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Lettre de décembre 2021 d’Aurore Kepler à Gaïa

Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 B dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire.

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Lettre du mois de décembre sur Gaïa

Lettre du mois des aurores enrubannées sur Kepler

Ma chère Gaïa

Dans mes terres du Septentrion, l’hiver est là. Il vient en majesté, lentement. Pour s’annoncer, il commence par saupoudrer ma terre d’un voile candide. Puis il marque le pas en laissant de vilaines pluies grisailler mes pays. Enfin il s’avance grave et précis. Car c’est son heure. Sûr de son droit, il n’hésite plus, pour tout dire, il ne tolère plus l’idée d’hésiter à se présenter sous son meilleur jour, blanc, lucide et pénétrant de froid. Pour le contempler dans toute la magie de ses formes à cette belle saison, de plus en plus d’Ovoïdes partent en villégiature polaire. Du fait de cette dernière mode, mes airs sont encombrés d’ondes qui les véhiculent et l’on a vu comme autrefois quelques Ovoïdes ne jamais réapparaître. Pour l’instant les accidents sont rares mais cette pratique se faisant massive, ce que tu dénommerais tourisme ne va pas manquer de me poser de douloureux choix.

Pour fréquenter ces contrées glaciales, mes Ovoïdes doivent se vêtir. Car sous la rigueur des frimas, leur plasma tend à perdre sa fluidité. Pour s’épaissir en une blanche albumine qui fera une gelée et n’irriguera plus leurs organes de pensée. Puisque vivent en ces pays de grands animaux velus, couverts d’un long poil qui leur fait des toisons plus chaudes qu’un duvet de sarments, mes Ovoïdes ont décidé de s’emparer de leurs fourrures. Car sur cette neige qui confond et la terre et le ciel, ils les ont vus sans frein cavaler de leurs six pattes aux larges sabots. Sur des étendues blanches à perte de vue, ces sixpèdes se roulent et s’éclaboussent sans façon. Ils font des pirouettes, des galipettes, se vautrent, se grimpent dessus et jamais ne semblent souffrir de ce mal étrange et sidérant qui se nomme le refroidissement. Ils bataillent, jouent, se défient, s’enfuient, se rebiffent ou s’accouplent sans se soucier des températures qui glaceraient plus d’un Ovoïde. Et quand ces bêtes ont fini de batifoler dans cette poudre, pour étancher leur soif ils l’avalent à pleine gueule. Sans jamais se froidir, ni le ventre ni les sangs, ils dévorent les flocons comme s’ils étaient d’avoine et semblent s’en contenter. Car ils n’ont guère d’autre pitance que cette manne tombée du ciel.

Pour supporter la rigueur de ce climat, mes Ovoïdes ayant vu ces sixpèdes si bien vivre en la compagnie du froid, n’ont pu résister au désir de s’approprier leur pelisse.

Ainsi pour les tuer, ils ont inventé des armes, des orgues javelins. D’un minerai de larmes de fer, ils ont forgé des flèches pointues comme celles qui tournent avec le vent. Et sur des schlittes à bois, ils ont placé les uns à côté des autres des rangées de tubes aussi creux que ceux de tes orgues et y ont introduit des flèches. Et puis ils ont attelé ces chariots à des pouloïdes en cessation d’activité nourricière. Dans la neige, ceux-ci peinent, bâtés de courroies. Ils s’épuisent sans rechigner à l’ouvrage car malgré leur inaptitude, ils se savent épargnés de l’équarrissage. Ainsi mes Ovoïdes peuvent partir à la chasse.

Quand Ils aperçoivent un troupeau de sixpèdes argentés batifoler à l’orée d’un bois, ils pointent leurs orgues de mort. Puis au cul des tubes, les chasseurs mettent à feu une poudre noire. Alors, dans un tonnerre assourdissant, s’envolent des nuées de javelles. Les bêtes d’abord s’étonnent du feu et du bruit, pour s’écrouler avant d’avoir compris que leur innocente aptitude avait fait des envieux. Ah ! Mes Ovoïdes sont en train de découvrir l’usage de la force pour satisfaire leurs désirs et je crains qu’ils n’en conçoivent une stratégie pour le futur. Nous verrons…

Gaïa, tu m’as parlé de ton épidémie et d’un variant que tu appelles omicron.

Il semble plus contagieux que les autres, mais moins apte à tuer ses hôtes. Ceci me fait penser que c’est peut-être la fin de ton épidémie. Car si un variant est très contagieux sans être mortel, il va supplanter les plus dangereux et se transmettant facilement en préservant ses hôtes, il va donner très vite une immunité collective.
Tes Charmants ne le savent pas encore car auparavant leurs microscopes n’identifiaient pas tes chéris les virus, mais les coronavirus qui leur confèrent actuellement de petits rhumes, furent auparavant des germes pathogènes beaucoup plus nocifs. Tant qu’ils étaient très nocifs, ils tuaient, s’autolimitaient en se privant d’un grand nombre de leurs propagateurs et ils provoquaient des quarantaines qui limitaient leur action. Dans chaque épidémie, les statistiques étant ce qu’elles sont, il y a de tout : des variants très agressifs et très contagieux, des très agressifs et peu contagieux, des peu agressifs et peu contagieux, mais quand arrive le peu agressif et très contagieux, l’épidémie est finie.
Du moins ses périls s’amenuisent et la vie sociale reprend ses droits. Sa circulation perdure, elle se cherche des hôtes d’une autre espèce, devient saisonnière et ne génère plus que des écoulements véniels et des toux agaçantes plutôt que des processions aux cimetières.

Ceci n’est que mon expérience des épidémies sur Kepler et tu verras ce que l’avenir de la tienne te réserve.

J’en reviens à te donner des nouvelles d’Utula, ma petite reine de l’Empire des Deux Lunes. Elle n’a pas traîner pour prendre le pouvoir. Elle vient par le jeu d’alliances inavouables et de promesses intenables d’évincer ses deux collègues du triumvirat. Tout cela pour le bien du grand peuple des Deux Lunes et sous la gouverne de son parti, le PCL (Parti Commun Lunatique).
Je te refais un peu d’histoire de ma planète. Dans les temps anciens, c’était bien les femelles qui régissaient la vie sociale sur Kepler. Sans éclat et sans domination apparente mais assez efficacement pour canaliser et diriger ces mâles qui croyaient gouverner tout en se faisant berner par leur compagne. Le manque de force des mâles est l’un de leurs problèmes pour forger des objets, faire la guerre, etc… Mais ceci a un avantage, car les femelles ne souffrent pas de violence conjugale et peuvent prendre des risques sans prendre de coups. Tu t’en souviens, elles avaient inventé le dénombrement des billes à mettre dans leur poche reproductrice dorsale, soi-disant pour éviter d’épuiser les pouloïdes mais en vérité pour occuper la place et limiter les assauts de leur conjoint.

On a même dit que les billes leur procuraient des sensations intimes analogue aux boules de Geisha.

Utula avait auparavant gagné des suffrages en dénonçant la domination des mâles du pays de Cocagne. Car ceci risquait de faire tache d’huile dans l’Empire des Deux Lunes. Si l’on rajoute l’existence morose, sans guerre mais sans passion, que mène la plupart des Ovoïdes, existence qui lasse la jeune génération qu’elle incarne et pour qui l’ennui est une torture, tout cela lui avait permis d’appartenir au triumvirat. Les intrigues qu’elle copie sur l’oncle Xi ont fait le reste pour qu’elle soit maintenant seule au pouvoir.
Hier, elle a prédit une catastrophe si ses ordres ne sont pas respectés. Comme celle décrite dans les livres sacrés des religions de ton monde, l’apocalypse anéantira les peuples et sera suivie d’une gouvernance céleste. Et ce pendant mille ans. C’est ce que tu appelles le millénarisme.

Ici, puisqu’il n’y a pas de dieu, la gouvernance divine sera remplacée par la céleste.

Chez toi, à ce jour il y a moins de prédicateurs religieux qu’il y a deux mille ans. Mais il y a plus de prophètes politiques, c’est-à-dire laïques et économiques…. Tu m’as déjà dit qu’ils sont d’un sectarisme tranchant et ne s’embarrassent pas des conséquences de leurs actes en coût social, c’est-à-dire en quantité de malheur que leurs doctrines apporteraient très rapidement au vulgum pecus.
Utula se rapproche d’une de tes adolescentes égéries qui traverse ton monde écologique. Moi ces prophètes modernes, je les considère comme des millénaristes. Puisqu’ils annoncent la fin du monde et la venue d’une gouvernance maléfique qui ne manquera pas de s’installer pendant longtemps, peut-être mille ans si on ne se soumet pas à leurs diktats. Heureusement les prophéties de ces messies ne se réalisent jamais.

Leurs histoires ont l’avantage de modérer les comportements consuméristes qui se seraient peut-être amplifiés sans leur action.

Utula avait déjà annoncé désirer libérer le pays de Cocagne de l’emprise des mâles qui, pour obtenir un précieux métal, abusent de leurs femelles. Elle vient maintenant de déclarer qu’elle avait reçu des messages du ciel qui annoncent la fin du monde d’aujourd’hui s’ils ne se rachètent pas. Un astéroïde venu des limbes va me frapper dans moins de vingt cycles. Toute vie sera détruite et la Grande Femelle adviendra. Elle ressuscitera tous les êtres qu’elle choisira et imposera son règne. À moins que, au moment venu, chaque Ovoïde mâle n’use de la télé-transportation pour se lancer à la rencontre du bolide céleste et par une folle magie ondulatoire, puisse détourner l’objet céleste de sa cible. Je la soupçonne fort d’avoir trouvé le moyen de faire disparaître nombre de mâles quand ils seront sous la forme d’ondes.

C’est plus propret que le passage au batteur de millions d’êtres et ça pose moins de problème d’évacuation des déchets.

Tiens, je me suis aperçue que j’avais une nouvelle compagnie à mes côtés. C’est une naine brune et jusqu’à présent je ne l’avais pas remarquée car elle rayonne peu. Elle est relativement naine en vérité. Elle est même dix fois grosse comme moi. Et elle est surement brune comme ta lune est rousse à la première lunaison après tes fêtes de Pâques. Elle n’est ni une étoile ni une planète. Elle est trop petite pour être une étoile car la gravité engendrée par sa masse est insuffisante pour permettre la fusion thermonucléaire de l’hydrogène. Car cette fusion nécessite une pression énorme engendrée par une gravitation qui n’apparait qu’à partir d’une masse colossale, celle de ton soleil ou de mon Cygne. C’est-à-dire mille fois la masse de ton Jupiter. Et comme ces naines rayonnent peu, je ne les vois pas dans le spectre du visible.

Ce sont de nouveaux télescopes à infra-rouge qui m’ont permis de constater la présence de ma petite Stroumpfette.

Enfin quand je dis petite, tu me comprends. J’adore ce prénom de Stroumpfette, car cela me remémore ton conte d’une jeune fille blanche qui est amie avec des tout petits habitants de la forêt. J’ai l’impression que cette naine est une brune froide, pas plus de -20° Celsius. Et à l’Institut du Ciel ils ont observé sur ses pôles des aurores boréales et des australes qui sont dues à d’intenses champs magnétiques : 10.000 fois intenses comme le tien ou le mien.

J’ai hâte de voir les images du télescope mais ces aurores doivent être furtives car les vents soufflent là-bas à 2300 kilomètres à l’heure sur cette naine échevelée.

Ma chère Gaïa, il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte. Je te laisse donc en espérant t’avoir inspiré des images de rubans fous de joie de danser sur tes pôles ; d’un vert d’opale, d’un vert tendre, d’un vert phosphorescent faisant des rondes avec des violets sombres et galactiques. Des enchainements de rubans qui s’enroulent et s’évanouissent. Des ascensions fulgurantes suivies de tourbillons cosmiques. Des rêves de planètes étranges et fulgurantes. Des rêves de transport et d’extase. Je t’enlace encore et encore avec toutes ces fanfreluches célestes qui tourbillonnent sur nos pôles et nous font des panaches comme les plumes d’autruche plastronnaient au faîte du cimier de tes chevaliers.

Ton Aurore

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