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Entre le local et l’Europe, la lente montée en puissance des régions

Depuis le Traité unique européen de 1992, les rapports entre l’Europe et les régions se sont densifiés.
Brichuas/Shutterstock

Antoine Achard, Université de Bordeaux

Les troubles sociaux qui secouent la France depuis plusieurs mois ont donné lieu à une série d’annonces de la part du président de la République Emmanuel Macron. Parmi celles-ci, il a notamment souhaité « ouvrir un nouvel acte de décentralisation adapté à chaque territoire », lors de la conférence de presse du 25 avril dernier qui visait à clore la séquence du grand débat national. Les analystes politiques et économiques commencent à imaginer les contours que pourraient prendre un nouvel acte de décentralisation. Il pourrait par exemple être question de rapprochement entre les instances départementales et régionales au travers du projet de conseiller territorial qui siégerait dans les deux assemblées.

Nous souhaitons exposer ce qui mène à la régionalisation des politiques et la place qu’occupent les régions françaises, ces jeunes institutions qui peinent à être reconnues au sein du paysage politico-administratif français. Elles constitueraient un échelon d’intervention pertinent pour résoudre la crise du modèle français de politiques publiques, entre le local et l’Europe.

Nous proposons donc de revenir sur les étapes qui mènent à un approfondissement de la régionalisation des politiques publiques dans un mouvement entamé à la fois par l’État central mais, également supporté par l’Union européenne. Nous allons donc proposer un retour qui expose ces deux dynamiques de régionalisation.

L’Europe pour mettre fin aux guerres

Le rêve d’une Europe unifiée n’est pas nouveau et les tentatives ou réflexions pour le réaliser ont été nombreuses. Elles ont été de plusieurs ordres : militaire, avec par exemple l’empire romain, carolingien, l’Europe napoléonienne, religieuse, l’idée de la « Christianistas » très défendue par Pierre Dubois au XIIIᵉ siècle, ou politique avec la création de la Société des Nations (SDN) après le premier conflit mondial.

Après la Seconde Guerre mondiale et devant l’échec de la Société des Nations à atteindre la paix, c’est sur le volet économique que les nations européennes vont travailler pour unifier l’Europe avant de lui donner une dimension politique. L’Europe s’est donc construite sur le charbon et l’acier avec la CECA, puis sur l’atome, avec la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA), avant de devenir la Communauté économique européenne (CEE), puis l’Union européenne (UE).

Très rapidement dans sa jeune histoire, l’Europe a cherché à régionaliser ses politiques, dans la lignée de la pensée défendue par l’écrivain suisse Denis de Rougemont en 1946 qui exprimait que pour « faire l’Europe, il faut d’abord faire des Européens ». En effet, les États-nations européens se trouvent dans une position où ils sont trop grands pour adresser les problèmes rencontrés au niveau local, mais également trop petits pour lutter et traiter seuls face à l’émergence des superpuissances que constituent aujourd’hui la Chine, les États-Unis, mais également la Russie ou l’Inde.

Multiplication des programmes régionaux

L’UE, dès son institutionnalisation par le Traité unique européen (TUE) de 1992, et ses États membres se sont dits « résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises le plus près possible des citoyens, conformément au principe de subsidiarité ». Ceci dans le but de concevoir des politiques ayant un effet plus important sur les territoires et avec les institutions locales qui sont celles disposant de la connaissance la plus fine des enjeux locaux.

L’Eurorégion Alpmed regroupe des structures administratives des deux côtés des Alpes.
Europe-en-france.gouv.fr, Author provided

Les rapports entre l’Europe et les régions se sont alors densifiés, avec la création du Comité des régions en 1994, mais également la création d’agences de représentation des régions à Bruxelles. Dans le même temps se sont développées de nombreuses collaborations interrégionales, souvent transfrontalières à l’image des Eurorégions à cheval sur plusieurs pays. Aujourd’hui encore, les programmes en faveur des régions se multiplient, avec Interreg, ou encore les fonds Feder et Feader que gèrent les régions. Ces programmes s’inscrivent dans la stratégie européenne Horizon 2020 (prochainement Horizon Europe) qui demande aux régions de définir de plans de spécialisation de leur territoire.

Toutefois, l’Europe des régions n’a encore jamais vraiment décollé parce que les Européens restent encore plus attachés à leur nation qu’à l’Europe, et que les projets européens sont perçus comme vague ou sont invisibles. Cependant, sur de nombreuses questions c’est bien l’Europe qui dispose aujourd’hui des moyens réglementaires et financiers pour intervenir. Rappelons simplement que la loi européenne est supposée prévaloir sur les prérogatives nationales.

La lente décentralisation française

En parallèle, la France a initié un mouvement de décentralisation, qui depuis longtemps est préconisé par des intellectuels, alors que le pays est plutôt empreint d’une tradition centralisatrice forte. Un processus qui a d’abord valu au Général de Gaulle de démissionner face à l’échec du référendum en 1969, avant de s’imposer en 1972 avec la création officielle des régions. La loi Deferre en 1982 connue aujourd’hui comme étant l’Acte I de la décentralisation autorise l’intervention économique des collectivités locales.

La décentralisation s’est accompagnée d’une déconcentration des organes étatiques en région. Les directions régionales ont été placées sous l’autorité des ministères, afin de contrebalancer le pouvoir des nouvelles institutions régionales. Les compétences des régions sont toutefois renforcées en 2004 lors de l’Acte II de la décentralisation, qui reconnaît les régions dans la Constitution. Il faut attendre les réformes de 2007 avec la Réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE) et la Révision générale des politiques publiques (RGPP) pour voir les institutions déconcentrées de l’État commencer à se réformer et à réduire leur périmètre.

Enfin, en 2014 et 2015, deux réformes sont adoptées, la loi Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM), dont l’objectif est de clarifier les compétences des collectivités territoriales. Une loi suivie de près en 2015 par la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRE) qui ont pour objectif de simplifier le millefeuille territorial, rationaliser la dépense publique et réaliser des économies d’échelles. Ces réformes controversées ont été critiquées par les citoyens mais également la communauté de la recherche.

Les régions françaises ont atteint une taille critique, en termes de superficie et de population. Les dernières réformes les placent dans une position de pilote des politiques publiques régionales. Mais elles sont encore bien loin du budget des régions allemandes ou espagnoles, 5 à 10 fois inférieures, comme en témoigne un billet d’Olivier Bouba-Olga, professeur des Universités en aménagement de l’espace et urbanisme à l’Université de Poitiers.

Olivier Bouba-Olga

Le futur des politiques publiques ?

Nous avons assisté depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à la naissance de deux échelons politiques, l’Europe et les Régions. L’Europe pour atteindre un objectif de paix et d’homogénéisation économique des territoires européens. Les régions comme institutions clefs pour appliquer des politiques ayant un effet de levier intéressant grâce à une connaissance plus fine des problématiques locales.

Toutefois, il semble que le débat est systématiquement ramené aux problématiques nationales. Lors des élections locales ou européennes, dont les enjeux sont d’adresser des problématiques locales ou supranationales, les observateurs et acteurs politiques appellent souvent les électeurs à venir voter par rapport à un contexte national et les analystes présentent souvent les résultats sur le plan national.

Il serait bon de donner les clefs pour comprendre la nouvelle organisation politique et économique en France et en Europe. Ceci pour considérer que si l’Europe doit nous protéger d’un nouveau déchirement, les réponses viendront aussi et surtout de la prise en compte des problématiques locales, par les institutions locales et régionales et non plus par le gouvernement central qui ne peut pas adresser la diversité et les spécificités des territoires dans leur intégralité. Si l’État conserve sa raison d’être, les territoires ont autant besoin que l’on respecte leur diversité et leurs spécificités par la conception de politiques au plus proche de ces derniers.The Conversation

Antoine Achard, Analyste de la politique industrielle régionale et européenne, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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