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Les macronistes et le Goncourt 2018… Un gag ?

Point-de-vue. L’ancien secrétaire d’État au Budget s’étonne que des hommes et des femmes proches de Macron admirent un livre qui, pourtant, brocarde leur président et ses réformes.

Par Christian Eckert

Christian Eckert, ancien secrétaire d'Etat au Budget (DR)
Christian Eckert, ancien secrétaire d’Etat au Budget (DR)

Un article de presse d’un journal du soir décrit l’admiration de nombreux macronistes pour le livre de Nicolas Mathieu « Leurs enfants après eux » (prix Goncourt 2018). Le journaliste y relate l’admiration surprenante de Julien de Normandie, Gabriel Attal, Sibeth Ndiaye ou encore Pierre Person pour un livre dont l’auteur ne cesse de dire son aversion pour leur Président et ses réformes. Le sujet est intéressant, original voire surprenant et mérite d’être prolongé.

Je me sens, sans prétention, quelque peu légitime à le faire : je suis né dans la vallée qui sert de décor au roman, dans un milieu modeste, entouré de familles d’ouvriers et de mineurs. J’y ai vécu mon enfance et mon adolescence quelques années avant les personnages du livre. J’ai accompli des jobs d’été dans les aciéries de Florange, bourgade devenue célèbre pour ses hauts fourneaux alors rougeoyants. J’ai enseigné 10 ans au Lycée public de Fameck (Lameck dans de livre…), ville qui était alors pour la Lorraine ce que la Seine-Saint-Denis est aujourd’hui pour la France. J’ai habité (et demeure encore) dans le Pays-Haut voisin et y ai été Maire 27 ans d’une ville où les mineurs de fer ont occupé le fond de leur mine en 1963 pendant 79 jours (y compris le soir du réveillon de Noël) pour protester contre les licenciements. J’ai été élu deux fois député de la circonscription de Longwy, où on me tutoyait sur les marchés plus souvent qu’à Bercy où m’a conduit mon parcours politique.

Ascenseur social

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Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018 (couverture)

Je suis « sorti » mal à l’aise du livre de Nicolas Mathieu, dont les qualités littéraires sont pourtant incontestables. Un peu comme un enseignant qui regarde un enregistrement de son propre cours et y découvre tous ses défauts même anodins qu’il ne perçoit pas quand il est pris par le feu de sa leçon. Je ne m’y suis qu’assez peu retrouvé, sans doute parce que j’attendais un portrait enjolivé par l’attachement que j’ai pour mon territoire J’y ai trouvé une description des difficultés et des déceptions, certes connues et fréquentes, mais insupportables à lire quand elles sont cumulées et concentrées sur quelques personnes.
Ce sentiment a été partagé par une partie de mon entourage familial et local. Pas tous… Les plus jeunes s’y sont mieux retrouvés. Des élus de la vallée de la Fensch ont publiquement regretté l’image grise – c’est peu dire – que donne le livre des lieux et de leurs habitants. Et surtout, le livre pourrait avoir son « contrepoint » : mes amis du collège d’Algrange, du lycée de Thionville ou de prépa à Metz sont légion à avoir connu l’ascenseur social : j’en ai revu des fils d’ouvrier, de mineur, de petits fonctionnaires, devenus ingénieurs, chefs d’entreprises, écrivains, hauts-fonctionnaires, toujours engagées dans les vies syndicales, politiques, associatives, sociales, souvent même au niveau national.

Les mécanismes de solidarité

Ils ont connu les bienfaits de l’Ecole de la République, les miracles accomplis par les hussards de la République, les atouts de la République qui protège, la force transmise par l’ambition de leurs parents, « petits » immigrés ou pas, pour que vivent « leurs enfants après eux ». Aurélie Filippetti pourrait mieux que moi, en faire un roman.
Les nantis d’aujourd’hui, très nombreux et influents en Macronie, stigmatisent tout cela à longueur d’année en parlant de la nécessaire fin de l’Etat Providence ou, pire encore, de l’Assistanat. Pied à pied, pas à pas, petit à petit, ils démontent les mécanismes de solidarité, encouragent l’individualisme, poussent aux inégalités, ferment les frontières aux affamés « en même temps » qu’ils les ouvrent aux capitaux.
Alors voilà que subitement, ceux-là, qui ont pour beaucoup fréquenté l’école alsacienne, ont peu franchi le périphérique, ne se sont jamais encanaillé dans une fête de village un peu glauque, ont connu tous les films en avant-première et se sont ennuyés dans des bibliothèques rutilantes, s’ébahissent devant un livre. Ils découvrent ce roman d’un réalisme criant, qui décrit l’absence de perspective autant que l’échec, la récession plus que l’immobilisme, la pauvreté intellectuelle plutôt que la faim…

Dans les livres

Oui, dans l’ancien monde, que l’on dit ringard, beaucoup d’élus dont une poignée arrivaient jusqu’à Paris, connaissaient cette vraie vie, en étaient issus et même parfois « sortis » ! Aujourd’hui les nouveaux la découvrent dans les livres. C’est déjà ça.
Alors qu’ils en tirent donc les leçons : la priorité n’est certainement pas de réformer pour libéraliser. Elle est de faire société par l’organisation des solidarités territoriales, éducatives, générationnelles, culturelles. C’est avant tout cela que nous apprend le livre de Nicolas Mathieu.
Faute de cela, le prochain livre qui sera au menu des macronistes pourrait bien être un livre noir. Ce serait là notre véritable échec pour « les enfants d’après nous ».

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