Est-il correct de penser qu’avec la pandémie, les fake news se sont multipliées et sont maintenant dans notre quotidien ?
Yvan Boude À vrai dire, le terme de fake news est souvent inapproprié. On a tendance à considérer que les fake news sont apparues avec Donald Trump, mais la vérité est que, dès qu’il y a communication, il peut y avoir fausse information. Prenez la grippe espagnole, au lendemain de la première guerre mondiale : elle n’a pas eu besoin des réseaux sociaux pour générer des rumeurs et des accusations quant à ses causes. Dans Fake news et viralité avant Internet, un collectif de spécialistes d’histoire de la presse montre qu’une bonne histoire, même sans véracité, faisait déjà le tour du monde à travers les journaux au 19e siècle, bien avant les réseaux sociaux.
Luisa Massarani Les fausses informations sont un énorme problème – et ce particulièrement au Brésil. Mais nous faisons face à une autre problématique : la surabondance d’informations, qu’il est très difficile de trier au quotidien. Avec l’emballement pour contenir la pandémie, il y a eu tellement de publications scientifiques, de nouvelles découvertes contredisant les précédentes et de données générées chaque jour que les médias ne pouvaient pas suivre le rythme. C’est le souci lorsque le processus scientifique, fondé sur la controverse et le temps long, rencontre le temps court médiatique.
Y. B. C’est pourquoi je préfère parler de désordre informationnel que de fake news. Le désordre informationnel, c’est l’ensemble des dysfonctionnements de l’information : il y a effectivement la fausse information, mais aussi la désinformation, et l’information malveillante – lorsqu’on utilise une information vraie, mais à des fins malveillantes.
Avec la vaccination, nous avons l’impression que la recherche s’est accélérée, et nous voyons en permanence scientifiques – médecins, ou non – décrypter la pandémie. Est-ce notre rapport à la science a évolué ces 18 derniers mois ?
L. M. Le coronavirus a un impact tel sur nos vies quotidiennes que, très vite, les médias ont voulu déchiffrer la progression de la pandémie et les remèdes envisagés. Pour ce faire, ils se sont tournés vers des publications scientifiques. Sauf que toutes les publications scientifiques ne valent pas vérité : c’est le principe de la recherche. Certains articles présentent des hypothèses, d’autres des études sur un petit échantillon, et petit à petit la connaissance se construit, souvent en revenant sur ce qui était tenu pour certain.
Y. B. Ce qui a changé durant la pandémie, c’est qu’on a mélangé dans l’espace public science et recherche : la recherche, c’est la connaissance en train de se faire et la science, c’est la somme des connaissances sûres à un instant donné. Face aux revirements propres à la dispute académique, certaines personnes cherchent à créer leur propre vérité. C’est ainsi que naissent les théories du complot : elles répondent aux questions auxquelles on n’a pas de réponse, et permettent de créer un récit qui fait sens et un groupe social qui fait lien.
Yvan Boude interviendra lors de la session “Enjeux actuels : désinformation”, le mercredi 17 novembre 2021 à 15 h 30.
Luisa Massarani interviendra lors de la session “Enjeux actuels : médiation scientifique en temps de crise sanitaire”, le vendredi 19 novembre 2021 à 8 h 30, ainsi que dans la session « Different pathways to modern science communication: an international comparison », le mercredi 17 novembre 2021 à 8 h 30.
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