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Gouvernement : le casting à tâtons de Macron

Conseil des ministres à l'Elysée, le 7 juillet 2020
Conseil des ministres à l’Elysée, le 7 juillet 2020

Bruno Cautrès, Sciences Po – USPC

Les lendemains de changement de gouvernement, nos écrans sont envahis par les cérémonies de passation de pouvoir entre anciens et nouveaux ministres.

La scénographie de ces scènes est bien réglée : sur un perron ou dans une cour du ministère, se succèdent les hommages réciproques entre l’ancien (qui prend toujours la parole en premier) et le nouveau ministre.

Les discours de l’ancien et du nouveau ministre sont remplis de marques d’affection réciproques (« cher Édouard », « chère Nicole », « cher Christophe », etc.), suivis ou précédés de tweets affectueux.

Tout est fait pour atténuer l’impression que celui qui part n’était pas nécessairement demandeur de partir et que celui qui arrive n’a pas tout fait pour arriver. Il s’agit également d’incarner la continuité du gouvernement et de l’État à travers les péripéties de la vie politique.

De bien belles phrases

A l’occasion de ces prises de paroles on entend souvent de bien belles phrases, comme si les deux principaux acteurs de cette scène voulaient se hisser à hauteur de la situation pour donner à cette passation de pouvoir le solennité de certains des attributs du pouvoir dans notre mémoire nationale : la hauteur de vue (on ne parle alors que de l’avenir du pays, des enjeux du ministère, de notre République qu’il faut préserver et protéger de tous les dangers), la syntaxe et l’habilité à manier la langue française, la référence à des grandes figures historiques ou l’emploi de mots savants.

Entre ces deux prises de paroles, l’ancien ministre rend un hommage appuyé à ses équipes de conseillers et à celles du ministère, cette « belle maison » qu’il ou elle a eu « l’honneur de diriger » et met l’accent sur les temps forts ou les principales réformes mises en œuvre.

Se glissent souvent dans ses propos, emplis de rituels républicains parfaitement codés, de l’émotion tant chez celui ou celle qui part que chez celui ou celle qui arrive : les premiers ont l’air partagés entre la tristesse de quitter leurs fonctions et le soulagement de revenir vers une vie plus apaisée ; les seconds donnent souvent le sentiment d’une immense fierté d’en être arrivés là.

Les uns et les autres ajoutent souvent une note plus personnelle, notamment chez ceux ou celles qui arrivent : la figure mythique de « l’enfant de la République », issu des profondeurs du pays ou de son territoire, de souche populaire est fréquemment mises en exergue.

Ces effusions accompagnent aujourd’hui de nombreuses interrogations chez ceux qui ont perdu le soutien présidentiel, remplacés peu ou prou à l’identique. En effet, la composition du nouveau gouvernement n’est (apparemment) pas exactement conforme aux annonces de « coup de blast », entretenues par l’entourage de l’Élysée dans les semaines qui ont précédé.

Le chef de l’État avait lui-même créé l’attente d’un changement de cap pendant la crise sanitaire.

« Je vais changer » le 14 avril 2020.

Il avait plus récemment pris soin de préciser que le « nouveau monde » de l’après-crise ne serait pas la remise en cause des fondamentaux du macronisme mais une adaptation aux dysfonctionnements parvenus pendant la crise, aux souffrances vécues alors et aux enjeux budgétaires et sociaux liés à la crise. Dans une récente interview le chef de l’État avait même expliqué que la crise sanitaire avait donné encore plus raison et davantage d’actualité son programme… !

L’exécutif confirme son centre de gravité politique

Par rapport à cet ambitieux objectif, on constate qu’une bonne proportion des membres du gouvernement Castex appartenait déjà au gouvernement Philippe et que les « surprises » promises concernent surtout quelques personnalités : par exemple Éric Dupond-Moretti, Roselyne Bachelot, Élisabeth Moreno, Alain Griset, Nadia Hai (Barbara Pompili étant moins une surprise). S’il ne fait pas de doute que ces nouvelles personnalités comptent des talents déjà fortement affirmés ou en potentiel, elles ne remettent pas en cause, pour le moment, le sentiment d’une confirmation d’un gouvernement de centre droit.

La composition du nouveau gouvernement confirme en effet largement la trajectoire de centre droit de l’exécutif : si des personnalités issues de la « société civile » sont toujours bien là, ainsi que peu de personnalités issues du centre gauche, il s’agit bel et bien d’un gouvernement à tendance de centre droit, avec certains ministres emblématiques de cette trajectoire dont le rôle est confirmé et renforcé : Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, notamment.

La stratégie de « prise de guerre » de personnalités issues de la famille Les Républicains (LR) continue donc de s’affirmer (avec par exemple la nomination de la présidente du département du Haut Rhin, Brigitte Klinkert). Marcheurs, centristes et ex-LR sont en majorité relative dans ce gouvernement, dirigé une seconde fois par une personnalité venue des LR.

Cette stratégie illustre plutôt bien le fameux théorème du politiste américain William Riker. En utilisant le cadre de la théorie des jeux, il montrait, dans son célèbre ouvrage publié en 1962 The Theory of Political Coalitions, que les coalitions politiques s’élargissent autant que nécessaire pour gagner mais pas plus.

En l’occurrence, il s’agit pour Emmanuel Macron de conforter le côté centre-droit de son gouvernement sans totalement basculer dans l’image d’un « gouvernement de droite » au risque d’éloigner définitivement l’électorat de centre gauche.

Ces éléments posent une question politique importante : qu’est-ce que tout cela traduit à propos d’Emmanuel Macron et de sa stratégie politique ?

Trois interprétations stratégiques

Premièrement, la composition du gouvernement pourrait être interprétée comme le signe qu’Emmanuel Macron ne dispose plus de la même capacité à mettre en œuvre le « et de gauche et de droite » du départ. A force de jouer la stratégie décrite par William Riker, le côté centre-droit aurait fini par peser trop lourd et par déséquilibrer l’édifice voulu au départ en 2016/2017.

L’affirmation d’une ligne plutôt de centre droit montrerait ainsi qu’Emmanuel Macron a déjà fait le choix de ses armes pour 2022 : opposer au Rassemblement national et à une gauche encore en convalescence mais « requinquée » par l’affirmation d’un axe rose-vert-rouge aux municipales, une coalition de centre droit quitte à tordre le bras aux LR ou à les obliger à s’aligner.

Cette stratégie s’apparenterait à une résurrection modernisée de la coalition… RPR/UDF ! En d’autres termes, Emmanuel Macron aurait achevé sa mue « giscardienne »…

INA : vidéo retraçant en 1978 le bilan des fluctuations entre UDF et RPR.

L’enquête que nous avions conduite, pour Terra Nova, auprès des Marcheurs avait montré que les centristes et les anciens sympathisants LR composaient bien une part non négligeable des adhérents de LREM.

Mais elle avait également montré qu’une partie des marcheurs venaient du centre gauche. Il n’est pas évident que la composition du nouveau gouvernement satisfasse pleinement ce segment des marcheurs ou les députés considérés comme « l’aile gauche » de la macronie.

Une seconde interprétation est possible : le projet de départ d’Emmanuel Macron aurait été terriblement mis à mal par la succession des crises (nous sommes en crise permanente depuis l’automne 2018) et le « macronisme » en serait simplement devenu un principe d’efficacité dans la gestion de la France.

Un changement de gouvernement avec changement de Premier ministre serait alors devenu indispensable. La crise sanitaire a mis en évidence des problèmes d’efficacité de l’action publique en France, l’opinion publique a jugé sévèrement la gestion de la crise par le gouvernement et il fallait que des têtes tombent même si l’opinion était beaucoup plus favorable à Édouard Philippe qu’à Emmanuel Macron.

La troisième interprétation est la plus délicate pour l’exécutif. La composition du nouveau gouvernement et la difficulté à lire le sens politique de ce changement serait lié au fait que le projet macroniste s’est progressivement dilué et qu’Emmanuel Macron ne dispose pas, au sein de sa majorité, des réserves nécessaires pour impulser fortement la fin de son mandat.

L’apport de ministres venus de la société civile ou des LR serait alors l’arbre qui cache la forêt ou, selon la belle expression de Sophie Coignard journaliste au Point, « l’avocat qui cache la forêt ».

Emmanuel Macron sait-il où il va ?

Quelle que soit la pertinence ou la complémentarité de ces explications (sans doute non exhaustives), Emmanuel Macron a pris le risque de conforter dans l’opinion un sentiment apparu dès l’annonce d’un « acte II » à la sortie de la crise des « gilets jaunes » : donner l’impression qu’il ne sait plus où il va…




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Dans une enquête réalisée à mi-mandat par BVA, on voyait en effet qu’une forte majorité de Français interrogés (58 %) pensaient qu’Emmanuel Macron « agit au jour le jour » tandis que seuls 42 % pensaient qu’il « savait là où il va » à propos de cet « acte II ».

L’enjeu pour lui est donc de faire « monter en puissance » très vite et très fort ce nouveau gouvernement tout en montrant l’actualité de son projet de départ. Une équation tout sauf simple car il ne reste même pas deux ans pour réaliser cet objectif…

À défaut, il se pourrait que dans l’opinion publique, le nouveau gouvernement Castex ne soit rapidement perçu que comme une opération de communication pour « faire du vieux avec du vieux » alors qu’il s’agissait, au départ, de faire être exactement le contraire.

N’allons pas trop vite en besogne pour figer nos analyses, attendons l’automne/hiver et sa triste réalité, celle de la prochaine loi de finances… Et attendons aussi de voir ce que donnent, à l’épreuve du pouvoir et des réalités ministérielles, les personnalités sur lesquelles Emmanuel Macron a fait un pari.

Nous verrons bien alors, cet automne, où sont les priorités affirmées concrètement, de quelle manière les nouveaux ministres ont su (ou pas) gagner les arbitrages budgétaires, véritable épreuve de vérité. Si la déception s’installait alors, on pourra dire que le fameux « coup de blast » n’était qu’un « effet casting ».The Conversation

Bruno Cautrès, Chercheur en sciences politiques, Sciences Po – USPC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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