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Des élections municipales atypiques plus complexes qu’il n’y paraît

yannick Jadot
Yannick Jadot (wikimedia Commons)

Claude Patriat, Auteurs fondateurs The Conversation France

Qui ne ferait qu’écouter les commentaires sur le résultat des élections municipales (insistons sur le pluriel, car il n’y a pas une élection, mais des élections dans des contextes et des histoires très différents) se trouverait confronté à un véritable chiasme : d’un côté, il entendrait parler d’une abstention abyssale de plus de 60 % des électeurs, du jamais vu lors de ces élections de proximité ; d’un autre, à grand renfort de superlatifs, dans ce champ démocratique déserté par les citoyens, une vague verte submergerait nos villes, à défaut de nos campagnes !

Étrange tsunami que ce raz-de-marée en eaux basses, qui confirme bien le caractère anormal de cette séquence ! Étrange amnésie des commentateurs, oubliant qu’il s’agit d’un second tour, certes décalé, mais conséquent d’un premier qui avait épuisé la question dans 80 % des communes et pour deux tiers du corps électoral… et où aucune ville n’avait été conquise par les écologistes.

Non qu’il n’y ait rien à relever d’intéressant le 28 juin : il se passe toujours quelque chose lors d’un scrutin. Effectivement, certains résultats sont frappants : la chute de la maison Collomb, à Lyon ; la bascule rose-verte de Bordeaux après 75 ans de règne sans partage de la droite ; la conquête de Perpignan par Louis Aliot (qui avait prudemment mis le RN entre parenthèses de sa campagne) ; Marseille, très probablement retirée à la droite ; Strasbourg et Poitiers qui glissent des mains socialistes dans celles des écologistes ; Paris qui renouvelle sa confiance par défaut à Anne Hidalgo avec près de 50 % des suffrages.

Incontestablement, dans un paysage politique largement stagnant, les écologistes font figure de trouble-fête et tirent le plus grand bénéfice d’une situation inédite.

L’électeur manquant

Mais pour qui ne se laisse pas prendre à la loupe grossissante du spectaculaire médiatique, la réalité est à la fois plus complexe et plus simple. Plus simple, lorsqu’on veut bien admettre que ces résultats s’avèrent parfois étonnants, mais jamais surprenants si on les relie à leur matrice contraignante qui était le premier tour : dans une majorité de cas, l’équilibre des forces en présence était largement prédéterminé depuis le 15 mars, et en politique comme en physique, on ne tombe jamais que du côté où l’on penche.

Les alliances étant posées, la seule inconnue restait la mobilisation des abstentionnistes pour accentuer ou renverser les rapports de forces. Et l’observation du contexte dans lequel se déroulait le scrutin ne laissait pas grande place à l’illusion : intervenant trois mois après le premier tour, suivi de deux mois de lourd confinement, avec de fortes incertitudes économiques, le scrutin apparaissait décalé par rapport aux attentes des Français.

L’aggravation sensible de l’abstention confirme le caractère incongru du scrutin au regard des enjeux du moment. Certes, on peut s’inquiéter de ce déficit pour la légitimité des représentants et pour la vitalité démocratique. Il ne s’inscrit pas cependant complètement dans la chaîne du déclin de la participation : il s’agit plus vraisemblablement d’une parenthèse accidentelle liée aux circonstances exceptionnelles.

Il faudra une étude plus poussée sur les origines sociales de l’abstentionnisme pour comprendre le mouvement, car le non-vote, par effet retour, conditionne largement les effets du vote. Un sondage Ipsos pour France-Télévision, réalisé à la veille du scrutin apporte quelques enseignements éclairants. L’abstention concernerait plus les catégories populaires que les CSP + : 70 % des ouvriers se seraient abstenus, contre 54 % des seconds ; 72 % des 18-34 ans déclaraient ne pas vouloir voter.

La tectonique des plaques

Le vote ainsi relié à son contexte permet d’appréhender pleinement la complexité d’un scrutin travaillé par des forces contradictoires. On peut dégager quelques éléments, déjà préinscrits dans l’ensemble du premier tour.

D’abord, la prime aux élus installés a permis de confirmer des sortants : avec bien sûr, la confortable réélection d’Édouard Philippe au Havre, pourtant vivement attaqué par l’opposition pour son statut de premier ministre. On a trop oublié que ces élections municipales, par leur situation dans le calendrier électoral, étaient des élections intermédiaires, très rarement favorables à la majorité du moment : on pourra d’ailleurs en mesurer les effets dans certaines chutes surprenantes. La prime aux sortants permettra parfois, comme à Lille, de sauver in extremis une élue de longue date en grande difficulté. Et c’est largement grâce à elle que des élus LREM vont pouvoir s’infiltrer dans les rangs des élus territoriaux.

Ensuite, on note la permanence du rapport de force gauche/droite, que nous avions qualifiée de stagflation. À quelques exceptions près, on campe sur ses positions. Certes, LR perd des villes symboles, comme Bordeaux et sans doute Marseille, mais confirme son emprise sur le tissu des villes moyennes. Le PS lui aussi perd quelques-unes de ses positions, mais souvent au profit des écologistes. Il s’agit plus d’un jeu de vases communicants pouvant d’ailleurs être consentis.

Les plaques politiques profondes restent donc intactes, mais entre elles se joue une tectonique subtile, faite de chocs et de chevauchement. C’est sur ces mouvements que se greffent les nouvelles alliances. Cette polymérisation a joué à plein autour des écologistes, qui avaient diversifié les combinaisons tout en restant à gauche et en excluant LREM. On notera que EELV ne gagne jamais seul, mais en combinatoire avec les socialistes et d’autres partenaires.

La gauche au vert-pluriel

La force des écologistes tient moins à leur nombre de victoires qu’à leur capacité à dessiner de nouvelles alliances. Au bout du compte, les Verts détiendront, sous leur nom, une quinzaine des 272 villes de plus de 30 000 habitants. Le pourcentage étant corsé par le fait qu’ils s’emparent de trois des onze villes de plus de 200 000 habitants.

Mais leur puissance est démultipliée par leur présence active aux côtés de leurs alliés. Indiscutablement, ils apparaissent comme le principal moteur d’une polymérisation, se retrouvant en tête, cette fois, d’une nouvelle gauche plurielle. On se souvient que la première avait explosé en 2002, lors d’une présidentielle fatale, où elle s’était émiettée dans une concurrence mortelle. Terrible logique majoritaire, qui ne convient que très imparfaitement à la logique des écologistes.

La réussite des alliances en vert ne doit pas masquer, à l’inverse, des alliances toxiques. LR et LREM en ont fait la douloureuse expérience en différents points, et notamment à Lyon. Preuve, s’il en était besoin, que les réflexes de droite ou de gauche restent puissants chez les électeurs.

Dernières confirmations : LREM a un point commun avec les Insoumis, et dans une moindre mesure avec le RN. À l’inverse des écologistes, ce sont des appareils utiles et efficaces pour une élection présidentielle, mais totalement inadaptés au terrain des municipales.The Conversation

Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Auteurs fondateurs The Conversation France

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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