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Fusion CE-CHSCT-DP : la fin d’une époque

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Fusionner les IRP : quel intérêt réel ?
Tim Dorr/Flickr, CC BY-SA

Patrice Laroche, Université de Lorraine

La réforme du code du travail proposée par Emmanuel Macron prévoit la mise en place dans les entreprises d’au moins 50 salariés d’un comité social et économique (CSE) exerçant toutes les attributions auparavant dévolues aux délégués du personnel (DP), au comité d’entreprise (CE) et au Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT). Par ailleurs et sous réserve qu’un accord soit signé entre les partenaires sociaux, la réforme envisage d’aller plus loin en instituant un conseil d’entreprise exerçant l’ensemble des compétences du CSE auquel s’ajoutera la possibilité de négocier et de conclure des accords d’entreprise, autrement dit des attributions jusque-là réservées aux délégués syndicaux.

Cette réforme marque la fin d’une époque où coexistaient plusieurs instances représentatives du personnel (IRP) dans les entreprises. Mais quel est l’intérêt de cette réforme ? Est-ce vraiment une si bonne idée de fusionner les IRP ?

La fusion des IRP n’est pas une idée neuve

De nombreux groupes de travail ont produit ces dernières années des rapports (rapport de la commission Attali, rapport Hadas-Lebel, rapport du CAE de Jacques Barthélemy et Gilbert Cette, rapport de l’Institut Montaigne…) insistant sur la nécessité de simplifier la représentation du personnel dans les entreprises françaises. La fusion des IRP n’est donc pas une idée neuve sortie de nulle part. D’ailleurs, depuis 2015 et la loi Rebsamen, les entreprises de moins de 300 salariés peuvent déjà regrouper les DP, CE et CHSCT au sein d’une délégation unique du personnel (DUP) et celles de plus de 300 salariés faire de même, à la condition d’avoir obtenu l’accord majoritaire des organisations syndicales.

Qu’est-ce qui justifie une telle mesure ?

Le premier argument justifiant la fusion des IRP est que les entreprises hésiteraient à franchir certains seuils d’effectifs, limitant de fait les embauches. Une étude déjà ancienne de Gérard Lang et Claude Thélot (1985) a montré que le nombre d’entreprises de 10 salariés passant à 11 salariés au bout de trois ans étaient « trop rares » comparées à celles qui passaient de 9 à 10 salariés, suggérant une hésitation des employeurs à passer à 11 salariés. Par ailleurs, les auteurs observent également une cassure dans l’évolution des effectifs à 50 salariés qu’ils interprètent comme une réticence des employeurs à franchir ce deuxième palier d’effectifs. Cette prudence s’expliquerait par les obligations financières et sociales générées par le franchissement de ces seuils et en particulier l’obligation de mettre en place des IRP (DP pour les entreprises de plus de 10 salariés et CE, CHSCT pour celles d’au moins 50 salariés).

Un deuxième argument souvent évoqué est que les règles de fonctionnement des IRP sont complexes. Plus de 460 textes législatifs portent sur la représentation du personnel sans compter l’ensemble des décisions de justice qu’ont rendu les tribunaux sur ces questions. Le droit collectif du travail est donc particulièrement dense et parfois obscur. Cet argument est régulièrement retenu pour justifier des mesures visant à simplifier le code du travail réputé trop contraignant par les employeurs.

Le coût de la représentation du personnel est un autre argument avancé par les partisans de cette réforme. En effet, l’ensemble des coûts directs (organisation des élections, heures de délégation payées, local mis à disposition…) et indirects (contentieux, délits d’entrave…) liés à la mise en place des IRP pourrait représenter jusqu’à 4 % de la masse salariale pour une entreprise passant de 49 à 50 salariés, selon le rapport de la commission Attali (2008).

Enfin, on peut ajouter une autre raison souvent négligée par les experts : de nombreux représentants du personnel cumulent déjà des mandats de DP, de membre du CE, de membre du CHSCT ou encore de DS. Selon la dernière enquête REPONSE de la DARES (ministère du Travail), environ 35 % des représentants du personnel exercent déjà deux mandats et près de 19 % vont même jusqu’à cumuler 3 mandats (Breda, 2016). Seul 1 salarié sur 5 s’engageant au sein des IRP n’exercerait qu’un seul mandat !

DARES (Enquête REPONSE 2010-2011, volet « représentants du personnel »), calculé par Thomas Breda (2016, page 42)

Figure 1. Nombre et type de mandats occupés par les RP de l’instance la plus représentative de leur établissement.

Dès lors, l’idée de limiter le nombre d’IRP dans les entreprises répond, d’une part, à la demande récurrente du patronat de réduire le nombre d’IRP afin de simplifier grandement la tâche des employeurs et, d’autre part, à un constat qu’il existe déjà des élus qui multiplient les mandats et participent à l’animation de plusieurs instances dont les attributions sont différentes.

Est-ce vraiment une bonne idée de fusionner les IRP ?

Si le cumul des mandats des élus peut à lui seul justifier une telle mesure, les autres arguments avancés par les partisans de cette ordonnance sont fallacieux et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est peu probable que ces mesures stimulent la croissance des entreprises. En effet, les études les plus sérieuses consacrées aux effets de seuil sur l’emploi constatent un effet marginal sur la dynamique de croissance des entreprises (Cahuc et Kramarz, 2004 ; Ceci-Renaud et Chevalier, 2010).

Ensuite, l’idée qu’il faudrait simplifier les règles de fonctionnement des IRP, en particulier pour les PME, ne résiste pas à l’épreuve des faits : les PME sont le plus souvent dépourvues de représentants du personnel. À peine plus de la moitié des établissements de 50 à 200 salariés disposent d’un délégué du personnel et ils ne sont que 42 % à disposer d’un CE, autant dire que la fusion des IRP ne va pas changer la donne pour une majorité de PME. De surcroît, la loi offre, depuis plusieurs années, la possibilité aux PME de mettre en place une DUP, comme nous l’avons déjà évoqué.

Enquête REPONSE 2010-2011 (DARES)

Figure 2. Présence des IRP dans les établissements de plus de 10 salariés selon leur taille.

Enfin, insister sur le coût que représenterait le fonctionnement des IRP pour l’entreprise relève de la posture idéologique. Pourquoi ne pourrait-on pas considérer tout simplement les moyens alloués aux IRP comme des investissements ? Après tout, la présence d’IRP peut être bénéfique aux entreprises.

Le seul argument vraiment recevable est donc celui relevant de la mise en place d’une instance unique dans les PME où les élus ne sont pas suffisamment nombreux pour faire vivre le dialogue social dans les conditions actuelles. Pour les grandes entreprises, il est plus difficile de justifier l’intérêt d’une instance unique.

Vers un appauvrissement des débats ?

Les syndicats redoutent que les discussions ne tournent plus qu’autour des problématiques économiques et laissent de côté celles qui concernent les conditions de travail des salariés, allant jusqu’à évoquer le retour aux « comités sociaux d’établissements » créés en 1941 par Pétain (les fameux « comités patates »).

Si ce risque est certainement exagéré, il n’en demeure pas moins que la diminution du nombre d’IRP risque d’appauvrir les débats et peut avoir des conséquences sur la qualité du dialogue social dans les grandes entreprises. En effet, les élus au CSE devront aborder des sujets beaucoup plus larges et plus complexes qu’auparavant, nécessitant un certain niveau d’expertise. Gregor Bouville a montré par exemple que la dilution des compétences du CHSCT au sein du CSE entraînera certainement une régression de la prise en charge des problèmes de santé au travail. Une crainte partagée par d’autres experts qui dressent d’ailleurs un premier bilan mitigé de l’instance unique issue de la loi Rebsamen (IRES).

The ConversationEn définitive, si la mise en place d’une instance unique peut se justifier dans les PME, il est beaucoup plus difficile de trouver des raisons valables pour introduire un tel dispositif dans les grandes entreprises. En effet, l’enjeu pour les entreprises n’est pas de réduire les moyens accordés aux représentants du personnel mais plutôt de favoriser les échanges, de multiplier les lieux de rencontres, de former les élus avec l’idée sous-jacente que les représentants du personnel peuvent apporter leur éclairage, être forces de propositions et contribuer à la dynamique de croissance des entreprises.

Patrice Laroche, Professeur des Universités en sciences de gestion, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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