Comme chaque année à pareille époque, les copies du bac montrent à quel point les élèves sont fâchés avec l’orthographe. Mais, sait-on le rôle que joua Orto, le fils de M. et Mme Graf, dans cette affaire ? C’est Boby Lapointe qui nous le rappelle.
« L’alphabet contient en tout deux douzaines de lettres, si l’on compte comme les écaillers dans leurs bons jours. Avec ces mots, on peut faire un nombre impressionnant de syllabes. Avec ces syllabes, un nombre impressionnant de mots et avec ces mots un nombre impressionnant de fautes d’orthographe.
Au stade actuel de notre civilisation, rares sont les gens qui ne savent pas faire de fautes d’orthographe. Ce sera tout de même le sujet de notre première leçon. Il me paraîtrait ridicule de commencer à un niveau plus bas : je croirais faire injure au lecteur, si je n’admettais pas qu’il sache déjà, que l’on émet des sons avec la bouche, pour parler.
Donc, comme je viens de vous l’apprendre : pour parler, nous faisons des bruits avec la bouche… Pour écrire, on aurait pu faire correspondre une consonne à chaque son «consonne», et une voyelle à chaque son voyelle! Mais là… ça aurait vraiment manqué de fantaisie.
Si mes souvenirs sont exacts nos ancêtres en étaient à ce stade primitif de l’écriture, quand un comte allemand, qui était venu en France, chercher une occupation quelconque, décida de changer tout ça.
Il s’appelait Orto
Il s’appelait Orto Graf, et il était très vexé parce qu’à cette époque, en France, ce qui s’écrivait « f » se prononçait « S ». On l’appelait donc Orto Gras, ce qu’il prenait pour une allusion à sa rondeur… d’autant plus qu’il y avait un notable du coin qui s’appelait Ortomègre, et c’est pourquoi Orto Graf pondit le fameux décret qui décidait que les «p» suivis de «h» font «feu», et qu’à par ça toutes les autres consonnes pouvaient être suivies d’un «h», sans que cela leur porte préjudice, et que de plus on pouvait se mettre des «e» où on voulait, même à la fin d’un mot, et qu’il y avait d’autant moins d’inconvénient à cela que tous les paresseux de la région qu’il occupait (Le nord de la Loire) ne se donnerait jamais la peine de prononcer ses «e» dits muets. En foi de quoi, il signa : « Orthographe ».
Nom dont la prononciation n’évoquait plus sa rondeur, et qui de plus comportait plus de lettres que celui du notable Ortomègre… ce qui rehaussa son prestige. Ortomègre était très vexé, mais il sut se rattraper le jour où Orthographe dut retourner chez lui : il décida que son nom s’écrirait « Eaurthaumaigre ».
L’ « e » dans l’ « o »
C’était vraiment n’importe quoi ! et on dut nommer des spécialistes pour fabriquer des lois légitimant ce genre de choses, c’étaient quarante braves grands-pères qui décidèrent servilement que « O » pourrait, selon les circonstances, s’écrire : au, hau, eau, ho, oh et même « o ».
C’est alors que l’un d’eux, plus poivré que les autres essaya d’expliquer : « la recette des œufs à la coque » en bafouillant, « Si je mets mon petit « neu » dans l’eau, ça me fait un neu… » « Et mon œil » interrompit un autre. Le secrétaire notant tout ça, interprétait à sa façon, et c’est de là que naquit la mode des « e » dans I’ « o » pour : œufs, œil, nœud, etc. etc.
Une autre fois l’un d’eux dit comme ça : « Les poules couvent dans le couvent en écoutant mon chant dans mon champ » et demanda comment cela devait s’écrire. Après de mûres discussions, ils décidèrent que du moment que « couvent » (les poules) et « couvent (les moines) se prononçaient différemment il serait amusant de les écrire exactement pareil, et que par contre « chant » et « champ » ayant la même prononciation devaient s’écrire différemment à cause des mouches.
Ensuite ils jouèrent à « l’exception confirme la règle ». Et tout ça finit par faire beaucoup d’écriture. Ils en firent un « recueil » (sans « e » dans l’« o » pour des raisons d’économies, un « o » en moins avec un « eil », près du « cu », pour faire le tour de la question).
Ils l’appelèrent « Grammaire » en hommage à la femme du plus âgé des 40, qui leur apportait un petit goûter tous les jours, à leur récréation de 4 heures. Celle-ci leur fit savoir que s’étant refusée à un Anglais qui lui proposait trois livres (de beurre) et six pinces à sucre, s’il suffisait maintenant d’un seul livre pour la personnifier, elle en était « déchue », « déçue », et n’hésita pas à enlever la cédille pour leur dire ce qu’elle pensait d’eux.
Pour la consoler ils lui donnèrent la haute main sur les affaires de son village et lui permirent de s’appeler comme elle voudrait. Elle se fit graver des cartes de visite au nom de « Grand’ Maire ». Quant aux quarante, vu leur grand âge, ils décidèrent de s’appeler « Les Zigs Mortels ». Imperturbablement, le secrétaire transcrivait comme il voulait l’entendre. Mais la gomme étant leur friandise préférée, ils n’allaient pas en gaspiller pour si peu, et ils consentirent à s’appeler : « Les Immortels ».
Des sacs à demiciens
D’ailleurs le peuple leur avait déjà trouvé un nom plus académique. Voici comment : à cette époque-là, les hommes mettaient leurs bijoux de famille dans un petit sac accroché à leur ceinture.
Voulant se distinguer du commun des mortels, les « immortels » arboraient des sacs mi-partie, sacs dont les deux parties différaient d’autant plus que l’une d’elles n’existait pas. Le peuple appela ces parures des « sacs à demi » et ceux qui les portaient des « Sacs à demiciens ».
Les quarante avaient toujours le même secrétaire quand ils admirent ce vocable. Ils étaient d’ailleurs très contents de lui qui, empilant les mots comme un « silo » travaillait comme un « nègre ». Ils l’appelèrent donc le Silo-Nègre, et décidèrent de confectionner un nouveau livre qui, en hommage, porterait le nom du dit silo-nègre.
Toujours imperturbable celui-ci titra : « Dictionnaire ».
Toutes ces fantaisies contribuèrent à la prospérité de leur petite affaire qui existe encore de nos jours. Mais l’esprit d’initiative s’avère très nuancé : le gros de leur travail consistant à faire de nouvelles éditions du dictionnaire en reprenant mot à mot les définitions de leurs ancêtres sur lesquelles ils ergotent jusqu’à saturation, et qu’ils finissent par recopier scrupuleusement. »