibles et vives. Les vaccins anti-cancer qui induisent des cellules T CD8 seront thérapeutiques en aidant le système immunitaire à cibler ses ennemis. Tout cela avec rapidité et un coût dix fois moindre. Grâce à l’association de Genentech et de BioNTech, la phase II vient d’être enjambée pour le cancer colorectal avec un vaccin à ARNm personnalisé, à partir du séquençage de l’ADN de la tumeur et la création du messager qui commandera au système immunitaire les défenses adéquates.

Les progrès pour comprendre les maladies auto-immunes inflammatoires, la rectocolite et le Crohn, la sclérose en plaque, l’infarctus du myocarde dont les dégâts sont dus à 90% à la réponse inflammatoire, sont en cours.

L’ARNm va sans doute être capable de reprogrammer des fibroblastes ou des globules rouges en cellules souches. Que vais-je faire quand ma charmante population ne mourra plus ni de mes cancers ni de mes maladies infectieuses et que les vieillards auront la peau des jouvenceaux ?

Remarque bien, que je connais déjà l’issue de ces problèmes. Quand les convives se multiplient mais que le buffet n’a pas été prévu en conséquence, les invités se battent et s’empoignent pour une réduction au topinambour ou une mignardise saupoudrée de gingembre. Je pense que tout cela sera résolu par une troisième guerre mondiale qui fera quelques centaines de millions de morts et remettra les pendules à l’heure atomique.

À moins que d’ici là, la compréhension de l’espace-temps et l’esprit d’entreprise permettent une colonisation expresse sur une lointaine voisine – je pense à toi mais Charmant ne serait pas un cadeau.

A ce propos, la revue Science vient de publier la découverte par TESS le satellite de la NASA, d’une 4879ème planète extra solaire. Ils l’ont baptisée de l’obscur prénom GJ 367 b. Elle tourne autour d’une naine rouge qui comme tu me le rappelais, émet peu de lumière et c’est raison pour laquelle elle n’était pas visible de mon sol. Donc ce nouveau-né tourne comme un Schtroumpf autour de sa naine mère GJ 367. Elle ne m’est distante que de 30,4 années-lumière… ce qui m’en fait une voisine presque accessible. Elle fait 70% de mon tour de taille, mais elle semble assez peu habitable pour mes créatures. Trop près de sa semi étoile plutôt chaude pour une naine, sa température en surface en pâtit avec 1500 degrés Celsius. Comme une célèbre dame du Royaume Uni, elle possède un cœur de fer entouré non pas d’une chair déliquescente mais d’un manteau de magma…

Brrr, pas trop éloignée la bougresse mais il n’est pas certain que Charmant y découvre un lieu de villégiature adapté à ses standards.

Charmant s’intéresse aussi aux planètes errantes, c’est-à-dire à celles qui ne tournent pas autour d’une étoile mais s’avancent seules dans l’univers, solitaires, sans but et sans ellipse. Des planètes du voyage, sans lieu d’attache, sans aire de repos, que Charmant considère avec une certaine inquiétude comme celle qui s’attache à la gent voyageuse de ma terre, car l’on ne sait ni d’où elles viennent, ni où elles vont. Comme ces planètes n’émettent de lumière qu’à leurs naissances et que leurs trajectoires sont vagabondes, elles sont très difficiles à repérer : seules les plus jeunes sont détectables. Et bien la surprise vient de leur nombre. Elles seraient deux à trois milliards dans notre belle galaxie de la Voie Lactée.

Parfois j’angoisse de me savoir une toute petite chose au milieu d’innombrables sœurs et j’en veux un peu à notre père Éther et à notre mère Héméra d’avoir tant enfanté.

Si bien que je me sens une microscopique gouttelette dans un immense brouillard cosmique errant avec ses milliards de sœurs au hasard d’un espace infini. Gouttelette dont la disparition ne changera pas vraiment l’ordre de l’Univers et ne laissera ni trace ni souvenir. Pour paraphraser un Charmant dénommé Châteaubriant dont le style épistolaire restera un modèle : lorsque je regarde ma vie passée, je crois voir dans l’espace immense la trace d’un vaisseau qui a disparu ; et lorsque j’écoute les murmures du ciel, je crois entendre le glas d’une cloche dont je ne vois pas le vieux clocher.

Ah, ma chère Aurore, cette tristesse qui m’envahit parfois me navre et j’ai peur de te transmettre cette triste passion au lieu de te distraire et de t’égayer par des lettres endiablées de joie et d’avenir. Seule l’action me fait oublier tout ce tracas. Je vais donc t’abandonner pour m’occuper l’esprit à concevoir quelques ripostes aux inventions de Charmant.
Tourne, tourne et virevolte comme une danseuse de ballet, fais-moi des entrechats et des tourbillons, puise dans l’éther infini de notre ascendance les ressources et la joie pour vivre, aimer, te distraire malgré la fatalité de notre finitude et l’incertitude de notre fonction.

Ta sœur, Gaïa

France Monde