En 2017, les centrales nucléaires françaises ont produit 71,6 % de l’électricité du pays, niveau le plus faible depuis trente ans selon le World Nuclear Industry Status Report – Bilan mondial de l’industrie nucléaire dans le monde (1) .
Les centrales nucléaires ont apporté en tout 7 Gigawatts (GW) de nouvelle capacité aux réseaux électriques de par le monde en 2017 et au premier semestre 2018. Ceci ne représente qu’une très faible proportion du total de toutes les sources d’électricité, estimé à environ 257 GW (net) en 2017, dont 157 GW pour les seules énergies renouvelables (la plus forte hausse jamais enregistrée).
Au cours de cette période, six réacteurs ont été mis en service en Chine (2), deux en Russie et un au Pakistan. Pour la troisième année consécutive, la production nucléaire mondiale hors Chine était en baisse en 2017, selon l’édition 2018 du WNISR (World Nuclear Industry Status Report – Bilan mondial de l’industrie nucléaire dans le monde).
Nouveaux pays nucléaires
La modeste croissance de 1 % de la production d’électricité nucléaire est masquée par le développement du solaire (+ 35 %) et de l’éolien (+ 17 %). Ses perspectives à moyen terme ne sont guère florissantes, avec un nombre de réacteurs en construction en baisse pour la cinquième année consécutive, passant de 68 réacteurs à la fin 2013 à 50 à la fin du premier semestre 2018, dont 16 en Chine (3) .
Au cours de l’année écoulée, les premières constructions de réacteurs ont commencé au Bangladesh et en Turquie. Toutefois, comme le montre l’expérience des autres nouveaux pays nucléaires, le Belarus et les Émirats Arabes Unis, le développement des projets se concrétise rarement comme prévu, et ces deux pays connaissent des délais importants. En fait, au moins deux tiers des constructions de réacteurs subissent des retards, dont la moitié des réacteurs chinois. Un quart seulement des 16 réacteurs dont le démarrage était prévu en 2017 en début d’année ont été effectivement couplés au réseau.
Le plus bas du monde
Le rapport analyse en détail la situation dans sept grands pays nucléaires représentant les deux tiers du parc mondial dont la France. En 2017, les centrales nucléaires françaises ont produit 71,6 % de l’électricité du pays, niveau le plus faible depuis trente ans. La part du nucléaire est en baisse pour la 4ème année consécutive.
Le facteur de charge du nucléaire français l’année passée et ses 67,7 %, est le cinquième le plus bas au monde. Par ailleurs, l’étude de cas de Paluel-2 des 27 révisions de calendrier montre un étonnant degré d’incompétence d’EDF, plus grand exploitant nucléaire au monde, dans les prévisions de la durée des arrêts de tranche.
La Chine, une exception ?
Mycle Schneider, auteur principal et éditeur du WNISR, a déclaré : “La Chine continue à dominer les développements du secteur nucléaire grâce à des décisions prises il y a des années. Alors qu’elle n’a pas mis en construction un seul réacteur commercial depuis décembre 2016, combien de temps pourra-t-elle faire figure d’exception ?“.
Antony Froggatt, autre auteur principal, a ajouté : “Dans neuf des 31 pays exploitants des centrales nucléaires – Allemagne, Brésil, Chine, Espagne, Inde, Japon, Mexique, Pays-Bas et Royaume-Uni – la production renouvelable (hors-hydro) dépasse la production nucléaire.“
Dans la préface qu’ils cosignent, HAN Wenke, ancien directeur général du Energy Research Institute du gouvernement chinois et ZHOU Jie, Secrétaire général du International Forum for Clean Energy, basé à Macao, notent : “Au cours des 20 dernières années, le nucléaire a toujours constitué la principale option de remplacement du charbon dans la production d’électricité. Il ne joue plus ce rôle“. En effet, la Chine a investi un montant record de 126 milliards de dollars dans les renouvelables en 2017, trois fois plus que les États-Unis, deuxième plus gros investisseur dans le domaine.
Réacteurs plus petits
La France ne figure même pas dans le top-ten. Anton Eberhard, de l’Université de Cape Town, en Afrique du Sud, déclare dans la deuxième préface au WNISR2018 : “A moins que l’industrie nucléaire ne parvienne dans les prochaines années à développer et apporter au stade de la commercialisation des réacteurs plus petits, modulaires, assemblés en usine, à moindre coût (…) – perspective éloignée – on voit difficilement comment le nucléaire pourrait avoir une place dans la transition énergétique 4.0 ou la 4ème révolution industrielle“.
Résilience du nucléiaire
Face aux performances économiques largement supérieures des principaux concurrents du nucléaire – renouvelables et gaz – comment expliquer la résilience du nucléaire dans certains pays ? Des recherches présentées dans le WNISR2018 permettent de penser qu’un des moteurs de la prolongation de la durée de vie des réacteurs commerciaux et des nouvelles constructions dans certains pays est l’interdépendance des infrastructures nucléaires civiles et militaires.
Le Conseil de l’Industrie Nucléaire déclare par exemple dans le “Nuclear Sector Deal” au Royaume-Uni, que « le secteur s’engage à accroitre les opportunités de transférabilité entre les industries civiles et de défense, et en général à accroitre la mobilité de façon à s’assurer que les ressources sont positionnées aux endroits où elles sont nécessaires », alors que 18 % des pénuries de compétence attendues peuvent être comblées par « la transférabilité et la mobilité ». Cette question mérite sans doute plus d’attention de la part des analystes et du public.
254 réacteurs dans le monde
Le parc nucléaire mondial continue à vieillir et a atteint un âge moyen de 30 ans ; plus de 60 % – soit 254 réacteurs – ont fonctionné 31 ans ou plus. Sur de nombreux marchés, la pression économique vers des « fermetures anticipées » s’accroît avec la chute des prix de gros de l’électricité, l’augmentation des coûts de fonctionnement et une concurrence soutenue. Rien qu’aux États-Unis, la fermeture de dix-huit réacteurs a été programmée entre 2009 et 2025. Un panorama général sur la fin de vie des réacteurs montre que sur les 173 réacteurs qui ont été définitivement arrêtés, seuls 19 ont été démantelés, dont 10 sites seulement ont été rendus à l’état d’origine (“greenfield“).
———–
Background : Le WNISR2018 a été élaboré par une équipe interdisciplinaire de neuf experts, basés dans cinq pays. Le WNISR est la “meilleure source indépendante de données documentées et d’analyse objective sur l’énergie nucléaire mondiale“, selon Amory Lovins, Co-fondateur et Directeur Scientifique du Rocky Mountain Institute.
Le WNISR dresse un panorama exhaustif – à la mi-2018 – du parc nucléaire mondial, en service et en construction, examine les programmes de “newcomers” et compare les tendances du développement du secteur à celles des renouvelables. L’analyse détaillée des programmes nucléaires par pays offre une référence actualisée de l’industrie.
“Le rapport fournit des informations importantes, qui font autorité, et ne peut et ne doit pas être ignoré, indépendamment de l’attitude de chacun face à l’industrie nucléaire“, selon John Mecklin, rédacteur en chef du prestigieux Bulletin of the Atomic Scientists, USA. “Le WNISR est particulièrement utile pour enseigner aux étudiants la différence entre opinions et faits“, estime Arnaud Delebarre, Professeur, Principal Coordinateur Énergie de l’école d’ingénieur SPEIT (Shanghai Jiao Tong University ParisTech Elite Institute of Technology). Le WNISR est une lecture obligatoire dans des universités telles que Princeton (USA) ou l’Université Technique de Berlin. Politiques, journalistes, chercheurs, industrie et NGO le considère comme une source fiable et indépendante d’information et d’analyse.
[1] Le WNISR2018 est accessible gratuitement sur le site www.WorldNuclerReport.org.
[2] Deux réacteurs supplémentaires ont démarré en Chine en août 2018.
[3] Avec la mise en service de deux réacteurs en Chine en août 2018, le nombre de réacteurs en construction en Chine est 14.