Le « désir d’Alsace » va-t-il aboutir au divorce de la région Grand Est après un mariage à trois contraint et forcé par la loi NOTRe ? C’est probable.
L’annonce faite par le Premier ministre de la création au 1er janvier 2021 d’une collectivité européenne d’Alsace après la fusion des deux départements, Haut-Rhin et Bas-Rhin, provoque un véritable tollé dans les huit autres départements de la région Grand Est.
Cette future entité alsacienne bénéficiera d’un statut particulier lié au bilinguisme, à l’histoire et à la géographie. Elle sera dotée de compétences spécifiques dont le développement économique et touristique, la coopération transfrontalière, la gestion des routes nationales…
C’est l’aboutissement d’un long processus initié par le préfet Jean-Luc Marx qui, dans un rapport remis en février 2018 au Premier ministre, préconisait la fusion entre les deux départements alsaciens pour répondre à « un désir d’Alsace » exprimé non seulement par les élus mais aussi par une bonne partie de la population et des associations régionalistes.
Les présidents des deux départements alsaciens, Frédéric Bierry et Brigitte Klinkert ainsi que le président de la région Grand Est, Jean Rottner, se sont donc félicité de cette reconnaissance alsacienne. Ils ont signé à Matignon le principe de création de cette nouvelle collectivité qui s’inscrit dans « le droit à la différenciation » prévue par la future réforme constitutionnelle.
Déséquilibres flagrants
Mais auparavant, les deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin devront fusionner. Ils devront choisir un siège (Strasbourg, Mulhouse ou Colmar) pour cette nouvelle entité. Puis une loi devra préciser les compétences de la collectivité européenne d’Alsace que le Conseil d’Etat devra entériner. Il faudra deux années pour mener à terme cette procédure inédite.
Restera ensuite à définir la place et le rôle de cette collectivité européenne au sein de la région Grand Est, née en 2016 de la difficile fusion de l’Alsace, de la Champagne-Ardenne et de la Lorraine. C’est là que les choses se gâtent. Car cette nouvelle entité crée des déséquilibres flagrants entre les trois anciennes régions mais aussi entre les huit autres départements qui ne bénéficient pas des mêmes prérogatives.
D’où le coup de gueule des élus lorrains et champardennais qui crient à la trahison. Et réclament les mêmes avantages.
L’ADN de l’Alsace
La région Grand Est survivra-t-elle à cette recomposition ? Ne va-elle pas imploser ? C’est la crainte de nombreux observateurs qui se souviennent de sa naissance dans la douleur. L’Alsace ne voulait pas être intégrée dans cette nouvelle entité informe, sans histoire, sans géographie. Elle craignait d’y perdre son âme.
Rappelons-nous. Même son président actuel, Jean Rottner, ne voulait pas que « l ’Alsace soit diluée dans un ensemble hétéroclite » avant la promulgation de la loi NOTRe. Il avait fait campagne contre la nouvelle grande région, tout comme le premier président du Grand Est, Philippe Richter, ouvertement hostile à la perte d’ADN de l’Alsace. Pétitions et manifestations appelaient alors à un rejet de la réforme institutionnelle de François Hollande et Manuel Valls qu’ils appelaient « la réforme du mépris ».
Comment croire, deux ans plus tard, que les élus alsaciens et les associations identitaires aient changé d’avis alors qu’ils n’avaient que du « mépris » pour cette région Grand Est dont Strasbourg avait pourtant été désignée la capitale, par le fait du prince. Et dont les deux premiers présidents sont des élus alsaciens.
Comme l’écrivait ici même le président de l’Institut de la Grande Région, Roger Cayzelle, « le Grand Est est en miettes ». Éparpillé par petits bouts, façon puzzle, aurait dit Audiard. En morceaux. Des morceaux que l’on aura du mal à recoller.
Emilien Lacombe.