Pascal Deshayes, président de la Coordination Rurale de Meurthe-et-Moselle, explique les raisons du coup de sang des agriculteurs français : la sècheresse, les inondations, les mauvaises récoltes, les épizooties, la concurrence déloyale des productions étrangères, les marges insensées des intermédiaires. « 60% des exploitations n’ont plus de trésorerie », dit-il. Entretien.
La Coordination Rurale mène depuis ce jeudi des actions dans les Bouches-du-Rhône. Pourquoi cette nouvelle révolte du monde paysan ?
La Coordination Rurale état déjà l’instigatrice des manifestations de 2023 qui ont commencé dans le Sud-ouest. Mais on n’a eu que du bla-bla de la part des gouvernements successifs, Attal ou Barnier. Il n’y a rien eu de concret concernant l’agriculture, à part des mesurettes.
Aujourd’hui, les agriculteurs sont au bout du bout. Ils viennent de subir deux années consécutives exécrables : la sècheresse de l’année dernière, cette année très humide : on a eu 1650 mm en peu de temps, sans pouvoir semer correctement, les récoltes ont été très mauvaises dans toute la France. Aucune région n’a été épargnée. Résultat : 60% des exploitations n’ont plus de trésorerie. Ajoutons à cela les prix catastrophiques. Ils étaient un peu remontés au moment de la guerre en Ukraine. Mais les intrants (engrais, produits phytosanitaires, aliments du bétail, etc.) ont doublé, voire triplé.
Et le Mercosur ne va rien arranger…
Je ne veux pas dénigrer, mais c’est quand même la FNSEA qui fait de la cogestion depuis 40 ans qui nous a menée dans le mur. C’est elle qui a cautionné tout ce système-là. D’ailleurs, en 1992, la Coordination est née à la suite d’un pacte créé et cautionné par la FNSEA. Le président d’alors, Henri De Benoist, demandait à ce que l’on baisse nos prix au cours mondiaux pour que l’on puisse exporter. Or, les dissidents de la FNSEA ont compris qu’il n’était pas possible de vivre de subsides de l’État. Aujourd’hui, nous sommes sous perfusion des primes de l’État et de l’Europe. L’agriculture est managée par une administration décalée. Il faut que cela change. Ce que nous voulons, ce sont des prix rémunérateurs.
Pourquoi ne voulez-vous pas du Mercosur ?
Pour vendre des Airbus ou des voitures, la variante, c’est toujours l’agriculture, c’est toujours contre des matières alimentaires. Le Mercosur, ce sont 99.000 tonnes de viande qui vont venir en France. Les bons morceaux, à bas prix, mais sans garantie sanitaire. Alors que les éleveurs français et européens doivent satisfaire à des normes draconiennes, au Chili, en Argentine, au Brésil, le bétail est élevé avec des implants dans les oreilles pour augmenter la production.
Nous réclamons une clause miroir. C’est-à-dire que la marchandise qui entre en France doit répondre aux mêmes normes que celles qui nous sont imposées.
Et personne ne se soucie de la santé des consommateurs ?
Pendant la Covid, tout le monde mangeait bien en s’approvisionnant auprès de circuits courts. Aujourd’hui, beaucoup de Français sont étranglés par le pouvoir d’achat et achète des premiers prix. C’est-à-dire cette viande importée. On sait que la consommation de viande a diminué en France au cours des cinq dernières années. Aujourd’hui, elle se stabilise. On est à moins 7% de production française. Ce qui veut dire 7% d’importation en plus. Toutes les petites et moyennes exploitations qui font de l’élevage ou du lait dans les zones de montagne sont impactées. Elles vont disparaître.
Il y a le Mercosur mais aussi l’Ukraine
Oui, c’est aussi l’un de nos gros soucis. L’Europe envisage d’intégrer l’Ukraine dans l’UE, soit 18 millions d’ha de terres agricoles. Autant que la France. Nous ne sommes plus que 400.000 agriculteurs. L’Europe, avec ses fameuses normes et son Green Deal, ne veut plus de paysans français. Elle va produire en Ukraine où il y a un potentiel énorme, avec 30 à 40 quintaux de moyenne et un potentiel à 80 quintaux en travaillant normalement. Évidemment, cette concurrence nous inquiète.
Avec la guerre russo-ukrainienne, nous avons importé des millions de tonnes de blé à 130 €, livrés dans des silos français. Les Polonais, premiers concernés, ont vidé des centaines de camions à la frontière.
Il y a le blé ukrainien, mais aussi les poulets…
En effet, pendant les dernières manifestations, la Coordination Rurale a été informée que les douanes avaient intercepté un camion à Lesménils (54) avec 25 tonnes de poulets congelés depuis deux ans !!! C’est donc l’industrie agro-alimentaire française qui achetait cette merde pour faire des nuggets revendus ensuite avec des marges énormes. Ce n’est pas la grande distribution qui fait de grosses marges sur l’alimentaire, ce sont les intermédiaires, entre les producteurs et les distributeurs.
Les multinationales de l’agro-alimentaire ?
Pour moi, c’est là que tout se passe. Quand on voit un groupe comme Lactalis qui met des paysans sur la paille en disant ‘’nous, on a assez de lait’’. C’est inadmissible. Lactalis, c’est l’une des plus grosses multinationales de France.
Quand vous avez le syndicat majoritaire qui fait de la cogestion depuis 40 ans avec tous les gouvernements et qui cautionne tout ça, c’est inadmissible. Nous le dénonçons à la Coordination rurale. Nous avons appris le 23 septembre 2023 que c’était Arnaud Rousseau, président de la FNSEA qui avait négocié en catimini avec Bruno Le Maire (alors ministre de l’Économie) l’augmentation en 4 ans des taxes GNR (gazole non routier) pour arriver à 2 euros, moyennant l’incorporation de diester (biogazole) pour la décarbonation de l’agriculture. Sauf que le seul fabricant de diester en France, c’est le groupe Avril dont le président n’est autre que le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau. Avec 78 usines dans 31 pays dans le monde !
Quelles sont vos prochaines actions ?
On ne veut pas manifester pour embêter toujours les mêmes personnes. Mais, quand on est dans le mur, comme aujourd’hui, la colère explose. D’autant que nous subissons en ce moment deux gros problèmes. Ce sont les épizooties, la fièvre catarrhale ovine qui fait de gros dégâts dans les élevages et la grippe aviaire, notamment dans le sud-ouest. Quand on additionne le tout, on comprend que les gens soient à bout. Ils n’ont plus rien à perdre. On craint qu’ils aillent tout casser.
Le patron de la FNSEA à la tête d’une multinationale agro-alimentaire