La Cour de cassation a rejeté l’appel de l’ex-chargé de mission de l’Élysée et confirme la peine de trois ans de prison, dont un an ferme, prononcée le 29 septembre 2023 pour violences volontaires en réunion et usage de la fonction de policier. Voici ce que nous écrivions en novembre 2021 après sa condamnation en première instance.
L’ancien chargé de mission de l’Élysée a été condamné ce vendredi 5 novembre 2021 à trois ans de prison, dont un ferme pour les violences du 1ᵉʳ mai 2018.
Le tribunal de Paris a condamné cet après-midi Alexandre Benalla, 30 ans, ancien garde du corps d’Emmanuel Macron et chargé de mission à l’Élysée, à trois ans de prison dont un ferme accompagné d’une interdiction d’exercer dans la fonction publique pendant cinq ans. Il était poursuivi dans le cadre des violences du 1er mai 2018 pour « violences volontaires en réunion », « port d’arme prohibé » et « usage de passeports diplomatiques ».
Deux policiers de la préfecture de police de Paris
Alexandre Benalla n’était pas seul sur le banc des prévenus. Son comparse Vincent Crase a été condamné pour sa part à deux années d’emprisonnement avec sursis et à l’interdiction de port d’arme pendant dix ans. Il était poursuivi notamment pour « violences en réunion », « port d’arme prohibé » et « suppression de données » dans la même affaire du 1er mai 2018.
À leurs côtés sur le banc des prévenus, deux policiers de la PP de Paris : Maxence Creusat et Laurent Simonin poursuivis pour avoir transmis des images de vidéo-surveillance à Benalla. Ils ont été condamnés à trois mois de prison avec sursis et une amende de principe sans inscription au casier judiciaire.
Des barbouzes au cœur de la République
Cette affaire a fait beaucoup de bruit en son temps. Voici ce que nous écrivions le 29 décembre 2018 :
» Le nom d’Alexandre Benalla a été rendu public le 18 juillet 2018 lorsque le quotidien Le Monde révèle l’identité de cet individu particulièrement belliqueux filmé place de la Contrescarpe, à Paris, le 1er mai, en train de frapper violemment un couple de jeunes manifestants. Il est porteur d’un casque et d’un brassard de police. On le voit clairement frapper le jeune manifestant. Benalla est accompagné de Vincent Crase, gendarme réserviste chargé de la sécurité de La République en Marche. Plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent les deux hommes, Benalla et Crase, agir comme les policiers investis d’une mission de maintien de l’ordre à l’égard des manifestants.
Le journal Le Monde révèle donc en juillet l’identité de celui qui se fait passer pour un policier. Il est en réalité chargé de mission à l’Élysée, garde du corps occasionnel d’Emmanuel Macron.
Le 19 juillet, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire pour « violences par personne chargée d’une mission de service public, usurpation de fonctions ». Entre autres. Benalla sera mis en examen de ces chefs.
On apprendra plus tard que des fonctionnaires de police lui ont transmis illégalement des images de vidéosurveillance de la place de la Contrescarpe pour lui permettre d’organiser sa défense. Une affaire dans l’affaire.
Liens étroits
En cette période estivale l’opinion publique s’émeut du rôle étrange de ce garde du corps de 29 ans qui s’est vu attribuer des privilèges inouïs. Le public découvre que Benalla détient une arme sans autorisation ; qu’il a le grade de lieutenant-colonel de la réserve citoyenne de la gendarmerie nationale (dont il sera radié en 2017) ; qu’il est rémunéré à hauteur de 6.000 € net par mois ; qu’il s’apprête à occuper un appartement de la République quai Branly ; qu’il dispose d’une voiture de fonction avec pare-soleil « Police » ; qu’il dispose d’une habilitation secret-défense ; d’un badge d’accès à l’Assemblée nationale (catégorie H, la plus élevée).
Les gazettes révèlent encore qu’Alexandre Benalla a été initié franc-maçon en janvier 2017 au sein de la loge Les Chevaliers de l’Espérance de la Grande Loge nationale française dont il a été suspendu à titre conservatoire le 24 juillet 2018.
Pour les observateurs de la vie politique, ces passe-droits et ces privilèges ne peuvent s’expliquer que par les liens étroits existant entre Alexandre Benalla et le président de la République lui-même.
« Qu’ils viennent me chercher »
Voilà pourquoi l’affaire Benalla devient vite une affaire d’État. Les dysfonctionnements au cœur de l’Élysée sont admis par Emmanuel Macron lui-même.
Le 22 juillet 2018 devant les parlementaires de sa majorité, le président de la République tient des propos étonnants : « On ne peut pas être chef par beau temps et se soustraire lorsque le temps est difficile. S’ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu’ils viennent le chercher. Et ce responsable, il répond au peuple français, au peuple souverain. »
Un peu plus tôt, il a voulu couper court aux rumeurs : « Alexandre Benalla n’a jamais occupé un appartement de 300 m2, Alexandre Benalla n’a jamais eu un salaire de 10.000 euros, Alexandre Benalla n’est pas mon amant ».
Benalla a été mis à pied en mai 2018 mais avec maintien de son salaire avant d’être définitivement démis de toutes fonctions en juillet. Au cours de l’enquête judiciaire une perquisition a lieu dans le bureau d’Alexandre Benalla à l’Élysée. Les commissions d’enquête parlementaire (Assemblée et Sénat) seront diffusées par la télévision et obtiendront des records d’audience.
L’affaire Benalla marque aussi le début de la chute vertigineuse d’Emmanuel Macron dans les sondages.
Passeports diplomatiques
Avec le mouvement des Gilets jaunes initié à la mi-novembre 2018, Benalla a disparu des radars médiatiques. Seulement voilà, en cette fin d’année bien compliquée pour Emmanuel Macron, un voyage au Tchad relance la polémique.
En effet, le 22 décembre à N’Djamena, le président français évoque avec son homologue tchadien les principaux dossiers du moment dont la force Barkhane qui lutte contre le terrorisme, la santé, les femmes… Et, curieusement, Emmanuel Macron croit utile de préciser à Idriss Déby qu’Alexandre Benalla n’est en aucun cas « un intermédiaire officiel ou officieux de l’Élysée ».
Pourquoi cette précision ? Parce que Benalla s’est rendu au Tchad deux semaines plus tôt, en jet privé, pour parler business. À quel titre ? Mystère.
Quelques jours plus tard, le journal en ligne Médiapart révèle que Benalla dispose de deux passeports diplomatiques. Or, celui-ci a affirmé, sous serment, devant la commission d’enquête du Sénat qu’il avait laissé ces documents dans son bureau à l’Élysée avant de partir. A quel titre détient-il ces documents diplomatiques ?
Diplomatie parallèle
L’intéressé précisera que les passeports lui ont été restitués en octobre 2018. Par qui ? Si Benalla dit vrai, c’est qu’il est resté en contact avec l’Élysée ou le Quai d’Orsay. Pourtant, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a annoncé son intention de saisir le procureur de la République. En effet, le ministère des Affaires étrangères a adressé, en juillet et en septembre, deux lettres recommandées à Benalla lui demandant de restituer les deux passeports. Sans effet.
Cet imbroglio donne à penser qu’Alexandre Benalla n’a jamais rompu définitivement les liens avec les plus hautes autorités du pays. Et qu’il bénéficie toujours d’une protection bienveillante. Comment, sinon, pourrait-il se rendre dans de nombreux pays africains et rencontrer les chefs d’État sans que soit alertés l’Élysée, Matignon, la place Beauvau ou encore le Quai d’Orsay ? Comment pourrait-il rencontrer le sulfureux Alexandre Djouhri à Londres dans l’attente de son extradition vers la France ?
Tout cela sent bon la diplomatie parallèle et les réseaux occultes, le retour des barbouzes et des méthodes expéditives. La République exemplaire d’Emmanuel Macron n’est pas pour demain.