Point-de-vue. L’ancien secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert s’interroge et, ce faisant, nous éclaire sur l’utilisation des cabinets de conseil par la Macronie, en particulier McKinsey.
Par Christian Eckert
Le rapport du Sénat sur l’utilisation des sociétés de conseil par l’État soulève un certain nombre de questions que beaucoup d’acteurs publics – en particulier le Président himself – amalgament et mélangent à l’envi, pour faire oublier qu’il y a là matière pour le moins à s’indigner, sinon à sanctionner.
Trois questions principales et distinctes se posent :
1-Existe-t-il des motifs sérieux pour l’État qui justifient de faire appel à des cabinets de conseil ?
Ma réponse est un oui sous conditions : Clairement, pour certaines missions très techniques (en particulier liées au numérique et à l’informatique, voire à la gestion d’événements exceptionnels…), l’administration ne dispose pas de fonctionnaires ayant la formation et la capacité de les accomplir. En recruter semble inopportun dès lors qu’il s’agit parfois de missions rares et pointues qui sont rarement reproductibles.
Pour autant, deux conditions strictes doivent être respectées :
- Il faut au préalable vérifier que l’administration n’a pas les moyens de faire seule (l’exemple du rapport sur les évolutions des métiers de l’Éducation Nationale interpelle…). Les multiples commissions, les nombreux inspecteurs généraux, les autorités indépendantes, voire la Cour des Comptes produisent quantité de rapports qui peuvent éclairer les gouvernements.
- Ces missions ne peuvent pas porter sur des sujets par essence réservés à l’État : en 2018 par exemple, l’exposé des motifs de la loi mobilité a été externalisée par la Ministre des Transports à « Dentons » (cabinet de juristes multinational). Ce préalable à la loi oriente pourtant les débats et possède un intérêt juridique important. C’est à proscrire formellement.
Emmanuel Macron va bien vite en besogne lorsqu’il se contente de dire :
« On ne va pas embaucher des fonctionnaires pour toute la vie quand ce sont parfois des prestations pour apprendre, pour former nos fonctionnaires ou faire des choses qu’on veut importer et qui sont faites ailleurs« .
2- McKinsey a-t-il eu des relations particulières avec Emmanuel Macron ou la macronie et cela a-t-il eu des conséquences graves ?
A l’évidence, les preuves de la proximité entre la macronie et les cabinets de conseils (en particulier McKinsey) sont innombrables. Les noms et les pédigrées circulent partout. Mais libre à chacun de choisir ses amis et le scandale n’est à vrai dire pas là :
Ce qui est aussi clairement établi et confirmé dans plusieurs journaux réputés sérieux, c’est que nombre de consultants de McKinsey ont travaillé « pro bono » (comprenez gratuitement) pour le candidat Macron en 2017 ou pour le Président Macron après 2017. De quoi en attendre des retours d’ascenseurs lors des (très) nombreux appels d’offres où la transparence et la notion de mieux-disants sont réservés à des experts… Des prestations gratuites en amont peuvent inciter à des marchés bien chers en aval.
De plus, les consultants devenus membres de cabinets et les membres de cabinets passés consultants sont légion, augmentant le sentiment de conflits d’intérêts dans ce monde où le mélange des intérêts particuliers semble dominer la recherche de l’intérêt général.
À cette question, le Président sortant et ses affidés ne répondent en rien. Pour les avoir un peu fréquentés, je crois même qu’à force de s’entremêler à tous les niveaux, ils ne réalisent même plus que les conflits d’intérêts existent.
3-La situation fiscale de ce cabinet (et des autres) est-elle conforme à l’éthique et au droit ?
Pour se défendre, l’exécutif se vante d’avoir plaidé pour l’imposition minimale des multinationales et crie victoire alors même que rien n’est finalisé. Là encore, c’est à côté de la plaque :
Les faits révèlent que McKinsey, contrairement à ses déclarations, semble ne pas avoir payé d’impôts en France depuis longtemps. L’optimisation fiscale classique par des transferts peu justifiés au Delaware l’explique sans doute… Y-a-t-il eu des contrôles, quand et ont-ils abouti ? Le droit en la matière est complexe et les procédures durent des années. Juridiquement, je me garderai bien de commentaires, mais reconnaissons que l’éthique est interpelée… Fournisseur massif de l’État français, cette société transfère ses bénéfices dans un État « complaisant » pour éviter de financer, ne serait-ce qu’un peu, la main qui la nourrit.
Outre que les réponses apportées à nos questions sont bien éloignées du sujet, cette affaire illustre les comportements du nouveau monde qu’on nous impose : ne pas faire confiance à notre administration d’État, la déléguer quoi qu’il en coûte à des cabinets privés reconnaissants envers les dirigeants politiques et méprisants envers l’État qui les fait vivre. Et souvent, pour des prestations dont la qualité est à mille lieux du prix !