Carine Sebi, Grenoble École de Management (GEM)
Le premier ministre Édouard Philippe a annoncé ce 4 décembre toute une série de mesures visant à apaiser le mouvement des gilets jaunes qui revendiquent, entre autres, la fin de la hausse des taxes sur le carburant. Parmi celles-ci figurent notamment un moratoire de six mois sur cette hausse, ainsi que le gel des prix de l’électricité et du gaz jusqu’à mai 2019.
Ces mesures, qui n’ont pour le moment pas semblé convaincre, auraient pour conséquence d’infléchir temporairement la trajectoire des prix de l’énergie qui est à l’origine des protestations. Comme on le voit sur le graphique ci-dessous (qui compare par ailleurs les prix français et allemand), cette trajectoire est repartie à la hausse depuis 2016 en ce qui concerne le gaz naturel, le carburant et le fioul domestique (l’électricité restant plus stable).
Entre 2012 et 2016, les prix avaient baissé de plus de 20 % en ce qui concerne les dépenses d’énergie pour le déplacement (carburants). Une diminution à mettre en lien avec la chute des cours du baril de Brut sur cette même période (différence de 30c€/litre entre 2012 et 2015). Comme l’énergie est un poste de dépense très sensible au niveau des prix, on peut donc supposer qu’avec la hausse récente du prix du carburant (+50 % pour le gazole et +27 % pour l’essence entre janvier 2016 et septembre 2018), la dépense énergétique des ménages pour le déplacement devrait prochainement revenir, voire dépasser, le niveau de 2012.
Environ 8 % du budget annuel d’un ménage en 2016
En 2016, un ménage habitant en France métropolitaine dépensait en moyenne 1 697 euros pour l’énergie de son logement (principalement pour le chauffage, qui représente 68 % de sa consommation d’énergie, l’eau chaude sanitaire et l’électricité), et 1 131 euros pour l’achat de carburants pour la mobilité. Cette facture énergétique représentait en moyenne 8,2 % du budget annuel d’un ménage.
Cette part des dépenses d’énergie, aussi nommée taux d’effort énergétique, est restée relativement stable depuis 1990. En revanche, cette moyenne masque des disparités au sein des ménages français. Les hausses des prix ne sont donc pas vécues de la même façon par tous.
Un taux d’effort énergétique plus élevé pour les plus modestes…
Selon les dernières statistiques publiées récemment par l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), 11,6 % des Français, soit près de 7 millions de personnes, dépensent plus de 8 % de leurs revenus pour payer leur facture énergétique. Il s’agit là des ménages les plus modestes.
Pour accompagner ces ménages en situation de précarité énergétique, l’État a mis en place des dispositifs d’aide, comme le chèque énergie (de 48 à 227 euros) qui a été adressé à 3,6 millions de ménages en 2018. Le gouvernement a récemment annoncé que le montant moyen du chèque énergie sera augmenté de 50 euros (de 150 euros à 200 euros) dès janvier 2019. Il devrait alors bénéficier à 5,6 millions de ménages.
Citons parmi ces autres dispositifs, le programme « Habiter mieux » de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) pour la rénovation des logements en situation de précarité énergétique (52 000 ménages aidés en 2017). Le Grand Plan d’investissement 2018-2020 renforce d’ailleurs le budget de ce programme à hauteur de 1,2 milliard d’euros afin de financer la rénovation de 75 000 logements par an, soit 375 000 avant 2022.
Or, ces efforts restent insuffisants. « L’aide nécessaire pour sortir l’ensemble des ménages en précarité énergétique s’élèverait à 3,1 milliards d’euros par an. Il s’agit du montant qu’il conviendrait de leur accorder pour que leur taux d’effort énergétique soit inférieur à 8 %. Cela représenterait, en moyenne, près de 710 euros par logement et par an », note l’ONPE.
… et pour les ruraux
On observe également que la part des dépenses énergétiques pour le logement et pour la mobilité diffère en fonction du lieu de résidence principale. Celle-ci est la plus élevée pour les ménages situés dans les espaces à dominante rurale : 12 % de la part du revenu contre, rappelons-le, environ 8 % observé sur l’ensemble de la population.
En effet, dans ces zones rurales, la voiture individuelle reste incontournable pour beaucoup, « ce qui devient structurant et qui politise le mouvement des gilets jaunes de la France rurale », explique le sociologue Benoît Coquard aux Echos. Selon les données de l’Observatoire des mobilités émergentes, révélées par Le Monde, 67 % des automobilistes déclarent « ne pas avoir la possibilité de choisir leur mode de déplacement ». Mais cette absence d’alternative s’aggrave à mesure qu’on s’éloigne des zones urbaines, pour atteindre 83 % dans les zones rurales isolées.
À la veille du sommet de l’OPEP qui aura lieu le 6 décembre, le prix du pétrole brut est hésitant et devrait éventuellement chuter. Et avec l’annonce récente du moratoire par le gouvernement sur le gel de l’augmentation la fiscalité énergétique, le taux d’effort devrait être maintenu à son niveau moyen de 8 %. Mais pour combien de temps si nous ne mettons pas en place des mesures pour consommer plus efficacement et moins carboné ?
Carine Sebi, Assistant Professor – Economics, Grenoble École de Management (GEM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.