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Le difficile atterrissage municipal de LREM

Agnès Buzyn
Agnès Buzyn part à la conquête de Paris (wikipedia)

Olivier Costa, Sciences Po Bordeaux

Le bilan sera sans doute modeste pour La République en Marche (LREM) au soir du 22 mars 2020. La dynamique qui a permis à Emmanuel Macron de l’emporter haut la main à l’élection présidentielle de 2017, puis de bénéficier d’une large majorité à l’Assemblée nationale, et même de sauver les meubles aux élections européennes en mai 2019, dans le contexte pourtant très tendu du mouvement des « gilets jaunes », semble en panne.

La crise durable qui frappe les partis de gouvernement traditionnels laissait pourtant espérer aux militants LREM des victoires municipales faciles, et semait la panique au sein des équipes sortantes.

Certes, le parti présidentiel conserve des chances à Strasbourg – où la candidate écologiste est toutefois en tête – avec un candidat issu du PS, à Lyon – malgré la présence d’un dissident LREM – ainsi qu’à Toulouse – avec un maire sortant LR, soutenu par LREM – et Nice – avec un maire sortant bénéficiant d’une double investiture LR et LREM.

Mais la situation est beaucoup plus compliquée que prévu à Paris ou à Bordeaux, et le parti est sans illusions à Nantes, Lille ou Montpellier. Enfin, il n’a pas de candidat officiellement investi dans la très grande majorité des communes – au nombre de 30 000.

Ce constat reflète à la fois les choix stratégiques du parti mais aussi un manque de ressources locales et un contexte politique délicat.

La difficile déprofessionnalisation de la vie politique

Ce qui est en jeu, c’est la prétention de LREM à poursuivre le processus de « déprofessionnalisation » de la vie politique entrepris en 2017, venant mettre fin à deux phénomènes clés de la Ve République : l’inversion de la carrière politique et la montée en puissance des élus locaux.

À partir de 1958, des hauts-fonctionnaires ou des personnes issues de l’entourage des élus sont en effet entrés au gouvernement ou dans l’entourage du Président sans jamais avoir exercé de mandat électif ; il leur revenait ensuite d’en conquérir à l’échelle locale. Dans leur majorité, les députés et sénateurs demeuraient toutefois des élus locaux ou des notables ayant accumulé un capital politique et social suffisant pour obtenir l’investiture de leur parti, et qui devenaient des barons locaux indélogeables.

Jean‑Claude Gaudin est un exemple typique de ces élus aux carrières politiques très longues, nées d’un ancrage local.

Cette professionnalisation outrancière de la vie démocratique a été vivement critiquée, particulièrement à partir des années 2000.

Le tournant de 2017

Afin d’assurer une meilleure représentativité du Parlement, diverses réformes ont été entreprises depuis vingt ans en faveur de la limitation du cumul des mandats, de la promotion de la parité entre les genres ou d’une meilleure représentation des minorités visibles.

Les élections législatives de 2017 ont constitué un tournant important, par la conjonction de l’entrée en vigueur de la loi de 2014 sur le cumul des mandats (faisant interdiction aux maires et aux présidents d’assemblée départementale ou régionale d’être parlementaires) et du succès de LREM.

Portés par la popularité d’Emmanuel Macron, plus de 300 députés ont en effet été élus sous les couleurs du parti présidentiel en juin 2017.

On comptait certes parmi eux un bon tiers d’anciens militants et élus venus d’autres partis, mais une majorité était des novices en politique, qui n’avaient jamais été élus à des postes significatifs.

Le parti présidentiel en a fait un argument électoral, vantant l’amateurisme de ces candidats et l’aspiration des électeurs à un renouvellement de la vie politique et à sa déprofessionnalisation.

Les profils de ces parlementaires restaient assez spécifiques (des citoyens plutôt éduqués, urbains et issus des classes moyennes-supérieures), mais ils ont accru la diversité de l’Assemblée nationale en termes de genre, d’âge et de profils socioprofessionnels. La représentation des employés et des cadres du privé a notamment fait un bond, et très peu des députés LREM étaient en situation de cumul, même mineur (mandat de simple conseiller municipal, départemental ou régional).

Un parti sans grandes ressources locales

Aujourd’hui, les élections municipales constituent d’abord un enjeu symbolique pour le parti, qui veut démontrer que le Président conserve un solide socle de fidèles, faits discrets dans le contexte social agité des dix-huit derniers mois.

Mais le scrutin de mars constitue aussi une occasion pour LREM de conquérir des municipalités pour bénéficier enfin des ressources locales qui permettent de faire vivre un parti sur le territoire et de l’inscrire dans la durée – les positions obtenues à la Présidence et à l’Assemblée nationale n’étant pas suffisantes pour cela.

C’est, enfin, une étape fondamentale dans la préparation des élections sénatoriales (2020) – pour lesquelles les maires et conseillers municipaux forment l’essentiel de l’électorat – et des élections départementales et régionales (2021).

Mais le parti du Président s’est heurté à la difficulté de trouver des candidats qui n’étaient, pour la plupart, ni des élus nationaux – seuls une poignée de ministres et de parlementaires ayant accepté de relever le défi – ni des élus locaux – le parti ne comptant que quelques ralliés.

Aujourd’hui encore, le Président et les 300 députés LREM représentent l’essentiel des élus du parti, qui ne compte par ailleurs que 27 sénateurs, quelques maires et conseillers départementaux et régionaux venus des autres partis, et 23 députés européens.

Peu de réseaux à activer

Créé en 2016 seulement et n’étant pas issu d’une formation politique préexistante, le parti d’Emmanuel Macron n’a jamais concouru à aucune élection territoriale, et ne peut donc compter sur des élus sortants pour monter une liste. Or, il est complexe d’élaborer un programme crédible sans avoir jamais été impliqué dans le fonctionnement d’une municipalité, à tout le moins dans les villes d’une certaine taille.

Plus spécifiquement, le fait de n’avoir jamais été au pouvoir à l’échelle locale implique que le parti n’a pas d’obligés et peu de réseaux à activer.

Plus largement, LREM a fait le choix délibéré de conserver un mode de fonctionnement très centralisé, pour éviter la constitution des « baronnies » qui pèsent tant dans l’organisation des partis traditionnels. Cela permet au Président et à ses proches de conserver un contrôle complet sur le parti, sur ses responsables et sur les investitures, mais se révèle problématique quand il s’agit de mener campagne à l’échelle locale.

Peu de têtes de listes disponibles

S’ajoute à cela le fait que, en vertu de la loi sur le non-cumul des mandats, les députés LREM ne peuvent être têtes de listes, sauf à accepter d’abandonner leur mandat parlementaire en cas de succès, comme Émilie Chalas à Grenoble.

Il reste la possibilité de mobiliser des ministres (Édouard Philippe au Havre, Benjamin Griveaux puis Agnès Buzin à Paris, Gérald Darmanin à Tourcoing) ou des proches du Président (Thomas Cazenave à Bordeaux), mais les ressources en la matière sont limitées, et les volontaires peu nombreux. Et il conviendra de déterminer si l’on peut conserver au gouvernement un ministre vainqueur ou battu à plates coutures.

Le parti a donc dû s’en remettre largement, soit à des candidats sans expérience politique, soit à des maires sortants issus d’autres formations politiques – la seconde approche ayant été finalement privilégiée, dans le souci d’afficher un bon bilan.

Le manque d’expérience des novices n’est pas nécessairement rédhibitoire, et peut même être perçu positivement par les électeurs aspirant au changement, mais les ressources locales leur font défaut pour mener campagne. Certains candidats ont acquis de l’expérience sous d’autres couleurs politiques, mais leurs anciens réseaux ne sont pas mobilisables s’ils ont rompu avec leur famille partisane d’origine.

Le choix d’investir des maires sortants, sans exiger leur adhésion au parti, permettra à LREM de revendiquer un certain nombre de victoires au soir du second tour, mais il a eu un fort effet perturbateur sur les militants. Il explique largement la multiplication des candidatures dissidentes, qui affectent un tiers des communes où LREM présente des listes.

On pense notamment à Paris, Orléans, Toulouse, Amiens, Nîmes, Mulhouse, Besançon, Lyon, Annecy, Villeurbanne, Aix-en-Provence ou encore Argenteuil.

Cette stratégie s’est aussi soldée par une hémorragie des militants les plus attachés à la rhétorique du « dégagisme » et les plus hostiles au fonctionnement traditionnel des partis.

Un contexte politique national délicat

Au-delà des difficultés qui ont entouré les investitures, LREM doit faire face à un contexte politique ardu. Les élections européennes ont créé une illusion d’optique : le parti avait réalisé un score décent (22.5 %), dans le contexte difficile du mouvement des « gilets jaunes ».

Mais il s’agissait d’un scrutin national, dont les enjeux – une fois n’est pas coutume – ont été très européens, et qui a été scénarisé par Emmanuel Macron comme un affrontement entre son approche de l’Europe et celle de Mme Le Pen. Ces chiffres encourageants ont donné de l’espoir aux aspirants-maires, mais la situation apparaît bien moins favorable aujourd’hui.

Si le mouvement des « gilets jaunes » représentait un électorat qui vote traditionnellement peu, n’ayant donc pas contribué à l’élection d’Emmanuel Macron, la mobilisation contre la réforme des retraites a eu de plus fortes répercussions en France. Elle a semé le doute chez une partie des Marcheurs – notamment ceux issus du centre-gauche, rebutés par l’orientation droitière de l’action gouvernementale.

LREM a aussi fait des choix stratégiques discutables, comme celui d’envoyer le Premier ministre en campagne au Havre, de ne pas trancher suffisamment tôt la situation à Paris, d’investir massivement des maires sortants issus d’autres partis, ou d’essayer de brouiller la lecture des résultats en changeant les règles du « nuançage » des listes dans les villes les moins grandes. Ces choix ont suscité des critiques dans les médias et démobilisé une partie des militants.

Enfin, les relations de LREM avec le MoDem, qui avait été un allié solide pour les précédents scrutins (présidentielles, législatives et européennes), s’avèrent compliquées. Le MoDem soutient en effet les candidats LR à Bordeaux, Reims, Limoges, Saint-Étienne et Clermont-Ferrand, le candidat PS à Dijon, et un candidat de centre-droit à Rennes.

Quelles ressources pour les candidats En Marche ?

De quelles ressources les candidats LREM et apparentés disposent-ils encore pour faire campagne ? Toutes celles qui ont fait le succès du parti aux présidentielles et aux législatives semblent aujourd’hui érodées ou démonétisées.

La nouveauté, le désir de changement semblent éculés. L’inexpérience des candidats, présentée comme une vertu, se transforme sous la critique en amateurisme.

L’argument du « nouveau monde » est également en panne, LREM étant confronté aux mêmes difficultés que tous les partis – avec son lot de dissidences, de candidats parachutés et de cumulards, et un mode de fonctionnement qui apparaît peu démocratique.

En outre, le choix d’investir massivement des maires sortants jugés « Macron-compatibles » contraste avec le discours dégagiste tenu par LREM lors de sa création. Ce discours nourrit désormais l’aspiration d’une partie de l’électorat pour des listes dites citoyennes, dépourvues de toute étiquette, qui se multiplient y compris dans des villes moyennes.

Quant au rejet des partis traditionnels, il bénéficie désormais à des listes menées par des candidats écologistes, qui ont de bonnes chances de l’emporter dans des villes comme Grenoble, Strasbourg, Bordeaux, Rouen, Montpellier, Besançon et Nîmes.

À l’approche des élections municipales, les sondages confirment une poussée des candidats écologistes dans plusieurs villes.

Un retour à la normale ?

Le style « managérial » revendiqué par LREM et ses candidats semble par ailleurs heurter à l’échelle locale, d’autant qu’il montre ses limites à l’échelle nationale sur des dossiers tels que la réforme des retraites ou celle de l’hôpital.

LREM peinera à capitaliser sur les électeurs qui s’estiment encore satisfaits par l’action du Président – environ 30 % de l’électorat. En effet, dans de nombreuses villes, les listes issues du parti n’ont pas obtenu l’investiture officielle ou refusent pour des raisons stratégiques d’afficher leur lien avec le parti. Les électeurs macronistes risquent donc d’être déboussolés au moment de voter.

Le PS et LR ont beau peiner à se relever de l’échec des présidentielles et des législatives, leurs candidats vont sans doute réaliser des scores jugés impossibles il y a six mois encore. En 2017, le changement du paysage politique national a été radical, mais la résilience du tissu partisan local est plus forte qu’escomptée, d’autant que les responsables de LREM ont délibérément renoncé à une stratégie d’enracinement local de leur parti. Ce choix leur permet d’en conserver le contrôle, mais il a aussi engendré une fuite de militants et n’a pas permis la création de relais solides sur les territoires.

Pour contourner cette difficulté, le parti a massivement investi des maires sortants issus d’autres partis ou encore membres de ceux-ci, sans exiger leur adhésion. C’est une manière d’afficher quelques victoires et de rendre difficile l’interprétation des résultats du scrutin, mais aussi de poursuivre l’entreprise de brouillage du jeu politique qui est à l’œuvre depuis 2017.

LREM entend démontrer ainsi que l’ancien monde a vécu, et que les allégeances et clivages politiques historiques n’ont plus de sens. Il reste à voir si cette stratégie sera efficace, ou si elle va constituer la première étape de la reconstruction des partis traditionnels face à un mouvement qui demeure avant tout un instrument au service du Président.The Conversation

Olivier Costa, Directeur de recherche au CNRS / Directeur des Etudes politiques au Collège d’Europe –, Sciences Po Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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